Se référer aux Coran et Sunna et respecter la loi du pays : comment ?

Question (posée par un concitoyen non-musulman) :

Donnez-vous préférence aux lois françaises ou bien aux principes du Coran ?

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Réponse :

Nous musulmans nous référons (tahkîm) à nos sources – Coran et Sunna – et sommes respectueux des lois du pays dans lequel nous vivons. C'est bien ce que les musulmans de l'île de La Réunion, lors de leur demande adressée aux autorités de l'île, avaient exprimé, se présentant dans leur écrit en ces termes : "[nous] musulmans habitant Saint-Denis [de La Réunion] et la colonie, fidèles observateurs de la loi du Prophète et respectueux des lois du pays" (ce document est très connu).

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En effet, d'un côté, les musulmans ne nient absolument pas chercher dans le Coran et la Sunna les principes pour vivre fidèlement à leur foi et leur conscience, où qu'ils vivent. Considérer le fait de s'y référer comme obligatoire est une implication du minimum de leur foi même (cliquez ici pour lire notre article sur le sujet). Les enseignements du Coran et de la Sunna sont globaux et les musulmans veulent en extraire des orientations et des limites pour les différents aspects de leur vie.

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D'un autre côté, il est certaines règles présentes dans les sources de l'islam qui, même en théorie, ne sont pas applicables en ce qui concerne les musulmans vivant en pays non-musulman : il s'agit de tous les ahkâm dont l'application est conditionnée à l'existence d'une sulta tanfîdhiyya. Car ces musulmans se trouvent dans la même situation que celle dans laquelle se trouvaient les musulmans en Abyssinie, à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix). Les prophètes eux-mêmes ne se sont pas tous trouvés dans la même situation ; lire à ce sujet notre article : La Islâh, la Réforme : ce à quoi tous les prophètes de Dieu ont invité les hommes. Et ces musulmans se trouvent aujourd'hui dans une situation comparable à celle dans laquelle le prophète Joseph (sur lui soit la paix) se trouvait en Égypte.

Par ailleurs, le terme "respecter", employé dans la question, possède plusieurs sens, deux étant les suivants : "1. Révérer, honorer. Un nom, un titre respecté. 2. Tenir compte de quelque chose, se conformer à ce qui a valeur de règle. Je vous sais occupé, je respecte votre temps. Respecter l'ordre alphabétique."

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"Alors, demande-t-on aux musulmans, à quoi donnez-vous préférence : aux lois du pays ou aux principes de l'islam ?"

La réponse est que nous posons le débat en termes d'"organisation". En fait plusieurs situations se présentent.

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Cas A) La loi du pays et les règles de l'islam disent la même chose :

Ainsi, la drogue est interdite de vente aussi bien par la loi française que par les principes musulmans.
Il en est de même du vol, de l'assassinat, du viol, etc.
Il n'y a donc aucun questionnement par rapport à ce cas A.

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Cas B) La loi du pays et les règles de l'islam ne disent pas la même chose :

Deux cas se présentent alors :
--- soit ils ne disent pas la même chose mais ne se contredisent pas réellement non plus ;
--- soit il y a réellement contradiction.

--- Cas B.1) Ils ne disent pas la même chose mais ne se contredisent pas non plus :

Plusieurs cas se présentent ici...
----- Cas B.1.1) La loi du pays autorise quelque chose, qu'en notre conscience (se référant à nos sources) nous nous interdisons formellement :

Ainsi, la consommation d'alcool ou de porc est autorisée par la législation française, mais en notre conscience nous nous l'interdisons formellement.

Nous ne consommons donc pas d'alcool ni de porc, et ce faisant, nous n'entrons aucunement en contradiction avec les lois françaises : celles-ci ne faisant qu'en autoriser et non rendre obligatoire la consommation, ne pas en consommer ne constitue nullement un manquement dans notre respect des lois du pays.

Certains concitoyens reprochent parfois aux français musulmans de s'interdire en leur conscience des choses de ce genre, comme par exemple le mariage avec des personnes non-musulmanes.

Or nous musulmans ne voyons absolument pas ce qu'il y aurait là de contraire aux lois du pays, puisque celles-ci permettent seulement un tel mariage. Nous avons le droit de considérer cela interdit et donc de ne pas y avoir recours, puisque chaque citoyen a le droit de s'interdire en son âme et conscience ce qu'il juge bon, du moment que cela ne porte pas atteinte aux libertés des autres. En effet, "nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n'ordonne pas" et "nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses". De nombreux citoyens catholiques continuent à considérer le divorce interdit en leur conscience, bien que la loi autorise celui-ci et qu'elle le fasse justement en se démarquant de ce qui se passait sous l'Ancien Régime. De même, de nombreux citoyens juifs s'interdisent en leur conscience le mariage avec des personnes non-juives, bien que la loi autorise celui-ci. Pourquoi est-ce en ce qui concerne les citoyens musulmans précisément que les choses devraient être différentes ?

----- B.1.2) La loi du pays n'impose ni n'interdit rien de quelque chose, que nous musulmans considérons obligatoire :

Ainsi en est-il du caractère obligatoire des 5 prières quotidiennes. En quoi le fait de respecter la loi française empêcherait-il de les accomplir ? Tant d'exemples autres que celui des 5 prières quotidiennes existent...

----- B.1.3) Nos sources ne disent rien de quelque chose (cela relève donc du "عَفوْ") alors que la loi du pays rend celle-ci obligatoire par mesure d'organisation :

Ainsi, conduire à droite est aussi permis en islam que conduire à gauche, mais les lois françaises obligent de conduire à droite. Des feux règlementent la circulation routière. Il faut avoir suivi telle formation et avoir obtenu tel diplôme pour pouvoir soit conduire un véhicule, soit exercer tel métier, etc.
Nous nous conformons aux lois du pays, et, ce faisant, nous n'entrons nullement en contradiction avec notre conscience puisque celle-ci ne fait que nous autoriser cette chose, et non pas nous la rendre obligatoire.

----- B.1.4) Nos sources ne disent rien de quelque chose (cela relève donc du  "عَفوْ") alors que la loi du pays l'interdit :

Nous appliquons ici la même solution qu'en B.1.3.

----- B.1.5) Nos sources ne disent rien de quelque chose alors que la loi du pays indique un certain nombre de conditions la concernant :

Ainsi, quand deux musulmans français font un contrat selon lequel l'un embauche l'autre, cela sous-entend que tous deux respecteront les conditions assorties à l'emploi de toute personne : par exemple que celle-ci aura droit à 5 semaines de congés payés suite à 1 an de travail. Cela constitue une condition édictée implicitement lors de la conclusion du contrat, ce qui est tout à fait possible en islam (voir notre article concernant les conditions édictées lors d'une transaction).

Certains musulmans pourraient dire, par rapport à ces cas B.1.3, B.1.4 et B.1.5 : un verset du Coran (Coran 9/31) et le commentaire que le Prophète en a fait (rapporté par at-Tirmidhî, n° 3095) nous enseignent que considérer interdit ce que Dieu a dit être permis, c'est faire de l'associationnisme avec Dieu (shirk).

Bien sûr. Mais ce n'est pas "considérer interdit ce que Dieu a dit être permis" (tahrîm ul-halâl) que d'avoir recours à la nécessaire réglementation du domaine "autorisé" (tanzîm al-mubâh), comme par exemple interdire de rouler à gauche, instaurer des normes de sécurité pour les bâtiments, des normes liées à la solidarité nationale, des règles pour l'usage des eaux, etc. Du point de vue de l'islam, cette réglementation est liée à la notion de la qiyâs ul-maslaha et repose sur les principes généraux de l'islam ("Lâ dharar wa lâ dhirâr").
Lire notre article sur le sujet : Que Dieu est le Législateur, cela n'implique pas qu'aucun humain ne puisse élaborer aucune loi.
Voir aussi Du'ât lâ qudhât, al-Hudhaybî, pp. 104-106, et Islâm aur jadîd mu'âsharatî massâ'ïl, Khâlid Saïfullâh, p. 43.
Lire aussi, ici, cet autre article : Quelle est la différence entre "faire une action donnée" : "a) avec l'objectif de Ta'abbud" / "b) avec l'objectif de Maslaha Shar'iyya" ?.

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Les 5 cas de figure évoqués jusqu'à présent ne constituent pas réellement des occasions où il y aurait une sorte de dilemme entre ce que disent les lois du pays et ce que dicte à un citoyen musulman sa conscience. En effet, dans ces 5 cas on agit conformément à celle-ci sans manquer à celle-là, et conformément à celle-là sans manquer à celle-ci.

Par contre, le cas suivant, B.2, est tel que la question se pose effectivement...

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--- Cas B.2) La loi du pays rend quelque chose obligatoire alors que nos sources nous l'interdisent formellement, ou nos sources rendent quelque chose obligatoire alors que la loi du pays nous l'interdit formellement. Ou bien nos sources ont désigné une façon précise (tarîq mu'ayyan) pour réaliser tel objectif (qui est nécessaire) alors que la loi du pays en désigne une autre :

Ici effectivement la question se pose.

Et 2 cas se présentent…

----- B.2.1) Soit il y a une pluralité de solutions offertes par la loi du pays :

Dans ce cas il s'agira d'orienter les musulmans vers la solution, dans la loi du pays, qui permet de pratiquer ce que disent nos sources.

Ainsi, une jeune musulmane qui porte le foulard ne peut plus le porter quand elle entre, en tant qu'élève, dans les salles de l'école publique. Il s'agira donc d'orienter cette jeune fille vers une école privée qui l'autorisera à porter ce foulard, ou à suivre des cours par correspondance. Les musulmans devraient également créer des écoles privées, similaires à celles que les protestants, les catholiques et les juifs ont créées.

----- B.2.2) Soit il n'y a qu'une solution offerte par la loi du pays :

Ainsi, les assurances commerciales sont interdites, et pourtant la loi de certains pays les rendent obligatoires pour des choses qui relèvent de la nécessité absolue (avoir un toit, etc.).
Dans ce cas nous ferons cette chose en gardant la croyance ('aqîda) que cette action est en soi (fî nafsihî) interdite, et que nous ne la faisons que parce qu'il y a contrainte (ik'râh), et en nous limitant au degré minimal rendu obligatoire par la loi (adh-dharûra tataqaddaru bi qad'r idh-dharûra). Les musulmans auront donc recours à ces assurances commerciales (dans leur degré minimal) en considérant ('aqîdatan) qu'elle demeure en soi interdite, mais qu'il y ont recours dans la pratique ('amalan) parce qu'ils subissent la contrainte à le faire.

Ici encore, certains musulmans pourraient invoquer le verset (Coran 9/31) et le Hadîth rapporté par at-Tirmidhî (n° 3095), qui enseignent que considérer permis ce que des hommes ont permis alors que Dieu l'a interdit, c'est faire de l'associationnisme avec Dieu (shirk). Ils pourraient dire que dans le cas d'une loi qui rend permis ce que Dieu a strictement interdit, le seul fait qu'un musulman s'y conforme au niveau de ses actes suffit pour qu'il quitte l'islam, sans considération pour ce qu'il considère en son âme et conscience ('aqîda).

A ces musulmans-là, al-Hudhaybî dit ceci : "cela dépend de la croyance, et non pas du seul acte qui n'est pas accompagné par la croyance" (Du'ât lâ qudhât, pp. 166-167). Al-Hudhaybî cite Ibn Taymiyya, qui, commentant ce verset 9/31, le commente par le hadîth de 'Adî ibn Hâtim, puis par le propos de Abu-l-Bakhtarî, puis par le propos de Abu-l-'Aliya. Ces explications font valoir que, certes, le verset classe comme "shirk" le fait de suivre un homme quand il déclare licite ce que Dieu a décrété illicite, et vice-versa. Cependant Ibn Taymiyya nuance et précise : "Et ces gens là qui ont pris leurs savants et leurs moines comme divinités, étant donné qu'ils les ont suivis dans le fait de déclarer licite ce que Dieu a rendu illicite et de déclarer illicite ce que Dieu a rendu licite, [le font] selon deux manièresL'une est qu'ils savent que [ces savants et moines] ont changé le dîn de Dieu puis qu'ils les suivent en ce changement, ayant alors comme croyance ("ya'taqidun") que ce Dieu a décrété illicite est devenu licite et que ce que Dieu a décrété licite est devenu illicite, par fait de suivre leurs chefs, tout en sachant qu'ils ont contredit le dîn des Messagers. Ceci est du kufr. Et Dieu et Son Messager l'ont déclaré du shirk, même s'ils ne prient pas et ne se prosternent pas devant eux. Aussi, celui qui suit autrui dans ce qui contredit le dîn tout en sachant que ceci est contraire au dîn, et a comme croyance ("i'taqada") ce que [cet autrui] a dit et non ce que Dieu et Son Messager ont dit, celui-là est mushrik comme ceux-là. La seconde est que leur croyance et leur foi soient établies quant au fait de considérer licite ce que [Dieu a décrété] licite et illicite ce que [Dieu a décrété] illicite, mais qu'ils suivent ces [prêtres et moines] dans la désobéissance à Dieu, comme le musulman commet ce qu'il commet de péchés dont il a la croyance que ce sont des péchés. Ceux-là ont le statut de leurs semblables parmi les gens du péché (…)" (MF 7/66-70).

Or, dans un cas de contrainte (ik'râh, contrainte reconnue comme telle en islam), il devient autorisé de faire ce qui, hors du cas de contrainte, aurait constitué un péché par rapport aux droits de Dieu. Al-Hudhaybî cite Ibn Hazm, selon l'avis de qui tout cas de contrainte rend autorisé ce qui constitue normalement un péché par rapport à ses devoirs vis-à-vis de Dieu : recevoir (de la part d'une personne dont on n'est pas certain qu'elle ne mettra pas sa menace à exécution) la menace d'être tué, ou d'être frappé, ou d'être emprisonné, ou de voir ses biens détruits ; de même, s'entendre dire que ces menaces – tuer, frapper, emprisonner, détruire des biens – seront exécutées sur un musulman autre que soi-même, ou sur quelqu'un d'autre (Al-Muhallâ, règles n° 1403, 1404, 1409 ; al-Hudhaybî cite cet avis de Ibn Hazm in Du'ât lâ qudhât, p. 118).

Quand on vit dans un pays, les lois qui déclarent quelque chose strictement obligatoire ou strictement interdit, et qui menacent le contrevenant d'emprisonnement etc. sont contraignantes ("muk'rih"). C'est pourquoi, dans le cas B.2.2 cité plus haut (c'est le seul cas où la question se pose), le musulman se conformera à ce que dit la législation du pays où il vit, considérant qu'il y a contrainte ("ik'râh"). Mais primo il gardera la considération voulue en son for intérieur ('aqîdatan) (et il considérera donc que cette action demeure en soi interdite ou obligatoire, conformément à ce que le Coran et la Sunna en disent). Et secundo il se conformera à la loi au degré minimal possible ("adh-dharûratu tataqaddaru bi qad'r idh-dharûra") (pour l'assurance commerciale il prendra donc le minimum obligatoire).
'Izz ud-Dîn ibn 'Abd is-Salâm écrit, parlant du détenteur de l'autorité : "Pas d'obéissance à quelqu'un dans ce qui constitue une désobéissance à Dieu. Et ce à cause de ce que la (désobéissance) recèle de mafsada destructrice dans les deux mondes ou dans l'un d'eux. Celui qui ordonne de faire ce qui constitue une désobéissance (à Dieu), on ne lui obéit pas. Sauf s'il exerce une contrainte à faire chose que la contrainte rend autorisé de faire : il n'y a alors pas de péché sur celui qui lui obéit.
[Obéir à cet humain en faisant
ce à quoi il contraint le musulman à le faire, alors même que cela constitue en soi une désobéissance à Dieu, cela devient en général autorisé.]
Obéir à cet (humain) [
en faisant ce à quoi il contraint le musulman à le faire, alors même que cela constitue en soi une désobéissance à Dieu, cela] devient même parfois obligatoire, non pas parce qu'il s'agit de l'ordre [donné par un humain] mais pour repousser la mafsada de ce dont il menace (...)" (Qawâ'ïd ul-ahkâm fî islâh il-anâm, 2/273).

Tout ceci n'empêche pas que, en tant que citoyen, en même temps qu'il se conforme en actes à une telle loi, le musulman exprime qu'il considère celle-ci injuste, et agisse dans la mesure qu'il peut. Ainsi le disons-nous notamment à propos de la loi contre le port du foulard par les usagers de l'école publique (cliquez ici et ici pour en savoir plus).

Les cas de contrainte, écrit encore Ibn Hazm, sont pris en considération en ce qui concerne les paroles et les actes qui deviennent autorisés en cas de nécessité absolue ("dharûra"). Par contre, d'autres actes sont tels que même s'il était l'objet d'un de ces cas de contrainte pour qu'il les fasse, le musulman ne pourrait pas les faire : imaginez par exemple que quelqu'un contraigne un musulman à tuer un innocent, en le menaçant de le tuer lui-même s'il n'obéit pas. Ici la contrainte ne peut pas être prise en considération, car "aucun texte ne permet au musulman de repousser l'injustice dont il peut être victime en se rendant coupable d'une injustice sur une tierce personne, laquelle ne lui a rien fait (…). Dans ce cas il ne reste à ce musulman qu'à (…) faire preuve de patience devant ce qui lui arrivera et qui était d'ailleurs prédestiné" (Al-Muhallâ, règle n° 1403, cité par al-Hudhaybî, Op. cit., pp. 117-118). Al-Qurtubî a relaté le consensus des ulémas sur cette question de ne pas avoir le droit, même sous la contrainte, de tuer quelqu'un d'autre (cité par al-Hudhaybî, Op. cit., p. 116). Al-Qâdhî 'Iyâdh a aussi relevé ce consensus (Shar'h Muslim, commentaire du Hadîth n° 2887). Bref, si quelqu'un contraint un musulman à tuer un innocent, le musulman ne peut, ici, obéir. Ceci nous amène à aborder la situation suivante...

Si le pouvoir exécutif ou l'assemblée législative du pays mobilise les citoyens pour aller au combat, que faire ?

Imaginez que les citoyens d'un pays donné soient mobilisés pour aller combattre un autre pays, dans le cadre d'une guerre injustifiée au regard des règles du Coran et la Sunna. En vertu des limites au cas de contrainte que nous venons de voir, les musulmans ne pourront pas participer à ce combat. Mais attention, ce n'est pas le fait de voir si en face il y a des musulmans qui soit seulement à prendre en considération : des innocents sont des innocents, musulmans ou pas.
Ne pouvant pas participer à ce genre de guerre contre des innocents, les citoyens musulmans se mettront-ils alors hors la loi ? Non pas : ils feront jouer la clause d'objection de conscience, prévue par le droit du pays dont ils sont les citoyens et qui, d'ailleurs, a été et est invoquée également par d'autres citoyens qu'eux.

Par contre, dans le cas où le combat de leur pays est purement défensif, faisant face à une invasion, alors les musulmans pourront-ils participer à celui-ci ? Cheikh Khâlid Saïfullâh a écrit que Oui, se fondant sur le fait que les musulmans établis en Abyssinie (une "Dâr ul-Amn") à l'époque du Prophète s'étaient mobilisés aux côtés du Négus face à celui qui voulait s'en prendre à ce dernier (pour la règle écrite par Khâlid Saïfullâh, voir Islâm aur jadîd ma'âshî massâ'ïl, p. 80 ; pour l'événement historique, voir Le Prophète de l'islam, sa vie son œuvre, Muhammad Hamidullah, tome 1 p. 279). Cependant, as-Sarakhsî a énoncé comme nuance à cela qu'il doit s'agir du cas où la sécurité physique des musulmans vivant dans ce pays non-musulman est menacée : "وإذا كان قوم من المسلمين مستأمنين في دار الحرب*، فأغار على تلك الدار قوم من أهل الحرب**، لم يحلّ لهؤلاء المسلمين أن يقاتلوهم؛ لأن في القتال تعريض النفس، فلا يحلّ ذلك إلا على وجه إعلاء كلمة الله عز وجل وإعزاز الدين، وذلك لا يوجد ههنا لأن أحكام أهل الشرك غالبة فيهم فلا يستطيع المسلمون أن يحكموا بأحكام أهل الاسلام، فكان قتالهم في الصورة لاعلاء كلمة الشرك، وذلك لا يحلّ. إلا أن يخافوا على أنفسهم من أولئك، فحينئذ لا بأس بأن يقاتلوهم للدفع عن أنفسهم، لا لإعلاء كلمة الشرك. والأصل فيه حديث جعفر رضي الله عنه، فإنه قاتل بالحبشة مع العدو الذي كان قصد النجاشي؛ وإنما فعل ذلك لأنه لما كان مع المسلمين يومئذ آمنا عند النجاشي، فكان يخاف على نفسه وعلى المسلمين من غيره؛ فعرفنا أنه لا بأس بذلك عند الخوف" (Al-Mabsût, bâb ul-murtaddîn) (* أي دار الكفر والأمن) (** أي قوم من دار كافرة أخرى). La raison en est que le musulman peut repousser (daf'), au besoin par les armes, celui qui menace sa vie ou ses biens : "عن أبي هريرة، قال: جاء رجل إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: "يا رسول الله، أرأيت إن جاء رجل يريد أخذ مالي؟" قال: "فلا تعطه مالك". قال: "أرأيت إن قاتلني؟" قال: "قاتله". قال: "أرأيت إن قتلني؟" قال: "فأنت شهيد". قال: "أرأيت إن قتلته؟" قال: "هو في النار" (Muslim, 140) (défendre sa vie est obligatoire face à une agression - sawla - si l'agresseur est non-musulman, de même que si - d'après Abû Hanîfa - l'agresseur est musulman ; et défendre son bien matériel est autorisé d'après la majorité des mujtahidûn).
On peut également adjoindre au cas mentionné par as-Sarakhsî : le cas où l'envahisseur va faire passer les musulmans dans une situation moins bonne, pour ce qui est de leur liberté de croyances et de pratique, que celle qui prévalait jusqu'alors.

En tous cas, face à un cas concret, ce seront les muftis des musulmans du pays qui se prononceront, avec impartialité et avec le sentiment de responsabilité devant Dieu.

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Pour aller plus loin : 7 articles complémentaires :

--- Pays non-musulmans : peut-on continuer à y habiter, ou bien est-il obligatoire d'en émigrer ?

--- Lorsque le prophète Joseph (sur lui soit la paix) s'était engagé à l'intérieur d'un Système où la Loi (دِين) en vigueur n'était pas celle que Dieu agrée.

--- Qu'est-ce que déclarer "illicite" ce que Dieu a déclaré "licite" (تحريم الحلال) ? - Le détenteur de l'autorité interdit (à ceux sur qui il a autorité) de faire quelque chose que Dieu a déclaré licite : est-ce du Tahrîm ul-halâl ?

--- Qu'est-ce que le détenteur de l'autorité a-t-il prérogative à ordonner et à interdire ? Peut-il ordonner à ceux sur qui il a autorité de faire ce que Dieu n'a, Lui, pas décrété obligatoire ? et leur interdire de faire ce que Dieu, Lui, n'a pas décrété "interdit" ? 

--- Question d'un concitoyen non-musulman : "Demeure-t-il fidèle à la République française, celui qui trouve une loi française injuste ?"

--- Communautarisme, Pluriculturalisme ou Jacobinisme (et jusqu'où) ? - "Religionisation" ou Sécularisation/ Laïcisation (et jusqu'où) ?

--- Se joindre à une armée qui agit pour l'injustice, est-ce autorisé ? est-ce excusé ?

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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