Question :
Certains frères disent que lorsqu'on se salue par une poignée de mains, il faut à tout prix tendre ses deux mains. D'autres disent qu'on peut le faire également avec une seule main. Je m'y perds, moi. Alors, comment dois-je faire ma poignée de mains : en tendant mes deux mains ou une seule ?
-
Réponse :
Rappelons tout d'abord que se saluer se fait verbalement par la traditionnelle formule, connue même par ceux qui ne sont pas musulmans : "As-salâmu 'alaykum" ; c'est le "salâm". Il s'agit de la formule islamique de salutation (tahiyyat ul-islâm).
Au moment de cette salutation verbale, il est bien aussi de se serrer la ou les mains ; c'est la "mussâfaha". Retenez bien ce mot, il vous sera utile pour comprendre ce qui vient.
Maintenant se pose votre question : le musulman qui fait "salâm" à un autre musulman et lui fait en même temps la "mussâfaha" doit-il faire cette "mussâfaha" en lui donnant deux mains, ou bien une main seulement ?
-
Différents Hadîths existent à ce sujet :
– Premier groupe de Hadîths ou de Athâr :
--- "وصافح حماد بن زيد ابن المبارك بيديه" : Hammad ibn Zayd a fait la mussâfaha à Ibn al-Mubârak avec ses deux mains (cité ta'lîqan par al-Bukhârî dans son livre Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-isti'dhân, bâb ul-akhdh bi-l-yadayn).
--- "عن عبد الرحمن بن رزين قال: مررنا بالربذة فقيل لنا: ها ههنا سلمة بن الأكوع فأتيته فسلمنا عليه فأخرج يديه فقال: بايعت بهاتين نبي الله صلى الله عليه وسلم. فأخرج كفا له ضخمة كأنها كف بعير فقمنا إليها فقبلناها" : Salama ibn ul-Akwa' raconte : "J'ai fait allégeance au Prophète avec ces deux mains-ci" (rapporté par al-Bukhârî dans son livre Al-Adab ul-muf'rad, 973).
Si la façon de faire allégeance (bay'a) est ici citée comme preuve concernant la façon d'échanger une poignée de mains (mussâfaha), c'est à cause du Hadîth suivant : Umayma bint Ruqayqa raconte : "سمع ابن المنكدر، أميمة بنت رقيقة، تقول: بايعت رسول الله صلى الله عليه وسلم في نسوة، فلقننا: "فيما استطعتن وأطقتن". قلت: الله ورسوله أرحم بنا من أنفسنا. قلت: يا رسول الله، بايعنا. قال: "إني لا أصافح النساء، إنما قولي لامرأة، قولي لمائة امرأة" : "D'autres femmes et moi étions venues faire allégeance au Prophète. (…) Nous dîmes au Prophète : "Ne nous fais-tu pas la mussâfaha ? – Je ne fais pas la mussâfaha aux femmes", répondit-il (rapporté par Ahmad, n° 27006). "عن أسماء بنت يزيد، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم جمع نساء المسلمين للبيعة فقالت له: أسماء ألا تحسر لنا عن يدك يا رسول الله؟ فقال لها رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إني لست أصافح النساء ولكن آخذ عليهن "" (rapporté par Ahmad, n° 27572). Voyez : Umayma, voulant faire allégeance au Prophète comme le faisaient les hommes (main à main), le lui demande en employant le terme "mussâfaha". La façon de faire la bay'a de main à main est donc également appelée : mussâfaha.
--- "عن الوازع بن عامر رضي الله عنه قال:قدمنا فقيل: "ذاك رسول الله"، فأخذنا بيديه ورجليه نقبلها" : Un Compagnon raconte : "Nous sommes arrivés et on nous a dit : "Voilà l'Envoyé de Dieu". Nous avons alors pris ses deux mains..." (rapporté par al-Bukhârî dans son livre Al-Adab ul-muf'rad, 975, dha'îf).
-
– Second groupe de Hadîths :
--- "عن أنس بن مالك، قال: قال رجل: يا رسول الله الرجل منا يلقى أخاه أو صديقه أينحني له؟ قال: "لا"، قال: أفيلتزمه ويقبله؟ قال: "لا"، قال: أفيأخذ بيده ويصافحه؟ قال: "نعم" : Un homme a demandé au Prophète : "O Envoyé de Dieu, l'homme parmi nous rencontre son frère ou son ami. Peut-il alors se courber devant lui ? – Non. (…) – Peut-il prendre sa main et lui faire la mussâfaha ? – Oui" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 2728).
--- "عن أنس بن مالك قال: كان النبي صلى الله عليه وسلم: "إذا لقي الرجل فكلمه، لم يصرف وجهه عنه حتى يكون هو الذي ينصرف، وإذا صافحه، لم ينزع يده من يده حتى يكون هو الذي ينزعها، ولم ير متقدما بركبتيه جليسا له قط" : Un Compagnon raconte : "Quand le Prophète rencontrait quelqu'un et lui parlait, il ne détournait pas le visage jusqu'à ce que ce soit l'autre qui détourne le sien. Et lorsqu'il lui faisait la mussâfaha, il ne retirait pas sa main jusqu'à ce que ce soit l'autre qui retire la sienne" (rapporté par Ibn Mâja, n° 3716, dha'îf).
-
Comment comprendre de cela ?
C'est très simple :
– Dans le premier groupe de Hadîths, on voit des Compagnons ou d'autres Salaf Sâlih faire la "mussâfaha" avec les deux mains.
– Et dans le second groupe de Hadîths, il est question de faire la "mussâfaha" en donnant une main.
Les deux sont possibles (في السنة وسعة).
Or il y a, chez les musulmans, deux groupes de personnes dont je n'arrive pas à comprendre l'attitude. Il y a d'une part les gens qui refusent que les musulmans se donnent la poignée en employant leurs deux mains, et qui disent que cette façon de faire est contraire à la sunna. Et puis, de l'autre côté, il y a les gens qui refusent que les musulmans se donnent la poignée en employant une seule main, et qui disent eux aussi que cette façon de faire est contraire à la sunna. Ce sont deux extrêmes, chacun reste cramponné à son avis et critique l'autre.
Cheikh Khâlid Saïfullâh a fait une recherche sur le sujet. Sa recherche a été écrite pour répondre au premier extrême (dire que "la poignée de mains ne doit se faire qu'en employant une seule main et que l'emploi de deux mains est contraire à la sunna" – voir sa recherche, page 1 lignes 2-4). C'est à ce premier extrême qu'il entend répondre.
Mais jamais il n'entend tomber lui-même dans le deuxième extrême (dire que "la poignée de mains ne doit se faire qu'en employant deux mains et que l'emploi d'une seule main est contraire à la sunna"). Au contraire, sa position sur le sujet est équilibrée.
Après avoir cité divers Hadîths, Cheikh Khâlid affirme : "Malgré tout, étant donné que les deux sens sont possibles, les chercheurs ont considéré comme prouvées des Hadîths les deux façons de faire la mussâfaha : d'une main, et de deux mains. La vérité et l'impartialité sont que ces deux façons de faire la mussâfaha sont établies (thâbit)" (page 6 lignes 3-10).
Certes, il écrit préférer que le musulman ait recours à la poignée de mains ("mussâfaha") en utilisant ses deux mains (p. 7, lignes 1-8). Néanmoins, il écrit aussi : "Etant donné que faire la musâfaha d'une seule main est aussi globalement prouvé des Hadîths, il est aussi permis de faire la mussâfaha en ne donnant qu'une seule main. Il ne faut pas faire preuve de rigidité sur le sujet [en interdisant cela]" (page 7 lignes 10-12).
-
Notes :
1) Cherchant à établir que la mussâfaha ne doit se faire qu'en employant chacun ses deux mains, certains frères citent parfois ce hadîth où Ibn Mas'ûd qui raconte : "عن ابن مسعود قال: علمني رسول الله صلى الله عليه وسلم، وكفي بين كفيه، التشهد، كما يعلمني السورة من القرآن: "التحيات لله، والصلوات والطيبات، السلام عليك أيها النبي ورحمة الله وبركاته، السلام علينا وعلى عباد الله الصالحين، أشهد أن لا إله إلا الله، وأشهد أن محمدا عبده ورسوله" وهو بين ظهرانينا. فلما قبض قلنا: السلام - يعني على النبي صلى الله عليه وسلم" : "Le Prophète (sur lui la paix) m'a enseigné la formule du tashahhud alors qu'il prenait ma paume entre ses deux paumes" (rapporté par al-Bukhârî, n° 5910, cité également par lui dans bâb ul-musâfaha). Et ces frères d'ajouter : "Vous suivez la Sunna du Prophète (sur lui soit la paix), ou bien la Sunna de Ibn Mas'ûd ?"
Raisonnement pour le moins problématique ! En effet, il n'y a pas ici une contradiction (ta'ârudh) entre les deux façons de faire (celle du Prophète, et celle de Ibn Mas'ûd), il y a latitude (wus'ah) : la sunna ce n'est pas seulement ce que le Prophète a fait (fi'l), c'est aussi ce qu'il a dit (qawl) et aussi ce qu'il a approuvé (taqrîr). Et ici, le Prophète a bel et bien approuvé le fait que Ibn Mas'ûd lui donne une seule main ; si cela était mauvais, il le lui aurait dit... Donner une seule main est donc aussi une sunna : c'est une sunna taqrîriyya.
2) Cherchant à établir que la mussâfaha ne doit se faire qu'en employant chacun ses deux mains, certains frères citent aussi parfois les deux Hadîths suivants : "عن أنس بن مالك، عن نبي الله صلى الله عليه وسلم قال: "ما من مسلمين التقيا، فأخذ أحدهما بيد صاحبه، إلا كان حقا على الله أن يحضر دعاءهما، ولا يفرق بين أيديهما حتى يغفر لهما" : "Chaque fois que deux musulmans se rencontrent et se serrent la main (...), Dieu ne fait pas se séparer leurs mains ("aydîhimâ") avant qu'Il leur ait accordé le pardon" (rapporté par Ahmad, n° 12541) ; "Lorsque deux musulmans se font la musâfaha, leur paume ("akuffuhumâ") ne se sépare pas avant que Dieu ne leur ait accordé Son pardon" (Majma'u-z-zawâ'ïd, 'an it-Tabarânî). Ces frères citent ces deux Hadîths et concluent : "Voyez : les termes employés par le Prophète dans le premier et dans le second Hadîths, pour désigner respectivement "mains" et "paumes", sont : "aydîhimâ" et "akuffuhumâ", deux mots qui sont au pluriel ; ils indiquent donc que chacun doit donner non pas une, mais deux mains."
Or ces Hadîths-ci ne sont pas suffisants pour établir de façon tranchée qu'il s'agit bien des deux mains. En effet, la présence du pluriel dans ces deux Hadîths-ci n'indique pas de façon formelle et claire ("sarîh") que chaque personne donne ses deux mains. La preuve : "إِن تَتُوبَا إِلَى اللَّهِ فَقَدْ صَغَتْ قُلُوبُكُمَا" (Coran 66/4) : il est ici question de deux personnes, Aïcha et Hafsa (que Dieu les agrée), et, pour dire "leur cœur", Dieu a employé le terme au pluriel : "qulûbukumâ". Ce terme signifie-t-il que Aïcha et Hafsa avaient chacune deux cœurs ? Ou bien signifie-t-il que chacune avait un seul cœur ?
En fait, en langue arabe, quand on a deux personnes et qu'on veut établir un rapport d'annexion entre un terme qui est au duel ("muthannâ") et entre le pronom représentant ces deux personnes ("muthannâ", duel lui aussi) , on met le terme au pluriel ("jam'") ; mais, par rapport à chacune de ces deux personnes, ce terme peut désigner aussi bien un duel ("muthannâ") qu'un singulier ("muf'rad"). C'est la règle en langue arabe.
La même chose peut être dite par rapport au verset Coran 5/38 : le terme "aydiyahumâ" dans cet autre verset désigne-t-il : "les deux mains de chacune de ces deux personnes", ou bien plutôt : "une seule main de chacune de ces deux personnes" ?
-
Synthèse de la réponse :
Des deux attitudes que nous avons évoquées plus haut, l'une dit : "Il faut à tout prix faire la mussâfaha de deux mains", tandis que l'autre dit : "Il faut à tout prix faire la mussâfaha d'une seule main".
Voilà bien deux extrêmes.
Le juste milieu est de dire : "On peut faire la "mussâfaha" de deux mains, comme on peut la faire d'une seule main".
Et même si Cheikh Khâlid Saïfullâh et Cheikh Anwar Shâh al-Kashmîrî sont d'avis qu'il est préférable de faire la mussâfaha avec ses deux mains, ils ont aussi écrit qu'il est possible de la faire avec une seule main. Cheikh Khâlid a même écrit que les deux façons de faire la mussâfaha sont établies. Al-Kashmîrî a quant à lui écrit que la sunna sera accomplie par les deux façons (selon ses mots : "kamâl us-sunna" pour l'une, "asl us-sunna" pour l'autre).
Je voudrais exprimer ici mes remerciement à Cheikh Abdullâh que j'avais récemment questionné à ce sujet, qui a alors, peu après, questionné Cheikh Yûnus Jhônpûrî sur le sujet, et m'a communiqué la réponse par écrit pour me confirmer que les deux façons de faire sont correctes.
Faisons preuve de suffisamment de maturité pour nous concentrer sur l'essentiel et sur ce qui nous unit. Tolérons nos petites divergences d'avis sur ce à propos de quoi il peut y avoir pluralité, et ne faisons pas, comme l'a si bien écrit Cheikh Khâlid Saïfullâh, preuve de "rigidité". Une rigidité risque bel et bien de traduire la présence d'un manque de discernement pour comprendre quels sont les vrais problèmes et les réels défis d'aujourd'hui. Ce serait à en pleurer...
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).