Question :
Lors d'un récent voyage en Malaisie, j'ai été très surpris d'assister à la grande prière du vendredi : le sermon qui suit le adhân et qui précède immédiatement les deux cycles de prière (khutba) était prononcé en langue malaise !
Est-il ainsi permis de faire ce sermon (khutba) dans une autre langue que l'arabe, par exemple en malais ou en français ?
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Réponse :
Ce qui est certain c'est que le Prophète (sur lui la paix) et ses Compagnons faisaient le sermon du vendredi (khutba) en langue arabe.
Maintenant, est-il permis de le faire dans une autre langue que l'arabe ?
Il y a divergences d'avis sur le sujet...
Deux avis différents :
– D'après Mâlik, de ash-Shâfi'î et de Ahmad ibn Hanbal. Abû Yûssuf et Muhammad ibn ul-Hassan (les deux élèves de Abû Hanîfa), il est nécessaire de faire le sermon du vendredi en langue arabe. Et seul celui qui ne peut pas prononcer l'arabe peut faire le sermon dans sa langue.
– Abû Hanîfa est quant à lui d'avis qu'il est mieux de faire le sermon du vendredi en langue arabe, mais qu'il est permis de le faire dans une langue autre que l'arabe, même pour celui qui peut prononcer l'arabe. Cheikh Khâlid Saïfullâh démontre que, comme l'a écrit al-Haskafî, sur ce point Abû Hanîfa n'a pas délaissé son avis pour se ranger à celui de ses deux élèves (Jadîd fiqhî massâ'ïl, pp. 162-163). Il rapporte aussi que certains ulémas hanafites postérieurs ont donné sur ce point la fatwa sur l'avis de Abû Hanîfa et non de ses deux élèves (Ibid., p. 163-164).
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Deux raisonnements différents :
– Ceux qui sont d'avis que l'arabe est nécessaire considèrent que le Prophète l'a fait en tant que acte cultuel (ta'abbudî mahdh), exactement comme pour la prière (salât), à propos de laquelle tout le monde est unanime à dire que celui qui peut prononcer l'arabe doit réciter les formules rituelles de la prière en arabe.
– Quant à ceux qui, à l'instar de Abû Hanîfa, pensent qu'il est permis de faire le sermon dans une autre langue que l'arabe pensent que, si dans la prière l'emploi de la langue arabe est certes purement cultuel (ta'abbudî mahdh), en revanche dans le sermon l'objectif est d'adresser un prêche à l'assemblée (ay yaqûlu hâ'ulâi il-'ulamâ' : layssa isti'mâl ul-lugha al-arabiyya amran ta'abbudiyyan mahdhan, bal amran ma'lûlan bi 'illa). Et le Prophète (sur lui la paix) l'a fait en arabe parce que c'était la langue que comprenaient les gens dans sa société arabophone. Si on vit dans une société qui n'est pas arabophone, il est donc autorisé de parvenir au même objectif par un moyen différent.
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Aujourd'hui :
L'Académie Islamique de Fiqh de la Ligue Islamique Mondiale (Rabita) a, en 1402 (1982), donné fatwa sur l'avis de Abû Hanîfa, et affirmé qu'il était permis de faire le sermon du vendredi dans la langue du pays, mais qu'il était mieux de dire en arabe les formules d'introduction du sermon ainsi que les versets coraniques étant récités pendant le sermon, afin que les musulmans gardent un contact avec la langue arabe, langue de l'islam.
Cheikh Khâlid Saïfullâh a donné quant à lui préférence à l'avis des autres ulémas (ceux qui préconisent l'emploi de la langue arabe pour le sermon du vendredi). Néanmoins, il a précisé qu'il ne fallait pas dénigrer ni critiquer ceux qui avaient choisi de pratiquer l'autre avis (voir Jadîd fiqhî massâ'ïl, pp. 161-166).
On peut cependant être sur ce point du même avis que Abû Hanîfa, et s'adresser donc aux fidèles, lors des deux sermons précédant la grande prière du vendredi, dans la langue qu'ils utilisent dans le pays.
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Quelques critiques souvent entendues par rapport à cet avis :
Difficilement compréhensible est la posture de ces frères qui sont hanafites et qui se permettent de dénigrer (pas seulement exprimer le désaccord ou faire la critique scientifique, non, je parle bien de "dénigrer") les pays où les musulmans font le sermon du vendredi dans la langue locale. "Islam moderne !", "absolument pas conforme à la sunna du Prophète", lâchent-ils.
Difficilement compréhensible dans la mesure où c'est Abû Hanîfa le seul des quatre référents d'écoles qui a déclaré ceci permis. Ce dénigrement pourrait donc se diriger vers... Abû Hanîfa.
A ceci, certains frères hanafites répondent : "Oui, mais quand le Prophète a fait une chose d'une certaine façon, on doit, au nom de sa sunna, la faire exactement de la même façon, même si Abû Hanîfa a dit qu'on pouvait avoir recours à d'autres formes !"
La réponse qui peut être faite à cette critique est : "Si tel est notre principe, alors pourquoi ne nous élevons-nous pas également contre le fait de donner la sadaqat ul-fitr sous forme de monnaie ? Le Prophète (sur lui la paix) et les Compagnons ne l'avaient donnée que sous forme de denrées alimentaires, et c'est l'école hanafite qui, seule, a permis de la donner sous forme de monnaie, au nom, ici aussi, de la prise en compte de l'objectif.
Ce qui a été parfaitement compris, intégré et pratiqué par rapport à la sadaqat ul-fitr, pourquoi ne pas le comprendre également par rapport à la langue utilisée lors du sermon de la grande prière du vendredi ?"
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).