(La lecture de cet article sera impérativement précédée de celle des deux article suivants :
- "Tawhîd ur-rubûbiyya" & "Tawhîd ul-ulûhiyya"
- Les Mushrikûn adhèrent-ils à "aslu tahwîd ir-rubûbiyya" ?)
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Dieu, dans le Coran, reproche à des chrétiens que "اتَّخَذُواْ أَحْبَارَهُمْ وَرُهْبَانَهُمْ أَرْبَابًا مِّن دُونِ اللّهِ وَالْمَسِيحَ ابْنَ مَرْيَمَ وَمَا أُمِرُواْ إِلاَّ لِيَعْبُدُواْ إِلَهًا وَاحِدًا لاَّ إِلَهَ إِلاَّ هُوَ سُبْحَانَهُ عَمَّا يُشْرِكُونَ" : "ils ont pris leurs érudits et leurs moines, ainsi que le Messie fils de Marie, comme des rabb en dehors de Dieu" (Coran 9/31). 'Adî ibn Hâtim, alors encore chrétien, fut intrigué par le contenu de ce verset : il n'avait pas le sentiment d'avoir divinisé certains des docteurs et des saints reconnus dans le christianisme. Il fit donc objection par rapport à ce verset au prophète Muhammad (sur lui la paix) : "حدثنا أبو كريب وابن وكيع قالا حدثنا مالك بن إسماعيل؛ وحدثنا أحمد بن إسحاق قال حدثنا أبو أحمد جميعا، عن عبد السلام بن حرب قال، حدثنا غطيف بن أعين، عن مصعب بن سعد، عن عدي بن حاتم قال: أتيت رسول الله صلى الله عليه وسلم وفي عنقي صليب من ذهب، فقال: "يا عدي، اطرح هذا الوثن من عنقك!" قال: فطرحته. وانتهيت إليه وهو يقرأ في "سورة براءة"، فقرأ هذه الآية: (اتخذوا أحبارهم ورهبانهم أربابا من دون الله). قال قلت: "يا رسول الله، إنا لسنا نعبدهم!" فقال: "أليس يحرمون ما أحل الله فتحرمونه، ويحلون ما حرم الله فتحلونه؟" قال: قلت: "بلى!" قال: "فتلك عبادتهم"!".
L'objection qu'il fit fut la suivante : "Nous ne les divinisons pas !".
Le Prophète lui répondit ceci : "N'y a-t-il pas que (lorsque) ils déclarent illicite ce que Dieu a déclaré licite, vous ne le considérez pas illicite, et (lorsque) ils déclarent licite ce que Dieu a déclaré illicite, vous le considérez licite ? – Si ! – C'est là les diviniser" (rapporté par at-Tabarî dans son Tafsîr, n° 16332).
A) Voici donc l'explication que le prophète Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue) a donnée de ce verset : le moyen par lequel ces chrétiens font la 'Ibâda de docteurs de l'Eglise et de saints (d'où un Shirk akbar fi-l-'ibâda, encore appelé Shirk Akbar fi-l-Ulûhiyya) est de considérer que ceux-ci ont la faculté de légiférer de façon totalement absolue par rapport à Dieu ; et considérer ce qu'ils ont déclaré licite comme étant devenu licite même si Dieu l'a déclaré illicite, et vice-versa. (On voit ici que, parfois, le terme "Rabb" est utilisé avec un sens très général, étant alors synonyme de "ilâh".)
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B) Cependant, par ailleurs ces chrétiens considéraient également ces docteurs et ces saints comme des Rabb (cette fois au sens particulier, et premier, du terme), d'où aussi, de leur part, un Shirk Akbar fi-r-Rubûbiyya (ce qui entraîne automatiquement un Shirk Akbar fi-l-Ulûhiyya).
En effet, les chrétiens qui invoquent ceux qu'ils déclarent saints, ces chrétiens-là ont comme croyance que Dieu le Créateur a confié à ces saints, après leur mort, le pouvoir de gérer de façon autonome (bi-listiqlâl) certaines choses de l'univers.
Ils les appellent des "saints patrons", ayant donc patronage, c'est-à-dire protection, sur tel métier ou telle région, ou contre telle maladie ou telle affliction.
Les modèles suivants d'invocations sont ainsi relatés de personnalités chrétiennes :
– "Martin, nous venons à toi, Soldat de Dieu, apôtre du Christ,
témoin de son Evangile et pasteur de son Eglise.
Nous te prions : tu étais présent à Dieu
dans le grand silence des nuits solitaires.
Donne-nous de Lui rester fidèles dans la foi et la prière.
Catéchumène, tu donnas au mendiant la moitié de ton manteau, aide-nous à partager avec nos frères.
A travers champs et bois, tu as défié le démon et détruit ses idoles.
Prends-nous en ta garde et protège-nous du mal.
Au soir de ta vie, tu n'as point refusé le poids des jours et des travaux.
Fais que nous soyons dociles à la volonté du Père.
Au ciel de gloire, tu jouis de ton repos dans la maison de Dieu.
Mets en nos coeurs le désir de te rejoindre et de connaître près de toi la joie de l'éternité bienheureuse."
– "Saint Pérégrin, protège-nous [du cancer] !"
– "Patron de ceux qui se confient à vous, Grand Saint Antoine de Padoue, je viens vous demander non l'abondance et non pas aussi la pauvreté, craignant que l'une ne m'entraîne à la vanité et l'autre à l'impatience, au chagrin et au désespoir. Mais je vous demande une honnête suffisance des choses nécessaires à l'entretien de ma vie et de ma famille.
Je suis composé de corps et d'âme ; le corps a besoin de nourriture et de vêtements ; la grâce nécessaire à l'âme pour vivre d'esprit et servir Dieu qui Est Esprit.
Tous deux sont exposés à beaucoup d'infirmités. Saint Antoine de Padoue, Père des pauvres, assistez-moi, délivrez-moi de tout ce qui peut me nuire de l'un et de l'autre."
Voilà donc une autre explication du verset suscité : "اتَّخَذُواْ أَحْبَارَهُمْ وَرُهْبَانَهُمْ أَرْبَابًا مِّن دُونِ اللّهِ وَالْمَسِيحَ ابْنَ مَرْيَمَ وَمَا أُمِرُواْ إِلاَّ لِيَعْبُدُواْ إِلَهًا وَاحِدًا لاَّ إِلَهَ إِلاَّ هُوَ سُبْحَانَهُ عَمَّا يُشْرِكُونَ" : "ils ont pris leurs érudits et leurs moines, ainsi que le Messie fils de Marie, comme des Rabb en dehors de Dieu" (Coran 9/31) : en attribuant à des docteurs et à des saints une part de gestion de l'univers, et en leur adressant donc des invocations de demande d'aide métaphysique (Du'â' ul-Mas'alah), ils leur accordaient donc une part de Asl ur-Rubûbiyya aussi. Ils les prenaient donc comme Rabb (cette fois au sens particulier, et premier, du terme) en dehors de Dieu, et n'avaient pas reconnaissance du Tahwîd ullâh fi-l-Hukm it-Takwînî : ils croyaient que ce que l'invoquant leur demande de faire, ces êtres le réalisent (takwîn) eux-mêmes, de façon autonome par rapport à Dieu, Qui leur a conféré cette autonomie.
Il existe aussi, chez eux, le fait de croire que ces êtres ne réalisent rien, et ne font que transmettre à Dieu le Créateur les demandes que le serviteur leur adresse, et que c'est Dieu qui réalise ce que ces êtres Lui demandent de réaliser ; cependant, Dieu réalise systématiquement ce que ces êtres Lui demandent de réaliser, parce qu'Il aime trop ces êtres. Cela constitue pour sa part du Shirk Akbar billâh fi-l-ulûhiyya qui ne touche pas à la Rubûbiyya, et cela constitue du Shirk Akbar parce que la personne croit que ces êtres entendent tout là où ils se trouvent.
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Ces chrétiens en deviennent-ils pour autant "Polythéistes", "Mushrikûn" ? ou bien demeurent-ils "Gens du Livre", "Ahl ul-kitâb" ?
– Quand on questionnait Abdullâh ibn Omar au sujet du mariage avec une chrétienne [post-nicéenne], il disait : "Dieu a interdit que les musulmans se marient avec des femmes polythéistes. Or je ne connais pas de polythéisme (shirk) plus grand qu'une personne dise que son Rabb est Jésus, alors qu'il n'est qu'un serviteur parmi les serviteurs de Dieu" : "عن نافع، أن ابن عمر، كان إذا سئل عن نكاح النصرانية واليهودية قال: "إن الله حرم المشركات على المؤمنين، ولا أعلم من الإشراك شيئا أكبر من أن تقول المرأة "ربها عيسى"، وهو عبد من عباد الله" (rapporté par al-Bukhârî, n° 4981). Et Ibn Omar ne parlait pas d'un simple caractère déconseillé mais bien d'une interdiction (Fat'h ul-bârî 9/515). Il considérait donc que la licité du mariage avec une nasrâniyya ne concerne que la nasrâniyya qui ne divinise pas Jésus (Ibid.).
– Or ceci est un avis… complètement isolé (tafarrud) de Ibn Omar !
Ibn Hajar écrit en effet à propos de cet avis de Ibn Omar : "وقد قيل أن بن عمر شذ بذلك فقال بن المنذر لا يحفظ عن أحد من الأوائل أنه حرم ذلك" : "Il a été dit que Ibn Omar a eu ici un avis isolé. Car Ibn ul-Mundhir a dit : "Il n'est rapporté d'aucun des Anciens qu'il ait interdit cela"" (Fat'h ul-bârî 9/515-516).
Ibn Taymiyya écrit que la licité du mariage avec une telle chrétienne [sous réserve que les autres conditions soient aussi remplies, bien sûr, et sans oublier que d'après des ulémas, un tel mariage est fortement déconseillé], cela est "l'avis de la grande majorité des ulémas des temps anciens et suivants, parmi les quatre imams et les autres", avant de citer ensuite le propos de Ibn Omar rapporté par al-Bukhârî comme étant différent (MF 14/91 et 32/178 : "نكاح الكتابية جائز بالآية التي في المائدة قال تعالى: {وطعام الذين أوتوا الكتاب حل لكم وطعامكم حل لهم والمحصنات من المؤمنات والمحصنات من الذين أوتوا الكتاب من قبلكم}. وهذا مذهب جماهير السلف والخلف من الأئمة الأربعة وغيرهم | وقد روي عن ابن عمر: أنه كره نكاح النصرانية وقال: "لا أعلم شركا أعظم ممن تقول: إن ربها عيسى ابن مريم"؛ وهو اليوم مذهب طائفة من أهل البدع").
Dans un autre ouvrage, Ibn Taymiyya écrit :
"ومثل هذا لا تثبت به شريعة؛ كسائر ما ينقل عن آحاد الصحابة في جنس العبادات أو الإباحات أو الإيجابات أو التحريمات إذا لم يوافقه غيره من الصحابة عليه، وكان ما يثبت عن النبي صلى الله عليه وسلم يخالفه لا يوافقه: لم يكن فعله سنة يجب على المسلمين اتباعها؛ بل غايته أن يكون ذلك مما يسوغ فيه الاجتهاد ومما تنازعت فيه الأمة فيجب رده إلى الله والرسول. ولهذا نظائر كثيرة" :
"Chose semblable n'est pas (suffisante) pour qu'une réglementation en soit établie. Comme tout ce qui est relaté d'un Compagnon et qui relève du genre des 'ibâdât, ou des choses autorisées, ou des choses obligatoires, ou des choses interdites, (mais) par rapport à quoi les autres Compagnons n'ont pas été d'accord avec lui et par rapport à quoi ce qui est établi du Prophète (sur lui la paix) le contredit : cela n'est alors pas une sunna qu'il serait obligatoire aux musulmans de suivre. Tout ce qui peut alors être dit est que cela relève des questions ijtihâdî et de ce au sujet de quoi la Umma a eu des avis divergents ; il faut alors renvoyer cela à Dieu [au Coran] et à Son Messager [à la Sunna]". Et parmi tous les exemples de tels avis que Ibn Taymiyya a cités ensuite comme relevant de cette catégorie, il y a "وقول ابن عمر: إن الكتابية لا يجوز نكاحها" : "l'avis de Ibn Omar disant qu'il n'est pas autorisé de se marier avec une femme "gens du livre"" (MF 1/278-279, puis 283 ; Qâ'ida jalîla fi-t-tawassul wa-l-wassîla, p. 134 puis p. 138).
Car quand on lit attentivement ce que le Coran et la Sunna disent sur le sujet, on s'aperçoit qu'ils disent bien du chrétien ayant divinisé Jésus et/ou qui croit en la Trinité qu'il fait partie des Gens du Livre. Nous avons exposé les passages du Coran et de la Sunna qui le prouvent dans notre article : "Les "Chrétiens Trinitaires" font-ils partie des "Nassârâ" et des "Gens du Livre" ? ou des "Mushrikûn", des Polythéistes ?"
Ibn Taymiyya explique que certes, ces chrétiens font acte de shirk akbar, mais ils restent malgré tout distincts des mushrikûn [dans leur cas cela n'a rien à voir avec la réalisation de iqâmat ul-hujja ou pas], et demeurent ahl ul-kitâb.
Ibn Taymiyya écrit que :
– certes, ces Chrétiens font du shirk akbar, comme cela a été dit dans le Coran ; tous les musulmans savent cela ;
– cependant, ces Chrétiens ne sont pas inclus dans le nom coranique "alladhîna ashrakû" ("les Polythéistes"), comme ils ne le sont pas dans "al-yahûd" ("les Juifs") ; cela aussi a été dit dans le Coran ; et tous les musulmans savent cela également :
"وأما كون النصارى فيهم شرك، كما ذكره الله، فهذا متفق عليه بين المسلمين، كما نطق به القرآن. كما أن المسلمين متفقون على أن قوله {لتجدن أشد الناس عداوة للذين آمنوا اليهود والذين أشركوا ولتجدن أقربهم مودة للذين آمنوا الذين قالوا إنا نصارى} أن النصارى لم يدخلوا في لفظ "الذين أشركوا" كما لم يدخلوا في لفظ "اليهود" (Al-Jawâb us-sahîh, 2/50).
Or, dans ce verset qu'il a cité, Ibn Taymiyya reconnaît bien qu'il parle aussi bien des chrétiens demeurés - ou devenus - sur le pur monothéisme que les chrétiens étant kâfir :
"وأما قوله في أول الآية: {لتجدن أشد الناس عداوة للذين آمنوا اليهود والذين أشركوا ولتجدن أقربهم مودة للذين آمنوا الذين قالوا إنا نصارى}، فهو كما أخبر سبحانه وتعالى. فإن (...) النصارى أقرب مودة لهم (...). وأما النصارى فليس في الدين الذي يدينون به عداوة ولا بغض لأعداء الله الذين حاربوا الله ورسوله وسعوا في الأرض فسادا، فكيف بعداوتهم وبغضهم للمؤمنين المعتدلين أهل ملة إبراهيم، المؤمنين بجميع الكتب والرسل؟ وليس في هذا مدح للنصارى بالإيمان بالله، ولا وعد لهم بالنجاة من العذاب، واستحقاق الثواب؛ وإنما فيه أنهم أقرب مودة.
وقوله تعالى: {ذلك بأن منهم قسيسين ورهبانا وأنهم لا يستكبرون}: أي بسبب هؤلاء، وسبب ترك الاستكبار، يصير فيهم من المودة ما يصيرهم بذلك خيرا من المشركين وأقرب مودة من اليهود والمشركين.
ثم قال تعالى: {وإذا سمعوا ما أنزل إلى الرسول ترى أعينهم تفيض من الدمع مما عرفوا من الحق}: فـهؤلاء الذين مدحهم بالإيمان ووعدهم بثواب الآخرة. والضمير، وإن عاد إلى المتقدمين، فالمراد جنس المتقدمين، لا كل واحد منهم" (Al-Jawâb us-sahîh, 2/47).
Ibn Taymiyya écrit aussi :
"ولم يخبر الله عز وجل عن أهل الكتاب أنهم مشركون بالاسم بل قال: "عما يشركون" بالفعل؛ وآية البقرة قال فيها: "المشركين والمشركات" بالاسم؛ والاسم أوكد من الفعل" :
"Dieu n'a pas dit des Gens du Livre [il s'agit ici des Chrétiens spécifiquement]qu'ils sont "Polythéistes" ("mushrik"), employant un nom, mais a dit qu'ils "ont fait acte d'associationnisme ("shirk"), employant un verbe (…). Or le nom véhicule un sens plus accentué que celui que véhicule le verbe" : (MF 14/93).
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Pourquoi ces Chrétiens sont-ils donc distingués des Polythéistes, bien qu'ayant des croyances de shirk akbar et faisant des actions de shirk akbar ?
Parce que, comme l'a aussi écrit Ibn Taymiyya, le christianisme post-nicéen constitue "une religion composite, (formée) de la religion des monothéistes et de la religion de polythéistes" :
"وأما قدماء اليونان فكانوا مشركين من أعظم الناس شركا وسحرا يعبدون الكواكب والأصنام ولهذا عظمت عنايتهم بعلم الهيئة والكواكب لأجل عبادتها. وكانوا يبنون لها الهياكل وكان آخر ملوكهم بطليموس صاحب "المجسطي". ولما دخلت الروم في النصرانية فجاء دين المسيح صلوات الله عليه وسلامه أبطل ما كانوا عليه من الشرك. ولهذا بدل مَن بدّل دين المسيح فوضع دينا مركبا من دين الموحدين ودين المشركين. فإن أولئك كانوا يعبدون الشمس والقمر والكواكب ويصلون لها ويسجدون؛ فجاء قسطنطين ملك النصارى ومن اتبعه فابتدعوا الصلاة إلى المشرق وجعلوا السجود إلى الشمس بدلا عن السجود لها. وكان أولئك يعبدون الأصنام المجسدة التي لها ظل؛ فجاءت النصارى وصورت تماثيل القداديس في الكنائس وجعلوا الصور المرقومة في الحيطان والسقوف بدل الصور المجسدة القائمة بأنفسها التي لها ظل" (MF 17/331).
L'historien Will Durant a écrit en substance la même chose : "Le christianisme n'a pas détruit le paganisme ; il l'a adopté. (...) Les mystères grecs vinrent se fixer dans l'impressionnant mystère de la messe. D'autres cultures païennes ont contribué au résultat syncrétiste" (Histoire de la civilisation).
Ibn Taymiyya explique :
"فليسوا على التوحيد المحض؛ وليسوا كالمشركين الذين يعبدون الأوثان ويكذبون الرسل. فلهذا جعلهم الله نوعا من غير المشركين تارة؛ وذمهم على ما أحدثوه من الشرك تارة" :
"Ils ne sont pas sur le pur monothéisme ; et ils ne sont pas non plus semblables aux polythéistes qui adorent les idoles et traitent de menteurs les envoyés de Dieu. Voilà pourquoi Dieu a tantôt parlé des Chrétiens comme étant différents des Polythéistes ; et tantôt leur a reproché le shirk qu'ils ont innové" (Al-Jawâb us-sahîh, 2/49).
Ibn Taymiyya écrit encore :
"والجواب عن آية البقرة من ثلاثة أوجه. أحدها أن أهل الكتاب لم يدخلوا في المشركين فجعل أهل الكتاب غير المشركين بدليل قوله:{إن الذين آمنوا والذين هادوا والصابئين والنصارى والمجوس والذين أشركوا} .
فإن قيل: فقد وصفهم بالشرك بقوله: {اتخذوا أحبارهم ورهبانهم أربابا من دون الله والمسيح ابن مريم وما أمروا إلا ليعبدوا إلها واحدا لا إله إلا هو سبحانه عما يشركون}.
قيل: أهل الكتاب ليس في أصل دينهم شرك؛ فإن الله إنما بعث الرسل بالتوحيد فكل من آمن بالرسل والكتب لم يكن في أصل دينهم شرك؛ ولكن النصارى ابتدعوا الشرك كما قال: {سبحانه وتعالى عما يشركون}؛ فحيث وصفهم بأنهم أشركوا فلأجل ما ابتدعوه من الشرك الذي لم يأمر الله به؛ وحيث ميزهم عن المشركين فلأن أصل دينهم اتباع الكتب المنزلة التي جاءت بالتوحيد لا بالشرك.
فإذا قيل"أهل الكتاب"، لم يكونوا من هذه الجهة مشركين؛ فإن الكتاب الذي أضيفوا إليه لا شرك فيه. كما إذا قيل "المسلمون وأمة محمد" لم يكن فيهم من هذه الجهة لا اتحاد ولا رفض ولا تكذيب بالقدر ولا غير ذلك من البدع، وإن كان بعض الداخلين في الأمة قد ابتدع هذه البدع؛ لكن أمة محمد صلى الله عليه وسلم لا تجتمع على ضلالة فلا يزال فيها من هو متبع لشريعة التوحيد؛ بخلاف أهل الكتاب. ولم يخبر الله عز وجل عن أهل الكتاب أنهم مشركون بالاسم بل قال: "عما يشركون" بالفعل؛ وآية البقرة قال فيها: "المشركين والمشركات" بالاسم؛ والاسم أوكد من الفعل"
"Il n'y a pas, dans la religion originelle des Gens du livre, de shirk (…). Mais les Chrétiens ont rajouté du shirk, comme Dieu l'a dit : " Pureté à Lui de ce qu'ils associent". Là où Dieu dit qu'ils ont fait du shirk, c'est parce qu'ils en ont rajouté. Et là où Dieu a fait une distinction entre eux et les Polythéistes, c'est parce que leur religion originelle est de suivre les livres révélés, lesquels enseignent le monothéisme et non l'associationnisme" (MF 14/91-93 ; 32/178).
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Bien que Kâfir, ces Chrétiens là sont donc distincts des Mushrikûn. Par ailleurs, ils ont des qualités de cœur que Dieu agrée et veut (ridhâ) de la part des humains :
"وَلَتَجِدَنَّ أَقْرَبَهُم مَّوَدَّةً لِّلَّذِينَ آمَنُوا الَّذِينَ قَالُوا إِنَّا نَصَارَى ذَلِكَ بِأَنَّ مِنْهُمْ قِسِّيسِينَ وَرُهْبَانًا وَأَنَّهُمْ لَا يَسْتَكْبِرُونَ" : "Et tu trouveras être les plus proches en affection, parmi les (hommes), pour ceux qui croient [= pour les musulmans] : ceux qui disent : "Nous sommes chrétiens". Cela à cause du fait que parmi eux il y a des prêtres et des moines et (à cause du fait) que (ces chrétiens) ne s'enorgueillissent pas [par rapport à l'acceptation de la vérité]" (Coran 5/82). "مِنْهُمْ قِسِّيسِينَ وَرُهْبَانًا} أي علماء متزهدين، وعُبَّادًا في الصوامع متعبدين. والعلم مع الزهد وكذلك العبادة مما يلطف القلب ويرققه، ويزيل عنه ما فيه من الجفاء والغلظة" (Tafsîr us-Sa'dî).
"ثُمَّ قَفَّيْنَا عَلَىٰ آثَارِهِم بِرُسُلِنَا وَقَفَّيْنَا بِعِيسَى ابْنِ مَرْيَمَ وَآتَيْنَاهُ الْإِنجِيلَ وَجَعَلْنَا فِي قُلُوبِ الَّذِينَ اتَّبَعُوهُ رَأْفَةً وَرَحْمَةً وَرَهْبَانِيَّةً ابْتَدَعُوهَا مَا كَتَبْنَاهَا عَلَيْهِمْ إِلَّا ابْتِغَاءَ رِضْوَانِ اللَّهِ فَمَا رَعَوْهَا حَقَّ رِعَايَتِهَا فَآتَيْنَا الَّذِينَ آمَنُوا مِنْهُمْ أَجْرَهُمْ وَكَثِيرٌ مِّنْهُمْ فَاسِقُونَ" : "Ensuite, (ces prophètes) Nous les avons fait suivre de Nos (autres) messagers, et Nous (les) avons fait suivre de Jésus fils de Marie ; Nous lui avons donné l'Evangile. Dans les cœurs de ceux qui le suivirent, Nous avions mis douceur et miséricorde. Et un monachisme : ils l'innovèrent ; Nous ne le leur avions pas prescrit. [Nous ne leur avions prescrit que] la recherche de l'Agrément de Dieu [il s'agissait donc pour eux de prendre part à ce qui fait les plaisirs des sens, mais uniquement dans le cadre que Dieu agrée, en se tenant à l'écart de tout ce qui est illicite et en restant modérés dans ce qui est licite]. Puis [en plus d'avoir innové ce monachisme] ils ne l'observèrent [même] pas selon le droit de l'observance. Nous donnâmes à ceux qui avaient eu foi parmi eux leur récompense. Et beaucoup d'eux sont fâssiqûn" (Coran 57/27).
Parmi l'ensemble des Gens du Livre qui sont Kâfir, le "kufr" des Chrétiens Trinitaires est, écrit ar-Râzî, plus épais ("aghlaz") que le "kufr" des Juifs : ces derniers ont fait kufr par la non-reconnaissance de Jésus et de Muhammad comme prophètes de Dieu, alors que les premiers ont fait kufr par la non-reconnaissance de Muhammad et par leur conception même de Dieu et du monothéisme.
Cependant, souligne ar-Râzî, les Chrétiens ont de grandes qualités de cœur, notamment un détachement par rapport à ce monde, ce qui, d'une façon différente, rejoint ce que Dieu agrée pour les hommes, et qu'Il a notamment rappelé dans Son message envoyé par Muhammad ; c'est ce qui leur a valu les éloges dans le verset 5/82 : "وهاهنا دقيقة نافعة في طلب الدين: وهو أن كفر النصارى أغلظ من كفر اليهود، لأن النصارى ينازعون في الإلهيات وفي النبوات، واليهود لا ينازعون إلا في النبوات، ولا شك في أن الأول أغلظ. ثم إن النصارى مع غلظ كفرهم لما لم يشتد حرصهم على طلب الدنيا بل كان في قلبهم شيء من الميل إلى الآخرة، شرفهم الله بقوله: {ولتجدن أقربهم مودة للذين آمنوا الذين قالوا إنا نصارى" (Tafsîr ur-Râzî, commentaire de Coran 5/82).
"فإن قلت: كفر النصارى أشد من كفر اليهود لأن النصارى ينازعون في الألوهية فيدعون أن لله ولدا، واليهود ينازعون في النبوة فينكرون نبوة بعض الأنبياء، فلم ذم اليهود ومدح النصارى؟ قلت: هذا مدح في مقابلة ذم وليس مدحا على إطلاقه. وأيضا الكلام في عداوة المسلمين وقرب مودتهم، لا في شدة الكفر وضعفه" (Tafsîr ul-Jamal).
Ibn Taymiyya a écrit des lignes voisines à propos du second point. Il dit que les Chrétiens ont de la douceur et de la miséricorde (comme cela figure au verset 57/27) ; or ces deux qualités relèvent de ce que Dieu a prescrit aux humains : "وبالجملة، فعامة أنواع العبادات والأعياد التي هم عليها: لم ينزل بها الله كتابا ولا بعث بها رسولا. لكن فيهم رأفة ورحمة؛ وهذا من دين الله" (MF 28/611).
Dans le verset sus-cité, "Nous donnâmes à ceux qui avaient eu foi parmi eux leur récompense" (Coran 57/27) peut désigner ceux qui, avant la venue de Muhammad (sur lui soit la paix), restèrent sur le monothéisme et n'adhérèrent pas à la divinisation de Jésus (Al-Jawâb us-sahîh 1/230).
Dans l'ensemble (jins) de ceux qui suivirent Jésus (ceux qui restèrent fidèles à son message comme ceux qui le divinisèrent), il y eut cette douceur et miséricorde ; par contre, le monachisme ne se trouva pas chez ses Apôtres, n'ayant fait son apparition que plus tard (Ibid.) ; cela exactement comme aucun de ses Apôtres ne le divinisa.
Par contre, il se peut que ceux qui demeurèrent fidèles au monothéisme tout en adoptant le monachisme eurent leur récompense auprès de Dieu : non pas pour leur monachisme (qui n'est qu'une bid'a), mais pour le reste : leur croyance monothéiste et les bonnes actions mashrû'a qu'ils firent furent agréées par Dieu.
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Une objection par rapport à l'explication B que nous avons proposée du verset 9/31 :
L'explication du verset 9/31 que le Prophète (sur lui soit la paix) a donnée à 'Adî ibn Hâtim est différente de celle que nous venons d'exposer :
– le commentaire donné par le Prophète fait valoir qu'il s'agit de Shirk fî Asl il-'Ibâda par non-reconnaissance du Tahwîd fi-l-Hukm it-Tashrî'î ;
– tandis que le commentaire que nous avons proposé dit qu'il s'agit aussi de Shirk fî Asl ir-Rubûbiyya par non-reconnaissance de Asl ut-Tahwîd fi-l-Hukm it-Takwînî.
Certes.
Cependant, la première explication du verset donnée par le Prophète et fondée sur cette réalité là, n'empêche pas la seconde explication du même verset, proposée ici et fondée quant à elle sur l'autre réalité. Car parfois le Prophète (sur lui soit la paix) expliquait un verset en exposant l'une des réalités auxquelles ce verset correspond, sans que cela implique la négation d'une autre réalité à laquelle le même verset correspond, et, partant, sans que cela implique un autre possible commentaire.
Lire notre article détaillé sur le sujet : Dans la Sunna, le Prophète (sur lui soit la paix) a fourni d'un verset une explication donnée. Est-il possible de fournir une autre explication du même verset, différente mais non pas contradictoire de celle donnée par le Prophète ?.
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Une autre question se pose alors : Pourquoi, dans ce cas, les Zoroastriens (ou Mazdéens) ne seraient-ils pas eux aussi des Gens du Livre ? Car s'ils font du shirk, eux aussi sont attachés à un Livre que l'on pense être d'origine divine...
La réponse est qu'il y a une différence entre les Zoroastriens d'une part et les Chrétiens qui ont recours au culte des saints d'autre part.
Ces Chrétiens pratiquent un shirk en-deçà mais se rapprochant de celui des Polythéistes Arabes d'avant la venue de l'islam.
Alors que les Zoroastriens, eux, pratiquent une forme de shirk plus avancée encore que celui de ces Polythéistes Arabes : les Zoroastriens croient en deux divinités créatrices et gérant toutes deux les affaires de l'univers : non pas seulement Yazdân, mais aussi Ahriman.
En fait les Zoroastriens ont un côté commun avec les Chrétiens, et un côté commun avec les Idolâtres arabes. Dès lors :
--- d'une part, à cause du fait qu'ils sont attachés à un Livre dont une partie est d'origine céleste, les Zoroastriens ont été, dans un verset, mentionnés séparément des Polythéistes ("إِنَّ الَّذِينَ آمَنُوا وَالَّذِينَ هَادُوا وَالصَّابِئِينَ وَالنَّصَارَى وَالْمَجُوسَ وَالَّذِينَ أَشْرَكُوا إِنَّ اللَّهَ يَفْصِلُ بَيْنَهُمْ يَوْمَ الْقِيَامَةِ إِنَّ اللَّهَ عَلَى كُلِّ شَيْءٍ شَهِيدٌ" : Coran 22/17) ;
--- mais d'autre part, à cause du fait que leur shirk est encore plus avancé que celui des Idolâtres arabes, ils ne sont pas des Gens du Livre. Ibn ul-Qayyim écrit : "ثم إن كفر عبدة الأوثان ليس أغلظ من كفر المجوس، وأي فرق بين عبدة الأوثان والنيران. بل كفر المجوس أغلظ. وعباد الأوثان كانوا يقرون بتوحيد الربوبية، وأنه لا خالق إلا الله، وأنهم إنما يعبدون آلهتهم لتقربهم إلى الله سبحانه وتعالى، ولم يكونوا يقرون بصانعين للعالم، أحدهما: خالق للخير، والآخر للشر، كما تقوله المجوس" : "(...) Le Kufr des Zoroastriens est plus épais [que celui des Idolâtres Arabes]. Les Idolâtres [descendants de Ismaël] reconnaissaient le Tawhid ur-Rubûbiyya, et qu'il n'y a de créateur que Dieu, et (ils disaient) qu'ils n'adoraient leurs divinités, c'était pour qu'elles les rapprochent de Lui, Pureté à Lui et Elevé soit-Il. Ils ne sont pas allés jusqu'à dire qu'il y aurait deux créateurs du monde, l'un du bien, l'autre du mal, comme le disaient les Zoroastriens" (Zâd ul-ma'âd 5/91). Si les Zoroastriens ont donc eux aussi certaines Ecritures d'origine céleste, ils ont un trop fort "tirant" du côté polythéiste, vu leur Shirk Akbar, encore plus grave que celui des Idolâtres Arabes. De plus, il semble que leurs Ecritures n'ont pas pu être préservées à un niveau semblable à celles des Chrétiens. L'attachement des Zoroastriens à un Livre d'origine céleste n'est alors pas suffisant pour "contrebalancer" la présence d'un si fort shirk akbar et faire que, à l'instar des Chrétiens, ils soient considérés, malgré la présence de shirk akbar, comme Gens du Livre.
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Voici l'illustration de ces différents cas de figure au travers des contenus de verres :
Voici respectivement ce à quoi correspond le contenu de ces 4 verres :
– (1) "eau pure" ;
– (2) "eau avec une dose de sirop" ;
– (3) "eau au sirop" ;
– (4) "sirop avec un peu d'eau".
– le verre 1 représente la Religion consistant en du Monothéisme Pur : l'islam ;
– le verre 4 représente la Religion des Idolâtres Arabes, parmi les Quraysh et autres qu'eux, à l'époque de la mission du prophète Muhammad (sur lui soit la paix). Bien qu'elle comporte également une dose de Tawhîd (en l'occurrence le Tawhîd ur-Rubûbiyya fi-l-umûr il-'izâm), le Coran et la Sunna ont appelé cette Religion : du "Shirk Akbar", et ceux qui y adhéraient : des "Mushrikûn". Le contenu de ce Verre 4 n'est dès lors pas appelé : "eau". Pas : "eau pure", bien sûr, mais pas non plus : "eau avec une dose de sirop", ni même : "eau au sirop". Cela est seulement : du "sirop avec un peu d'eau". Dès lors, cette Religion constitue, avec ses croyances, un "référentiel" pour nous, pour établir quelle croyance constitue du Shirk Akbar, et quelle religion est appelée : "Shirk tout court" ;
– le verre 3 représente la Religion des Zoroastriens adorateurs de feu : bien qu'il soit possible qu'elle soit fondée sur des Ecritures célestes, son contenu a été si altéré qu'elle ne peut pas être appelée "Religion Monothéiste" (au contraire du Christianisme Trinitaire, contenu du Verre 2). Le fait est que le Shirk Akbar s'y trouvant est encore plus accentué que celui des Idolâtres Arabes. La dose de sirop se trouvant dans le contenu de ce Verre 3 fait donc que le tout ne peut pas être appelé : "eau pure", ni même : "eau avec une dose de sirop", mais tout au plus : "eau au sirop" ;
– le verre 2 représente la Religion des Chrétiens Trinitaires : il s'y trouve une dose certaine de Shirk Akbar, mais le tout est quand même appelé : "eau". Le tout ne peut certainement pas être appelé : "eau pure", mais n'est pas non plus appelé : "sirop avec un peu d'eau" (le Verre 4), ni même : "eau au sirop" (comme l'est le Verre 3). C'est en réalité : une "eau avec une dose de sirop" (2).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).