Question :
On dit qu'il existerait un gène de la violence, qui fait que certaines personnes naissent avec un penchant pour la violence, ce qui fait qu'elles ne sont pas entièrement responsables de ce qu'elles font. On parle aussi d'autres gènes qui seraient la cause d'autres types de comportements inacceptables. Qu'est-ce que l'islam dit à ce sujet ?
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Réponse :
La question que vous posez est la suivante : est-ce que les penchants de l'homme ne seraient-ils pas, en réalité, la manifestation d'une simple infrastructure biologique ? En d'autres termes, est-ce que ce que les hommes qualifiaient de qualités ou de défauts ne serait pas déterminé par ses gènes et ses hormones ? L'altruisme ou l'égoïsme, la violence ou le pacifisme, l'anxiété ou la sérénité ne seraient-ils pas les produits de gènes présents chez les uns et pas chez les autres ? Ci-après l'extrait d'un article sur le sujet...
"La méchanceté, l'égoïsme, la timidité ou pourquoi pas, l'avarice, pourraient-ils passer de génération en génération ? Tel père tel fils, affirme un vieux dicton. Mais si un enfant d'alcoolique boit, est-ce parce qu'il avait dès le départ une attirance vers l'alcool, ou parce qu'il a grandi au milieu des bouteilles de whisky ?
C'est l'éternel débat, toujours virulent, entre les partisans de l'inné, pour lesquels tout est écrit dès la naissance, et ceux de l'acquis, pour lesquels seule l'expérience et le milieu forgent la personnalité. Débat resté stérile jusqu'à présent, faute de preuves décisives. Mais ce statu quo pourrait bien voler en éclats. Car les généticiens reconnaissent de plus en plus que des gènes peuvent influencer certains traits de la personnalité et du comportement. Armés jusqu'aux dents grâce à la biologie moléculaire, ils se sont donc mis en tête d'identifier ces gènes et même de déterminer les responsabilités respectives de l'ADN et de l'environnement.
Une mission délicate, car nos traits de personnalité, contrairement aux caractères physiques, se prêtent mal à l'étude. Il est tout d'abord difficile de les définir avec précision, de les décrire objectivement. La méchanceté, l'égoïsme ou la timidité, décidément trop subjectifs, sont impossibles à appréhender. (…) Autre écueil : nos traits de personnalité sont sous l'influence directe de l'histoire vécue par chacun d'entre nous. A la différence des caractères physiques, ils n'apparaissent pas bruts de coffrage dès la naissance. L'acquis et l'inné se révèlent donc plus complices qu'ennemis. (…) Dans la plupart des cas, on a recours à des études sur les jumeaux. Issus du même œuf coupé en deux par un caprice de la nature, les "vrais jumeaux" ont un patrimoine génétique identique. On détermine la fréquence moyenne avec laquelle les deux alter ego adoptent tous les deux un comportement ou un trait de caractère donné. On compare ces résultats à ceux enregistrés chez deux frères ou deux sœurs génétiquement différents. Si les jumeaux obtiennent une fréquence plus forte que les autres enfants, ce trait a des chances d'avoir une part génétique à la base. Pour affiner ces études, d'autres types d'observation sont effectués sur des jumeaux adoptés dans des familles différentes, pour mieux comparer l'influence du milieu sur la personnalité." Evoquant ensuite les problèmes de méthodologie, l'article conclut : "Loin de baisser les bras, les chercheurs multiplient au contraire les mesures, les études et… le nombre des machines. (…) (Le but de certains de ces chercheurs ?) Démontrer que les gènes influencent le comportement de façon inéluctable, fabriquant à coup sûr des alcooliques ou des voyous.
Or les études sur les jumeaux, entre autres, ont définitivement balayé cette théorie. La fatalité génétique n'existe pas. Même avec une "prédisposition" pour un comportement, c'est l'environnement qui est déterminant pour l'épanouissement de la personnalité. Bien souvent, l'amélioration du milieu suffit d'ailleurs à sauver les personnes "à risque"" (Science et vie junior, dossier hors série n° 18, pp. 38-39).
Que la présence de certains gènes soit un facteur prédisposant à un certain type de comportement est un fait qui existe peut-être. Mais peut-on dire que la présence d'un gène entraîne à coup sûr ce comportement ?
Non, car plusieurs autres facteurs entrent aussi en jeu :
– 1) l'éducation que la personne a reçue dans son enfance. En effet, car s'il y a certes le génotype – c'est l'ensemble des gènes –, il y a aussi l'environnement dans lequel l'enfant a grandi et qui a modelé aussi bien son physique que son comportement. Génotype d'une part, éducation parentale et sociale d'autre part donnent le comportement tel qu'il est ;
– 2) l'éducation que, tout au long de sa vie, la personne se donne à elle-même et qu'elle reçoit de ses proches, de ses amis et de la société est à même d'améliorer son caractère et son comportement ; cette éducation est possible même si elle n'est pas aussi déterminante que celle reçue dans la petite enfance. Voir au sujet de l'éducation que l'homme reçoit dans son enfance et tout au long de sa vie le dossier de Ca m'intéresse, n° 146 (pp. 36-42) ;
– 3) la possibilité qu'a la personne de maîtriser, par sa volonté, une pulsion qu'elle ressent au fond de son être.
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L'éducation de sa personne (tarbiyat un-nafs) :
Au niveau du point 2, il est intéressant d'évoquer ce qu'en islam on nomme l'éducation de sa personne (tarbiyat un-nafs) : il s'agit justement d'améliorer ses traits de caractère (parfois avec l'accompagnement d'un maître) : corriger un caractère colérique se fait en appliquant systématiquement les faits suivants : on s'assoit si on était debout, on fait les ablutions, etc. ; corriger une avarice se fait en s'efforçant de dépenser (sans manquer à ses devoirs vis-à-vis de sa famille) ; etc.
Lire nos deux articles sur le sujet :
--- Purifier son âme : de quoi ? comment ? ;
--- Des qualités à développer en soi.
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Conclusion :
Il est possible que la présence d'un gène précis chez un homme donné constitue un facteur prédisposant à un certain type de comportement.
Mais un homme n'est pas qu'un génotype, il est formé de l'inné et de l'acquis, et ces deux dimensions sont si intimement enchevêtrées en lui qu'il est très difficile de distinguer l'une de l'autre.
La présence d'une prédisposition génétique constitue peut-être une circonstance atténuante, mais l'homme pourrait-il l'invoquer pour se dédouaner d'un geste déviant qu'il aurait eu ? Jean-Didier Vincent fait part de ses craintes : "Et s'il existait un chromosome de la violence ? Ce n'est pas moi, c'est mon génome, dira l'accusé. Dans une société qui manque de repères, la biologie peut favoriser la déresponsabilisation, et la mécanique des gènes se substituer à l'éthique" (Le Point n° 1377, p. 185).
Plusieurs autres facteurs que le génome entrent donc également en jeu dans le comportement de l'homme : il y a l'éducation parentale et sociale qu'il a reçue dans sa petite enfance, il y a encore l'éducation qu'il se donne et qu'il continue de recevoir tout au long de sa vie, il y a enfin la volonté, qui lui permet de maîtriser une pulsion qui apparaît au fond de son être, cette volonté dont Rousseau disait : "La volonté [de l'homme] parle encore quand la nature se tait".
Si un frère présente un penchant vers ce qui n'est pas acceptable, il ne faut pas se dire : "Le pauvre, c'est génétique chez lui !", car même s'il s'avérait qu'il possédait un gène précis, il ne faut pas oublier que l'homme n'est pas qu'un ensemble de gènes, chez lui inné et acquis sont très imbriqués, et l'éducation constitue une part importante de sa personnalité.
Il ne faut pas non plus se dire : "Le pauvre, il a grandi comme ça !", car l'éducation se fait tout au long de la vie, et les autres frères doivent l'accompagner ("tarbiyat un-nafs").
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).