Question :
Si j'achète quelque chose par un moyen que notre éthique musulmane n'approuve pas (harâm, ou mak'rûh tahrîmî), est-ce que j'en deviens quand même propriétaire ?
Ou bien est-ce que je n'en deviens pas propriétaire ? Si je ne le deviens pas, alors, si plus tard je revends ce bien matériel à un tiers, celui-ci n'en deviendra lui non plus pas propriétaire... C'est compliqué, n'est-ce pas ?
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Réponse :
Vous posez en fait la question de savoir si l'illicité (hurma, qui est un caractère moral, hukm taklîfî) d'une transaction (mu'âmala) (qu'il s'agisse d'une vente / location, ou qu'il s'agisse d'un mariage ou d'un divorce) implique également ou non son invalidité (butlân, qui est un caractère juridique, hukm wadh'î). Or la réponse à cette question fait l'objet de positions divergentes…
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I) Quelques textes relatifs à cette question :
– Dieu a interdit le mariage d'un homme avec l'une de ses proches parentes (mahârim) (Coran 4/23). Et si quelqu'un le fait, à l'unanimité des ulémas son mariage est invalide (bâtil).
– Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit le mariage du "shighâr" : il s'agit du fait qu'un homme se marie avec la proche d'un autre homme, avec comme condition qu'il mariera cet autre homme avec sa proche (al-Bukhârî, Muslim). Or si deux hommes ont recours à ce procédé illicite, les deux mariages ainsi contractés seront-ils valides ou non ? Il y a divergence sur le sujet :
– d'après l'école hanbalite, de tels mariages sont invalides (bâtil) à cause de cette condition susmentionnée, même si par ailleurs il a été spécifié lors du contrat que le mari donnerait tel douaire à son épouse (Al-Mughnî 9/456) ;
– d'après l'école shafi'ite, c'est si aucun douaire n'avait été mentionné mais qu'au contraire la condition avait été celle susmentionnée que ce mariage est invalide ; sinon, si par ailleurs il avait été spécifié lors du contrat que le mari donnerait tel douaire à son épouse, alors le mariage est valide (Ibid.) ;
– d'après l'école hanafite, du moment que toutes ces personnes sont consentantes, ces mariages sont valides (sahîh), même si aucun douaire n'avait été évoqué, et même s'il avait été spécifié qu'aucun douaire ne serait donné ; cependant, si cela avait été le cas, une telle condition est nulle et chacun des deux époux devra donner le douaire de type mahr ul-mithl à son épouse.
– Dieu a interdit que deux musulmans fassent une transaction commerciale depuis le moment où l'appel à la prière pour la grande prière du vendredi est donné jusqu'à ce que cette prière soit terminée (Coran 62/9-10). (Cette interdiction ne concerne pas ceux sur qui l'accomplissement de la grande prière du vendredi n'est pas obligatoire.) Si un musulman contracte quand même une transaction commerciale à ce moment-là, sa vente sera-t-elle valide bien qu'interdite, ou pas ?
– d'après l'école hanbalite une telle vente est nulle (bâtil) (Ash-Shar'h ul-kabîr, 5/302) ; d'après cette école c'est depuis le second des deux appels à la prière que l'interdit de transaction entre en vigueur (Al-Mughnî 3/8-10) ;
– d'après l'école hanafite et l'école shafi'ite une telle vente est valide bien que constituant un péché (Ad-Durr ul-mukhtâr, 7/304 ; cf. Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, p. 3506) ; d'après l'école hanafite, c'est depuis le premier des deux appels à la prière que l'interdit de transaction entre en vigueur ; par ailleurs, d'après cette école hanafite, si c'est pendant qu'ils se dirigent vers la mosquée qu'ils font cette transaction, cela n'est pas interdit (cliquez ici).
– Le Prophète a interdit que l'homme prononce la formule de divorce (tatlîq) pendant que son épouse se trouve en état de règles (al-Bukhârî, Muslim). Cela est interdit à l'unanimité. Or si un mari le fait quand même, le divorce sera-t-il effectif ou pas ? Il y a divergence sur le sujet :
– d'après la majorité des ulémas le divorce sera effectif bien qu'ayant été prononcé de façon interdite (Al-Mughnî 10/88) ;
– d'après quelques ulémas [dont Ibn Hazm, Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim], le divorce sera nul (bâtil) car ayant été prononcé de façon interdite.
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II) Quelques principes pensés par les ulémas mujtahidûn sur le sujet :
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– II.I) Le principe pensé par les écoles shafi'ite et hanbalite :
En général on dit que ces deux écoles – shafi'ite et hanbalite – ne font pas de distinction entre la licité et la validité : dès qu'un élément qui fait partie de la transaction est interdit – que cet élément fasse partie des fondements de la transaction ou de la forme qu'elle prend – la transaction est non seulement interdit mais aussi nulle (et l'acheteur ne devient pas propriétaire du bien qu'il a acheté). Selon ces écoles, la règle est donc que l'illicité d'une transaction entraîne son invalidité juridique (cf. Al-Mughnî, 5/677-678).
Cependant, en fait ces écoles distinguent deux types de transactions interdites :
– la transaction illicite et invalide (fâssid, ou bâtil, vu que ces deux termes signifient la même chose chez ces deux écoles) ;
– la transaction illicite mais malgré tout valide (seulement mak'rûh).
Ainsi, d'après l'école hanbalite : le fait de spécifier certaines conditions dans une transaction n'est pas autorisé et devient nul, mais cela ne rend pas la transaction invalide (cf. Al-Mughnî, 5/676) ; de même, le fait de faire une transaction à l'intérieur de la mosquée est interdit, et pourtant la transaction reste valide (Ibid. 5/719).
De même, l'école shafi'ite est d'avis que bien que le fait de faire une transaction entre l'appel à la prière et l'accomplissement de la prière du vendredi soit interdit, une telle vente reste valide (sahîh harâm) (cf. Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, p. 3506) (alors que l'école hanbalite est d'avis qu'une telle vente est invalide : Ash-Shar'h ul-kabîr, 5/302).
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– II.II) Le principe pensé par Ibn Taymiyya :
Pour Ibn Taymiyya, toute interdiction d'un élément constitutif de ou accompagnant une transaction entraîne la nullité de celle-ci, du moment que l'interdiction est liée à un droit de Dieu. Ibn Taymiyya refuse de distinguer éléments constitutifs de l'action et éléments accompagnant l'action ; ainsi, conclure une vente entre l'appel à la prière du vendredi et l'accomplissement de celle-ci entraîne la nullité de cette vente, bien c'est seulement le moment où elle a été conclue qui est interdit. C'est également pourquoi Ibn Taymiyya a émis l'avis qu'il a émis à propos de la formule de divorce prononcée par le mari trois fois en un instant : étant donné que faire ainsi est interdit à l'unanimité, le divorce n'est pas valide. C'est encore pourquoi Ibn Taymiyya pense que la formule du divorce prononcé par le mari pendant que l'épouse se trouve en état de règles n'est pas valide : cela étant interdit, cela est nul.
Cela n'est d'ailleurs pas spécifique aux transactions mais englobe également les actions purement cultuelles ('ibâdât). Ainsi, pour un homme, accomplir la prière rituelle (salât) vêtu d'habits en soie (alors qu'on ne se trouve pas dans un cas de nécessité, dharûra), cela entraîne que cette prière est nulle.
Par contre, pour toute interdiction d'un élément constitutif de ou accompagnant une transaction, et qui est liée à un droit de la personne, la transaction reste suspendue au pardon de cette personne : si elle accorde son pardon (il se peut qu'elle exige pour cela un dédommagement), la transaction sera valide ; si elle ne l'accorde pas, la transaction sera invalide.
De même s'il s'agit d'une action cultuelle : accomplir la prière rituelle (salât) dans un lieu qu'on a usurpé, ou vêtu d'habits qu'on a usurpés ou volés, cela demande le pardon du propriétaire : s'il accorde son pardon, la prière sera valide, sinon elle sera nulle. Il en est de même pour le fait d'égorger un animal (en soi halal) avec un couteau qu'on a dérobé.
Cet écrit de Ibn Taymiyya est visible in Majmû' ul-fatâwâ, tome 29, page 281 à page 292.
Il écrit : "Tout homme qui fait un péché par rapport à Dieu a interdit est mufsid. Et les choses interdites constituent des péchés par rapport à Dieu. Le Législateur interdit donc cela afin d'empêcher le fassâd et de le repousser. Et on ne trouve absolument pas, parmi tous les cas de figure d'interdiction, un cas où la validité est établie par une référence textuelle (nass) ou par un consensus (ijmâ'). La formule de divorce interdite et l'accomplissement de la prière dans une demeure usurpée, il y a divergence à leur sujet. (Mais) il n'existe pas, prouvant leur validité, une référence textuelle (nass), qu'il serait obligatoire de suivre. Celui (d'entre les ulémas) qui s'appuie sur ces deux cas n'a donc pas d'argument (décisif)" (MF 29/283).
Or Cheikh ul-islâm Ibn Taymiyya a dit cela eu égard au fait suivant... Abdullâh ibn Omar avait prononcé la formule de divorce (tatlîq) quand son épouse était en état de règles. Son père Omar ibn ul-Khattâb l'ayant relaté au Prophète, celui-ci dit : "Dis-lui de la reprendre ; puis, qu'il la laisse jusqu'à ce qu'elle soit en état de pureté, puis qu'elle ait d'autres règles ; lorsqu'elle sera en état de pureté (après ces autres règles), qu'il divorce d'elle sans avoir eu de relations intimes avec elle, ou qu'il la garde (comme épouse) ; voilà le moment où Dieu a ordonné qu'on (choisisse pour) divorcer des femmes [si on doit le faire]" (al-Bukhârî, Muslim, Abû Dâoûd, etc.).
Mais est-ce que cette formule de divorce que Abdullâh avait alors prononcée fut-elle retenue (de sorte qu'il ne lui restât alors plus que deux autres occasions), ou est-ce qu'elle ne fut pas du tout prise en considération ?
Abu-z-Zubayr, un des transmetteurs de ce hadîth, affirme que Abdullâh ibn Omar aurait dit : "(Le Prophète) me la renvoya, et ne considéra pas la (formule prononcée) comme constituant quelque chose" : " أخبرنا ابن جريج، أخبرني أبو الزبير، أنه سمع عبد الرحمن بن أيمن - مولى عروة - يسأل ابن عمر - وأبو الزبير يسمع - قال: كيف ترى في رجل طلق امرأته حائضا؟ قال: طلق عبد الله بن عمر امرأته، وهي حائض على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم، فسأل عمر رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: إن عبد الله بن عمر طلق امرأته، وهي حائض. قال عبد الله: "فردها علي، ولم يرها شيئا". وقال: "إذا طهرت فليطلق أو ليمسك". قال ابن عمر: وقرأ النبي صلى الله عليه وسلم {يا أيها النبي إذا طلقتم النساء فطلقوهن} في قبل عدتهن" (Abû Dâoûd, 2185). C'est à cette version que Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim ont donné préférence (Zâd ul-ma'âd 5/226-227), et ce eu égard au fait qu'elle correspond avec le principe général qu'ils ont pensé.
Cette version de Abu-z-Zubayr est-elle cependant authentique ? Comme Abû Dâoûd lui-même l'a écrit après avoir rapporté cette version, "Toutes les versions (ahâdîth) contredisent ce que Abu-z-Zubayr a dit là" : "والأحاديث كلها على خلاف ما قال أبو الزبير" (Sunan Abî Dâoûd). En effet, les transmetteurs autres que Abu-z-Zubayr n'ont rien relaté de tel ; plus encore, certains transmetteurs ont relaté tout le contraire. Ainsi, Sa'îd ibn Jubayr relate que Abdullâh ibn Omar dit : "Cela me fut compté comme une tatlîqa" : "حدثنا أبو معمر، حدثنا عبد الوارث، حدثنا أيوب، عن سعيد بن جبير، عن ابن عمر، قال: "حُسبت عليّ بتطليقة" (al-Bukhârî, 4954). Yûnus ibn Jubayr dit : "J'ai dit à Ibn Omar : "Est-ce que tu as compté cette (formule de divorce) ?" Il dit : "Qu'est-ce qui empêcherait cela ? Que penses-tu si (la personne) a agi de façon inconsidérée et sottement ?" : "قال: فقلت لابن عمر: أفاحتسبت بها؟ قال: "ما يمنعه، أرأيت إن عجز واستحمق" (Muslim, 1471/10). De même, Anas ibn Sîrîn dit à Abdullâh ibn Omar : "Cela est-il compté ?" Il répondit : "Et quoi d'autre ?" : "عن أنس بن سيرين، قال: سمعت ابن عمر، قال: طلق ابن عمر امرأته وهي حائض، فذكر عمر للنبي صلى الله عليه وسلم، فقال: "ليراجعها"؛ قلت: "تحتسب؟" قال: "فمه؟" وعن قتادة، عن يونس بن جبير، عن ابن عمر، قال: "مره فليراجعها"؛ قلت: "تحتسب؟" قال: "أرأيت إن عجز واستحمق" (al-Bukhârî 4954, Muslim, 1471/11). Nâfi' relate la même chose : "قال عبيد الله: قلت لنافع: "ما صنعت التطليقة؟"، قال: "واحدة اعتد بها" (Muslim, 1471/2). Il y a encore ces narrations : "وكان عبد الله طلقها تطليقة واحدة، فحسبت من طلاقها. وراجعها عبد الله كما أمره رسول الله صلى الله عليه وسلم" (Muslim, 1471/4) ; "قال: قلت: "أفحسبت عليه؟" قال: "فمه؟ أو إن عجز واستحمق" (Muslim, 1471/7).
Voir également le développement que al-Malîbârî a consacré à ce point, avec analyse des différentes versions, dans son ouvrage Al-Muwâzana bayn al-mutaqaddimîn wa-l-muta'akkhirîn fî tas'hîh il-ahâdîth wa ta'lîlihâ, Troisième exemple.
Il semble donc qu'il existe bel et bien une référence textuelle (nass) certaine (yaqînî) qui prouve qu'une formule prononcée à un moment où il est interdit (yahrum) de le faire est malgré tout valide (sahîh).
Al-Bukhârî écrit : "Lorsque la femme en état de règles reçoit la formule du divorce, cette formule de divorce est comptée" : "باب: إذا طلقت الحائض، تعتدّ بذلك الطلاق" (Al-Jâmi' us-sahîh, Kitâb ut-talâq, bâb 1).
Ibn Qudâma relate que c'est l'avis de la majorité des ulémas (Al-Mughnî, 10/88). Il écrit également que le tatlîq n'est pas une qurba pour que le faire de façon contraire à la Sunna entraîne son invalidité : "لأنه طلاق من مكلف في محل الطلاق، فوقع، كطلاق الحامل. ولأنه ليس بقربة فيعتبرَ لوقوعه موافقة السنة، بل هو إزالة عصمة وقطع ملك؛ فإيقاعه في زمن البدعة أولى تغليظا عليه وعقوبة له" (Al-Mughnî, 10/89).
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– II.III) Le principe pensé par l'école hanafite :
Selon les ulémas hanafites, dans une transaction il y a :
--- a) d'une part les éléments qui en sont constitutifs (mâ yakûnu dâkhilan fi-l-'aqd) ;
--- b) d'autre part les éléments qui n'en sont pas constitutifs mais qui l'accompagnent (mâ yakûnu khârijan an il-'aqd mujâwiran lah).
Ainsi, les deux personnes qui concluent la transaction, les biens sur lesquels la transaction porte, les conditions de livraison de ces biens, les délais de paiement, sont des éléments constitutifs de la transaction (a) ; par contre, le moment où la transaction est faite est extérieur à la transaction et l'accompagne (b).
Les éléments a (ceux qui sont constitutifs de la transaction) sont ensuite de 2 catégories :
----- a.a) les éléments qui sont constitutifs de la transaction et qui en sont les fondements même (mâ yakûnu dâkhilan fi-l-'aqd wa yakûnu asl al-'aqd) ; il s'agit des deux personnes qui concluent la transaction, et des biens sur lesquels la transaction porte ;
----- a.b) et puis il y a les éléments qui sont certes constitutifs de la transaction mais qui n'en sont pas les fondements (mâ yakûnu dâkhilan fi-l-'aqd wa yakûnu wasf al-'aqd) : il s'agit, dans une transaction, des conditions qui y sont émises, des flous qui y subsistent, etc.
Sur la base de cette classification des éléments composant une transaction, l'école hanafite distingue 4 cas quant à l'articulation licité / validité des transactions :
- 4) la transaction jâ'ïz : entièrement licite ;
- 3) la transaction mak'rûh li mujâwir : illicite pour cause d'élément extérieur (b) : elle reste valide ;
- 2) la transaction fâssid : illicite pour cause de vice en ses éléments non fondamentaux (a.b) : elle reste valide ;
- 1) la transaction bâtil : illicite pour cause de vice en ses fondements (a.a) : elle est invalide.
(Cf. Muntakhab ul-Hussâmî, pp. 46-47 ; Nûr ul-anwâr, pp. 65-66).
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– 1) La transaction illicite (harâm) sur le plan moral en même temps que totalement invalide sur le plan juridique : la transaction dite "bâtil" :
Il s'agit de la transaction qui n'est pas légale en ses fondements mêmes (a.a) (ghayr mashrû' bi aslih) :
– soit que celui qui a fait la transaction ne possède pas l'aptitude à le faire : il s'agit par exemple d'un homme complètement fou, ou d'un bébé ;
– soit l'objet vendu (al-mabî') n'est pas "un bien commercial" (lâ yakûnu mâlan, aw yakûnu mâlan ghayra mutaqawwam) : il s'agit par exemple d'alcool quand le vendeur est musulman ;
– soit encore – mais ce d'après seulement certains des ulémas hanafites – que la contrepartie (ath-thaman) du bien vendu n'est pas "un bien commercial" (lâ yakûnu mâlan) : il s'agit par exemple de sang.
Si on fait une transaction de ce type 1, celle-ci étant invalide (bâtil), l'acheteur ne devient pas propriétaire (mâlik) de la chose vendue (mabî') même s'il en prend possession (il sera alors dhâmin de cette chose d'après un avis, mu'taman de cette chose d'après un autre avis : Ad-Durr ul-mukhtâr avec Radd ul-muhtâr, 7/246-247 ; Al-Hidâya 2/33).
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– 2) La transaction qui est illicite (harâm) sur le plan moral mais qui, si elle est faite quand même, est valide (sahîh) sur le plan juridique : la transaction dite "fâssid" :
Il s'agit de la transaction qui est légale en ses fondements (mashrû' bi aslih) – car celui qui a fait la transaction en est apte et ce qui est vendu est un bien –, mais ce sont d'autres éléments (de type a.b) s'y trouvant qui sont interdits (ghayr mashrû' bi wasfih) : par exemple il s'y trouve un flou susceptible d'entraîner plus tard un litige, ou bien il s'y trouve une condition interdite, etc.
- A cause de la présence de l'élément interdit, les personnes qui font cette transaction de type 2 commettent un péché (ithm) et elles ont l'obligation d'annuler cette transaction.
- Par ailleurs, l'acheteur ne devient pas propriétaire (mâlik) du bien (mabî') par la seule transaction (contrairement à la transaction de type 4, et même la transaction de type 3, comme nous allons le voir).
- Cependant, l'acheteur en devient malgré tout propriétaire (mâlik) quand il en prend possession (qabdh) (et ce contrairement à la transaction de type 1). La faute morale demeure donc, mais la vente est valide sur le plan juridique ; il y a illicité mais validité.
Ainsi donc, l'acheteur devient propriétaire du bien qu'il a acheté quand il en prend possession, et le vendeur de la contrepartie de ce bien quand il en prend possession ; cependant, tous deux sont tenus d'annuler cette vente (faskh), et il ne leur est donc pas licite (halâl) d'utiliser ces biens [hâdha-l-mâlu halâl li 'aynihî, wa lâkin lâ yahillu li-l-mushtarî ak'luhû] (cf. Ad-Durr ul-mukhtâr avec Radd ul-muhtâr, 7/288-289).
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– 3) La transaction qui n'est pas licite sur le plan moral mais qui, si elle est faite quand même, est valide (sahîh) sur le plan juridique : la transaction dite "mak'rûh" : c'est un élément l'accompagnant (mujâwir) qui entraîne l'illicité :
Il s'agit de la transaction dont les fondements sont légaux (mashrû' bi aslih) de même que la forme est légale (mashrû' bi wasfih) ; cependant un élément qui l'accompagne (b) est interdit, par exemple le moment où se déroule la transaction. C'est ainsi que la vente que deux musulmans font après l'appel de la prière du vendredi avant l'accomplissement de cette prière est interdite (si tous deux demeuraient dans le magasin de Zayd, u que s'ils avait alors été en train de se diriger alors vers la mosquée, la transaction n'aurait pas été interdite d'après l'école hanafite : lire le point 4 d'un autre de nos articles sur le sujet), mais si deux musulmans la font, elle reste valide (et n'est même pas fâssid).
Vendre à quelqu'un quelque chose qui en soi est licite mais dont on sait qu'il en fera une utilisation illicite (i'âna 'ala-l-harâm) relève également de ce cas de figure 3 (Radd ul-muhtâr, 6/421 ; 9/561).
- Ici, à cause de l'élément interdit, vendeur et acheteur commettent un péché (ithm). Et, à cause de ce péché (ithm), vendeur et acheteur sont tenus d'annuler (faskh) une transaction de ce type 3 (Ad-Durr ul-mukhtâr avec Radd ul-muhtâr, 7/310) ; il ne leur est donc pas licite (halâl) d'utiliser ces biens (hâdha-l-mâlu halâl li 'aynihî, wa lâkin lâ yahillu li-l-mushtarî ak'luhû, bal yajibu 'alayhi wa 'ala-l-bâ'i'i fashk ul-bay'). Ce comme pour la transaction de type 2.
- Sur le plan juridique l'acheteur devient propriétaire du bien (mabî'), comme pour la transaction de type 2 (Radd ul-muhtâr, 7/304, 310).
- Plus encore, ici, à la différence de cette transaction de type 2, il devient propriétaire de ce bien (mabî') lors de la transaction même (laquelle transaction est réalisée par la conclusion verbale ou écrite du contrat, ou tout moyen exprimant l'accord des deux parties) (note de bas de page n° 9 sur Al-Hidâya 2/51). Ibn ul-Humâm écrit que lorsqu'on dit que les transactions "mak'rûh" "sont en-deçà des transactions fâssid", cela n'empêche pas que "toutes ces kârâhât sont tahrîmiyya, nous ne connaissons pas de divergence quant au péché (ithm)" : la seule différence est qu'elles n'en deviennent pas fâssid (Fat'h ul-qadîr 6/436).
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– 4) La transaction entièrement licite (jâ'ïz) et donc entièrement valide (sahîh) aussi :
Il s'agit de la transaction qui ne contient aucun élément contredisant une règle de l'islam.
Dans le cas d'une transaction de ce type 4, l'acheteur devient propriétaire du bien (mabî') par la transaction même (laquelle transaction est réalisée par la conclusion verbale ou écrite du contrat, ou tout moyen exprimant l'accord des deux parties). Par ailleurs, il est entièrement licite (halal) pour l'acheteur de faire de ce bien toute utilisation qui est en soi licite (il faut cependant noter qu'il est certains droits – comme celui de pouvoir revendre le bien – qui ne deviennent licites pour l'acheteur qu'après qu'il ait effectivement pris possession (qabdh) de ce bien ; lire notre article sur le sujet).
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Mes sources pour cet article :
At-Tas'hîl udh-dharûrî li massâ'ïl il-qudûrî, pp. 208-210 – Al-Fiqh ul-islâmî adillatuh, Wahba az-Zuhaylî, pp. 3393-3397.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).