Question d'un visiteur :
La plupart des Hadîths mentionnent le mariage du Prophète Muhammad (sur lui la paix) avec Aicha lorsque celle-ci était très jeune. J'aimerais savoir pourquoi un mariage si précoce pour Aicha ?
Certains détracteurs de l'islam sont même partis y trouver de quoi dire que le Prophète était pédophile (wa-l-'iyâdhu billâh).
Alors moi je m'interroge : le mariage avec notre Prophète, sur lui la paix, n'a-t-il pas eu des conséquences physiques et / ou psychologiques sur la petite Aicha ?
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Réponse :
Que Aïcha ait commencé à vivre avec le Prophète lorsqu'elle était âgée de neuf ans, cela est rapporté par al-Bukhârî (n° 3681) et Muslim (n° 1422). Mais en fait, dans l'ensemble de ce que le Prophète a fait, il y a certains faits qui ont, selon notre croyance, une vocation universelle, d'autre qui sont particuliers à lui (khussûssiyya), et d'autres encore qui sont le produit de la coutume d'alors.
On ne peut appréhender les faits de cette dernière catégorie en se fondant sur le référentiel d'autres temps et d'autres lieux. Ce serait une erreur méthodologique grave. En réalité tout tourne autour du référentiel.
Aujourd'hui, en France notamment, on considère comme un délit les rapports sexuels avec une personne n'ayant pas atteint la maturité sexuelle prévue par la loi, même si cette personne était consentante ; et la loi de nombreux pays a fixé à 15 ans l'âge de la présomption de cette maturité sexuelle pour les personnes de sexe féminin. Qu'une personne soit exceptionnellement mature avant n'entre pas en compte, et des rapports sexuels avec elle, même consentis, constituent une infraction : ceci car la loi se fonde, nous venons de le dire, sur une présomption et, en tant que telle, est faite pour être appliquée à tout le monde, sans vérification de savoir si la jeune fille de moins de 15 ans était mature ou non. Tout cela est dû à la loi d'ici et d'aujourd'hui, promulguée sur la base d'une présomption destinée à protéger l'enfance.
Mais on peut facilement imaginer qu'ailleurs ce qui est mal c'est d'avoir des rapports sexuels avec une personne n'ayant pas atteint sa maturité sexuelle biologique, et qu'il n'y a en cet ailleurs pas d'âge minimal fixé par une loi et constituant une présomption de cette maturité.
Or rien ne nous prouve que Aïcha n'a pas pu atteindre cette maturité à 9 ans ; c'est exceptionnel, mais cela arrive. Et justement, les gens de l'époque rapportent que Aïcha était développée (Shar'h Muslim 9/206-207). Il faut de plus noter que c'est le père de Aïcha, Abû Bakr lui-même, qui a demandé au Prophète de vivre avec son épouse (Fat'h ul-bârî, tome 7 p. 281).
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Reste que, même si elle était nubile, il y avait une grande différence d'âge entre Aïcha et le Prophète. Mais ici encore, cela relève de ce qui se faisait de façon tout-à-fait normale dans la coutume d'alors, en Arabie (peut-être même ailleurs). Il faut dire aussi que le Prophète, selon Martin Lings (page 160), "ne paraissait que la moitié de son âge" (alors cinquante-trois ans), ce qui est rapporté par de nombreuses personnes : les témoignages de Compagnons sont très nombreux qui racontent que même plus tard, à l'âge de soixante ans, le Prophète n'avait que quelques fils blancs dans toute sa chevelure et sa barbe (rapporté par al-Bukhârî). D'ailleurs, quand, à cinquante trois ans, le Prophète arriva à Médine en compagnie de Abû Bakr (de deux ans son cadet), les musulmans qui avaient seulement entendu parler du Prophète vinrent saluer Abû Bakr à sa place : c'est celui-ci qui paraissait être l'homme âgé (bien qu'en fait de deux ans plus jeune que le Prophète).
Vous parlez des détracteurs d'aujourd'hui. Vous semblez oublier qu'à l'époque aussi il y en avait – à l'instar d'un grand nombre d'Arabes idolâtres, à la Mecque, d'un certain nombre de juifs et de chrétiens (comme Abû Râhib) à Médine et ailleurs, et des Hypocrites de Médine. Et ils ne manquaient pas une occasion de le critiquer et de le dénigrer, comme par exemple pour son mariage avec Zaynab bint Jahsh, divorcée de Zayd ibn Hâritha, anciennement adopté par le Prophète, car cela était considéré interdit dans l'Arabie pré-islamique. Pourtant ils ne dirent mot à propos de son mariage avec Aïcha. Il est facile de comprendre pourquoi.
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Le Prophète aimait certes Aïcha. Mais pas au point d'avoir oublié sa défunte épouse Khadîdja. Aïcha raconte : "Je n'ai jamais été jalouse d'une autre épouse du Prophète comme j'ai été jalouse de Khadîdja. Je ne l'ai jamais vue mais le Prophète pensait souvent à elle. S'il abattait une chèvre, il en envoyait des morceaux aux amies de Khadîdja. Parfois je disais au Prophète : "C'est comme si dans le monde il n'y avait comme femme que Khadîdja !" Il me répondait : "Elle avait telle et telle qualités. Et nous avons eu des enfants"" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim). Une autre fois, Aïcha dit à son époux le Prophète : "Qu'as-tu à penser à une vieille femme parmi les vieilles femmes qurayshites, dont les gencives étaient rouges et qui est déjà morte depuis longtemps. Dieu t'a donné de meilleures femmes qu'elle !" Il répondit : "Dieu ne m'a pas donné de meilleure femme qu'elle…" (rapporté par al-Bukhârî, Muslim ; la dernière phrase figure dans Musnadu Ahmad).
Un autre point : Aïcha racontait plus tard comment elle avait été jalouse lorsque le Prophète était vivant. Elle l'avait ainsi suivi une nuit, croyant qu'il allait se rendre chez une autre épouse, alors qu'il se rendait en fait au cimetière pour prier Dieu pour les défunts. Et le Prophète s'aperçut ensuite de sa présence (rapporté par Muslim). Quand une fois une autre épouse du Prophète envoya au Prophète un plat cuisiné alors que le Prophète se trouvait chez Aïcha, elle cassa le plat et le Prophète dut intervenir (rapporté par al-Bukhârî). Un jour que le Prophète lui dit que si elle venait à mourir quand il était vivant, il prierait sur elle, elle lui fit cette boutade : "Je pense plutôt que tu souhaites que je meure afin que le même jour tu te rendes auprès d'autres épouses." Le Prophète se contenta de sourire à cette réplique (rapporté par al-Bukhârî et Ahmad). A un moment de la vie du Prophète, il était arrivé un tiraillement entre ce dernier et ses épouses : les épouses du Prophète insistaient sans arrêt pour obtenir de lui plus de facilités matérielles, et le Prophète n'en avait pas. Ces tiraillement répétés avaient poussé le Prophète (sur lui la paix), à prendre du recul par rapport à ses épouses, puis, sur l'ordre de Dieu, à demander à chacune d'elles de se prononcer clairement et librement sur leur volonté de rester mariées avec lui – et de se contenter de ce qu'il pourrait leur donner –, ou de choisir le divorce. Aucune n'a choisi de le quitter. Or, Aïcha faisait partie de ces épouses, et c'est même par elle qu'il commença, en lui demandant de ne pas se presser pour répondre (rapporté par al-Bukhârî et Muslim). Sont-ce là les propos et les actes d'une jeune femme traumatisée ?
Un Compagnon raconte pour ce qui a trait à la période après la mort du Prophète : "Chaque fois que nous les Compagnons du Prophète nous avions un problème pour comprendre une règle de l'islam, nous trouvions quelque connaissance à ce sujet auprès de Aïcha" (rapporté par at-Tirmidhî).
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Il faut replacer les événements dans leur contexte. Le mariage avec une fille ayant atteint sa maturité biologique mais étant d'un âge moindre que 15 ans est interdit par la loi d'aujourd'hui (en France notamment), mais ailleurs on se fondait et on se fonde sur le constat de maturité biologique, l'âge fût-il de moins de 15 ans.
Par ailleurs, si la majorité des ulémas autorisent le mariage d'une fille (donc d'une non-adulte) avec un homme (fût-il adulte), on trouve dans les écrits qu'il est précisé qu'il faut attendre que l'épouse soit apte aux relations intimes avant que le mari puisse entreprendre cela ("وقال مالك والشافعي وأبو حنيفة: حد ذلك أن تطيق الجماع، ويختلف ذلك باختلافهن ولا يضبط بسن؛ وهذا هو الصحيح" : Shar'h Muslim 9/206 ; "وإمكان الوطء في الصغيرة معتبر بحالها واحتمالها لذلك، قاله القاضي؛ وذكر أنهن يختلفن" : Al-Mughnî 9/622-623, mas'ala 5635).
En sus, il faut savoir que Mustafâ as-Sibâ'î précise pour sa part que le changement de coutume sur ce point doit être pris en compte, et cite et approuve des pays musulmans qui, au nom des principes mêmes de l'islam, ont fait des lois interdisant le mariage avec une mineure, se fondant sur l'avis de Ibn Shub'ruma et al-Battî (Al-Mar'a bayn al-fiqh wal-qânûn, pp. 57-58) (voir la mention de cet avis en Mirqât ul-mafâtîh 6/206, avis attribué là à Ibn Shub'ruma et à Abû Bakr al-Assamm), et ont fait d'autres lois accordant au responsable administratif le droit de refuser de marier un homme âgé avec une femme beaucoup plus jeune que lui si les motifs de ce mariage ne paraissent pas conformes à l'éthique musulmane (Ibid., pp. 63-64).
Cet avis de Ibn Shub'ruma est relaté par Ibn Hazm en ces termes, avec, au sujet du mariage du Prophète avec Aïcha, le fait que cela était une spécificité du Prophète, comme l'est le fait qu'il a eu droit à plus de 4 épouses en même temps : "وفي بعض ما ذكرنا خلاف. قال ابن شبرمة: "لا يجوز إنكاح الأب ابنته الصغيرة إلا حتى تبلغ وتأذن." ورأى أمر عائشة - رضي الله عنها - خصوصا للنبي - صلى الله عليه وآله وسلم -، كالموهوبة، ونكاح أكثر من أربع" (Al-Muhallâ, 9/38-39).
Et Ibn ul-'Uthaymîn a donné préférence à cet avis de Ibn Shub'ruma : le cheikh saoudien ne voit pas quel avantage il peut y avoir pour une fillette à être mariée, elle qui ne comprend même pas ce que sont des relations intimes.
Sur le plan du hadîth, il fait valoir que elle aussi est une Bikr ; or le hadîth dit qu'une Bikr ne doit pas être mariée sans qu'elle ait donné son autorisation ; or encore, n'étant pas adulte, son autorisation n'a pas de valeur juridique.
"أي فائدة للصغيرة في النكاح؟ وهل هذا إلا تصرف في بضعها على وجه لا تدري ما معناه؟ لننتظر حتى تعرف صالح النكاح وتعرف المراد بالنكاح، ثم بعد ذلك نزوجها؛ فالمصلحة مصلحتها. إذاً القول الراجح: أن البكر المكلفة لابد من رضاها. وأما غير المكلفة وهي التي تم لها تسع سنين، فهل يشترط رضاها أو لا؟ الصحيح أيضاً أنه يشترط رضاها، لأن بنت تسع سنين بدأت تتحرك شهوتها وتحس بالنكاح، فلابد من إذنها، وهذا اختيار شيخ الإسلام ابن تيمية رحمه الله، وهو الحق. وأما من دون تسع سنين، فهل يعتبر إذنها؟ يقولون: من دون تسع سنين ليس لها إذن معتبر، لأنها ما تعرف عن النكاح شيئاً، وقد تأذن وهي تدري، أو لا تأذن لأنها لا تدري، فليس لها إذن معتبر. ولكن هل يجوز لأبيها أن يزوجها في هذه الحال؟ نقول: الأصل عدم الجواز، لقول النبي عليه الصلاة والسلام: "لا تنكح البكر حتى تستأذن"، وهذه بكر، فلا نزوجها حتى تبلغ السن الذي تكون فيه أهلاً للاستئذان ثم تستأذن.
لكن ذكر بعض العلماء الإجماع على أن له أن يزوجها مستدلين بحديث عائشة رضي الله عنها. وقد ذكرنا الفرق. وقال ابن شبرمة من الفقهاء المعروفين: لا يجوز أن يزوج الصغيرة التي لم تبلغ أبداً، لأننا إن قلنا بشرط الرضا، فرضاها غير معتبر؛ ولا نقول بالإجبار في البالغة، فهذه من باب أولى. وهذا القول هو الصواب: أن الأب لا يـزوج بنته حتى تبلغ؛ وإذا بلغت فلا يزوجها حتى ترضى" (Ash-Shar'h ul-mumti').
Le verset suivant décrit justement l'âge adulte (= la puberté) par la formule : "(l'âge de) se marier" : "وَابْتَلُوا الْيَتَامَى حَتَّى إِذَا بَلَغُوا النِّكَاحَ" (Coran 4/6).
D'un autre côté, il ne semble pas vérifié que de dire qu'un verset du Coran (le 65/4) a, de façon univoque, déclaré autorisé le mariage avec une fillette, et que, dès lors, l'avis disant que cela n'est pas autorisé est erroné de façon qat'î...
Le fait est que ce verset 65/4 parle du délai de viduité des femmes divorcées qui n'ont pas de règles : soit elles n'ont plus de règles, soit elles n'ont pas eu de règles : "وَاللَّائِي يَئِسْنَ مِنَ الْمَحِيضِ مِن نِّسَائِكُمْ إِنِ ارْتَبْتُمْ فَعِدَّتُهُنَّ ثَلَاثَةُ أَشْهُرٍ، وَاللَّائِي لَمْ يَحِضْنَ" (Coran 65/4) ; or cela peut tout à fait concerner les femmes se trouvant en aménorrhée primaire : ce sont des femmes adultes qui n'ont jamais eu de règles.
Semble pareillement un peu précipité que de déduire la même chose ("le Coran a, de façon univoque, déclaré autorisé le mariage avec une fillette") du verset "وَإِنْ خِفْتُمْ أَلَّا تُقْسِطُوا فِي الْيَتَامَى فَانْكِحُوا مَا طَابَ لَكُمْ مِنَ النِّسَاءِ مَثْنَى وَثُلَاثَ وَرُبَاعَ" (Coran 4/3), et ce en faisant valoir que d'une part il y est dit que si on craint de ne pas être équitable en se mariant avec les orphelines dont on a la charge, alors, que l'on se marie avec d'autres femmes ; alors même que, d'autre part, le terme "yatîm" ne s'applique plus après la puberté (comme le dit le célèbre hadîth : "لا يتم بعد احتلام" : AD, 2873)...
Le fait est que ce second point est certes vrai, cependant, le terme est parfois utilisé au sens figuré de "qui était yatîm" (majâz mursal, 'alâqatu mâ kâna) : on le voit très bien dans ce verset : "وَآتُوا الْيَتَامَى أَمْوَالَهُمْ" (Coran 4/2), alors même que c'est après la puberté qu'on leur remet les biens dont ils ont hérité de leur défunt père : "وَٱبْتَلُواْ ٱلْيَتَٰمَى حَتَّى إِذَا بَلَغُواْ ٱلنِّكَاحَ فَإِنْ ءَانَسْتُم مِّنْهُمْ رُشْدًا فَٱدْفَعُواْ إِلَيْهِمْ أَمْوَلَهُمْ" (Coran 4/6). Voici donc un verset (le 4/2) où le terme "yatîm" a été employé au sens figuré de "qui était yatîm". Si on retient l'avis de Ibn Shub'ruma, cela peut donc également être le cas dans le verset 4/6...
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).