Les musulmans accomplissent cinq prières chaque jour de leur vie : celle de l'aube (fajr), celle du début de l'après-midi (zohr), celle du milieu ou de fin de l'après-midi ('asr), celle d'après le coucher du soleil (maghrib), celle de la nuit ('ishâ). Chacune de ces prières doit être accomplie entre le début et la fin de la marge horaire qui lui est assignée. La prière de l'aube, par exemple, doit être accomplie entre le moment de l'apparition de l'aube et le lever du soleil.
On dit que dans certaines circonstances valables, on peut accomplir certaines prières ensemble, deux par deux ("jam' bayn as-salâtayn"). Quelles sont ces circonstances et quels sont les avis des savants à ce sujet ?
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A) Différents Hadîths sur le sujet :
1) Anas relate :
1.a) "Quand il voyageait et qu'il se remettait en selle avant que le soleil ait décliné, le Prophète retardait l'accomplissement de az-zohr jusqu'à l'heure de al-'asr, puis il descendait (de sa monture) et les accomplissait tous les deux ensemble. Et si le soleil avait décliné avant qu'il se remette en selle, il accomplissait az-zohr puis se remettait en selle" (al-Bukhârî 1060, Muslim 704) ;
1.b) Dans la version rapportée par al-Hâkim : "Et si le soleil avait décliné avant qu'il se remette en selle, il accomplissait az-zohr et al-'asr puis se remettait en selle" (al-Hâkim, cité dans Subul us-salâm 2/405).
2) Mu'âdh raconte :
2.a) "Nous étions en compagnie du Prophète lors de la campagne de Tabûk. Il accomplissait az-zohr et al-'asr ensemble, et al-maghrib et al-'ishâ ensemble" (Muslim 706) ;
2.b) Dans la version rapportée par at-Tirmidhî : "Quand il se remettait en selle avant que le soleil ait décliné, le Prophète retardait l'accomplissement de az-zohr jusqu'à joindre celle-ci avec al-'asr, et il les accomplissait toutes deux ensemble. Et quand il se remettait en selle après que le soleil ait décliné, il hâtait al-'asr en la (faisant rejoindre) az-zohr, et il accomplissait az-zohr et al'-asr ensemble" (at-Tirmidhî 553, Abû Dâoûd 1208).
3) Ibn Abbâs raconte :
"Le Prophète a, à Médine, alors qu'il n'était pas en voyage et n'était pas (non plus) dans une situation de crainte, accompli ensemble az-zohr et al-'asr" (Muslim 705).
4) Ibn Mas'ûd déclare :
"Je n'ai jamais vu le Prophète accomplir une prière hors de l'horaire celle-ci, sauf à Muzdalifa : il y a accompli ensemble al-maghrib et al-'ishâ ; le lendemain, il y a accompli as-subh avant son horaire" (al-Bukhârî 1598, Muslim 1289).
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B) Différents avis à propos de l'accomplissement de deux prières ensemble :
Il faut tout d'abord rappeler que lorsqu'on parle de la question de savoir si on peut ou non regrouper deux prières, il faut savoir que ce regroupement, s'il est autorisé (les avis suivent plus bas), ne peut être effectué qu'à propos de prières relevant "du même couple" : zohr et 'asr d'un côté, et maghrib et 'ishâ de l'autre côté. Il est impossible de regrouper 'asr et maghrib ensemble, ou 'ishâ et sub'h ensemble. Ensuite, il est deux façons de regrouper les deux prières formant chaque couple :
- soit on les accomplit toutes les deux dans l'horaire de la première : on a alors fait un "regroupement avancé" ("jam' taqdîm") ;
- soit on les accomplit toutes deux dans l'horaire de la seconde : on a alors procédé à un "regroupement par retardement" ("jam' ta'khîr").
Ce rappel effectué, voici différents avis sur la question…
L'école hanafite est d'avis qu'il est impossible d'accomplir deux prières obligatoires dans l'horaire de l'une d'elles : ni dans l'horaire de la première (jam' taqdîm) ni dans celui de la seconde (jam' ta'khîr), sauf pour les pèlerins dans la nuit du 10 dhu-l-hijja (soit la nuit entre la journée du 9 et celle du 10), où ils doivent attendre d'être à Muzdalifa pour accomplir ensemble al-maghrib et al-'ishâ dans l'horaire de cette dernière. L'école hanafite considère comme texte principal à ce sujet la parole de Ibn Mas'ûd (4). Elle interprète ce qu'a relaté Anas (version 1.a) ainsi que ce qu'a relaté Mu'âdh (2.a) comme signifiant que le Prophète retardait l'accomplissement de az-zohr jusqu'à la dernière partie de l'horaire de celle-ci, puis, une fois l'horaire de al-'asr commencé peu après, il accomplissait al-'asr : les deux prières étaient ainsi accomplies dans un temps proche, mais chacune dans son horaire propre : az-zohr dans la dernière partie de son horaire et al-'asr au début du sien. C'est là, d'après l'école hanafite, le sens du propos disant que "le Prophète retardait l'accomplissement de az-zohr jusqu'à l'heure de al-'asr, puis il descendait (de sa monture) et les accomplissait tous les deux ensemble" (1.a) et de celui disant qu'"il accomplissait az-zohr et al-'asr ensemble, et al-maghrib et al-'ishâ ensemble" (2.a). Quant aux autres versions, elles mentionnent certes explicitement que le Prophète accomplissait zohr et 'asr dans l'horaire de zohr, alors que le soleil avait juste décliné (1.b, 1.c et 2.b) ; cependant, leur authenticité est discutable : de 1.b certains spécialistes du Hadîth ont dit qu'il était mawdhû' (cf. Subul us-salâm 2/450) ; et de 2.b que sa chaîne de transmission comporte Hussayn ibn Abdillâh, qui n'est pas un maillon fiable (cf. Tanzîm ul-ashtât, 1/446).
Selon les écoles malikite, shâfi'ite et hanbalite, on peut, dans certaines circonstances de la vie quotidienne, procéder au "jam' taqdîm" et au "jam' ta'khîr" des deux groupes de prières cités plus haut. Ces trois écoles se fondent sur certains Hadîths comme ceux cités plus haut en 1.b et 2.b. Et si l'authenticité de ces Hadîths fait l'objet d'avis divergents, en voici une version qui, disent les savants de ces écoles, est indiscutablement authentique : "Quand il était en voyage, quand le soleil avait décliné, il accomplissait az-zohr et al-'asr ensemble, puis se remettait en selle" (Abû Nu'aym dans Mustakhraju Muslim, cité dans Subul us-salâm 2/405).
Ibn Hazm est quant à lui d'avis que les Hadîths ne relatant explicitement que l'accomplissement de zohr et de 'asr dans l'horaire de 'asr, seul est autorisé pour le voyageur de regrouper ainsi deux prières dans l'horaire de la seconde (jam' ta'khîr). Dès lors, le fait de regrouper deux prières dans l'horaire de la première (jam' taqdîm) reste interdit.
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C) Les causes qui, chez les écoles qui autorisent le regroupement de prières, permettent l'accomplissement des prières de ces deux groupes ensemble :
C.1) Un voyage considéré comme tel par les sources musulmanes (safar shar'î) : cette cause est reconnue par les trois écoles malikite, shâfi'ite et hanbalite.
C.2) Une maladie éprouvante (maradh) : cette cause est reconnue par Ahmad, d'après un avis par Mâlik, mais n'est pas reconnue par ash-Shâfi'î :
- d'après Ahmad, cette cause est constituée d'une maladie qui est très éprouvante, et elle permet le "jam' taqdîm" et le jam' ta'khîr" des deux groupes de prières ;
- d'après Mâlik, seul le "jam' taqdîm" est permis au cas où on pense qu'on va tomber gravement malade (ou qu'on va tomber sans connaissance) au moment de l'horaire de la seconde prière.
C.3) Des conditions climatiques difficiles : cette cause est reconnue globalement par les trois savants mais dans le détail leurs avis sont différents :
- d'après ash-Shâfi'î : la cause valable est une pluie diluvienne, et elle autorise le "jam' taqdîm" (et non pas le "jam' ta'khîr") pour le groupe des prières maghrib et 'ishâ et de celles de zohr et de 'asr, à condition qu'on accomplisse la prière en allant à pied à la mosquée de sorte que l'on soit trempé :
- d'après Mâlik : les causes valables sont une pluie diluvienne et une forte boue lors d'une forte obscurité ; et cela n'autorise que le "jam' taqdîm" (et non pas le "jam' ta'khîr") pour le groupe des prières maghrib et 'ishâ seulement (et non pour celui de zohr et de 'asr), et à condition qu'on accomplisse la prière dans une mosquée (et non chez soi) ;
- d'après Ahmad : les causes valables sont aussi bien une pluie diluvienne qu'une forte neige, ou un froid très vif ; cela autorise à la fois le "jam' taqdîm" et le "jam' ta'khîr", mais uniquement pour le groupe des prières maghrib et 'ishâ (et pas pour le groupe de celles de zohr et 'asr) et à condition qu'on accomplisse la prière dans une mosquée éloignée de chez soi (et non chez soi ou dans une mosquée proche de chez soi) ;
- bien que les anciens savants n'en avaient apparemment rien dit, des muftis contemporains ont donné la fatwa autorisant de combiner en "jam' taqdîm" les prières de maghrib et ishâ dans les pays aux fortes latitudes, quand l'heure normale de la prière de 'ishâ débute très tard (en été par exemple). Cette fatwa a été donnée par The European Council for Fatwa and Research. Si vous habitez l'Europe et que vous éprouvez réellement des difficultés à faire la prière de 'ishâ en été, renseignez-vous auprès de frères de votre entourage qui sont versés dans les sciences islamiques.
C.4) Une occupation nécessaire, sans qu'on prenne l'habitude du regroupement pour cette cause (shughl / al-hâja il man lâ yattakhidhuhû 'âdatan) : cette cause n'est reconnue que par des savants tels que Ibn Sîrîn, Ash'hab, al-Qaffâl, ash-Shâshî al-kabîr et Ibn ul-Mundhir (Shar'h Muslim 5/219). Wahba az-Zuhaylî écrit en substance : "Il y a là une possibilité pour les ouvriers et pour les ouvriers agricoles lorsque l'horaire d'une prière tombe pendant leur horaire de travail (et qu'ils ne peuvent pas s'absenter un instant pour aller accomplir la prière)".
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D) Les règles à observer lors de l'accomplissement de deux prières ensemble :
D. 1) Lors d'un "jam' taqdîm" :
Primo : faut-il, avant même de commencer la première prière, faire l'intention que l'on va, juste après, faire la seconde aussi ? Az-Zuhaylî rapporte que cela est nécessaire, as-Sayyid Sâbiq que cela ne constitue pas une nécessité.
Secundo : il faut que la cause permettant le jam' soit présente jusqu'au moment de débuter la seconde prière (d'après ash-Shâfi'î) / jusqu'au moment de terminer cette seconde prière (d'après Ahmad) ; ainsi, si était en voyage, qu'on avait accompli la première prière dans un bus en train de se déplacer et qu'on pensait faire la seconde en jam', mais qu'avant que l'on débute celle-ci, le bus arrive dans la ville où on habite, alors étant donné qu'on cesse d'être "en voyage" en arrivant dans sa ville, on ne peut plus accomplir la seconde prière en jam', mais on doit l'accomplir dans sa marge horaire habituelle.
Tertio : il faut accomplir les deux prières dans l'ordre (tartîb) : zohr d'abord, et ensuite 'asr, et non l'inverse.
Quarto : faut-il, accomplir la seconde prière immédiatement après la première, sans faire un autre acte ni se déplacer entre les deux ? An-Nawawî et az-Zuhaylî rapportent que cela est nécessaire d'après ash-Shâfi'î (mais qu'un léger manquement dans l'enchaînement ne gêne pas). As-Sayyid Sâbiq rapporte que d'après ash-Shâfi'î cela ne constitue pas une nécessité.
D.b) Lors d'un "jam' ta'khîr" :
Primo : il faut, avant la fin de l'horaire de la première prière, faire l'intention qu'on va accomplir celle-ci en la combinant avec la seconde prière, dans l'horaire de cette seconde prière.
Secundo : il faut que la cause permettant le jam' soit présente jusqu'à la fin de l'horaire de la première prière ; ainsi, si on était en voyage, qu'on était dans la marge horaire prévue pour la prière de zohr, qu'on avait l'intention d'accomplir celle-ci en "jam' ta'khîr" avec celle de 'asr, mais qu'ensuite, avant la fin de l'horaire de la prière de zohr, on arrive dans la ville où on habite, alors étant donné qu'on cesse d'être considéré "en voyage" en arrivant dans sa ville, on devra accomplir la prière de zohr avant la fin de son horaire habituel.
Tertio : d'après Ahmad : il faut accomplir les deux prières dans l'ordre (tartîb) : zohr d'abord, et ensuite 'asr, et non l'inverse. D'après ash-Shâfi'î, cela est préférable mais n'est ici pas une nécessité d'après ce que Wahba az-Zuhaylî et an-Nawawî rapportent de lui.
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Mes sources pour cet article :
Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, Wahba az-Zuhaylî, tome 2 pp. 1372-1385 – Fiqh us-sunna, as-Sayyid Sâbiq, tome 1 pp. 343-346 - Shar'h Muslim, an-Nawawî.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).