Peut-on spécifier des conditions lorsqu'on conclut une vente ?

Question :

A-t-on le droit, en islam, de vendre quelque chose à quelqu'un en spécifiant qu'on ne lui remettra cette chose que dans un mois ?

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Réponse :

Vous posez en fait la question de savoir quel type de conditions est valable et quel type est nul lors d'une transaction. Or, cette question fait, chez les savants, l'unanimité sur certains points, et est l'objet de divergences d'avis sur d'autres.

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1) La condition qui ne fait que spécifier ce qu'implique la transaction ("ash-shart ulladhî huwa min muqtadha-l-'aqd") :

Spécifier une telle condition ne change rien. Imaginez par exemple que l'acheteur dise : "Je vous achète ceci à condition que vous me le remettiez" : une fois la chose vendue, le vendeur doit de toute façon la remettre à l'acheteur ; cette condition ne fait que spécifier ce qui faisait déjà partie de ce qu'implique la transaction.

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2) La condition qui ne contredit pas l'objectif premier de la transaction mais relève de ce qui est reconnu comme utile aux contractants ("ash-shart ulladhî huwa min maslahat il-'aqd") :

Une telle condition est valable à l'unanimité. Plusieurs choses font partie des choses utiles pour les personnes qui font la transaction ; ainsi en est-il de l'option d'achat (khiyâr ush-shart), ou encore du paiement à crédit. Il s'agit bien là d'une condition que l'acheteur spécifie parfois lors de l'achat : s'il a accepté de vendre à cette condition, le vendeur est ensuite tenu de respecter celle-ci.

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3) La condition qui ne relève ni de ce qu'implique la transaction, ni de ce qui est reconnu comme utile aux contractants ("ash-shart ulladhî layssa min muqtadha-l-'aqd wa lâ min maslahatih") :

Plusieurs cas existent, selon que cette condition est aussi telle que...

3.1) ... elle contredit l'objectif premier de la transaction ("yunâfî maqsûd al-'aqd / muqtadha-l-'aqdi mutlaqan") :

Une telle condition est nulle.
Relève de ce type de conditions le fait que le vendeur dise qu'il vend l'objet à l'acheteur à la condition que celui-ci ne le revende ensuite jamais, ou qu'il ne le revende à personne d'autre que lui, etc. : cela contredit l'objectif normal de toute vente, qui est de permettre à l'acheteur de disposer du bien, c'est-à-dire de l'utiliser en toute liberté dans le cadre du licite. Ce type de condition est nul (lada-l-hanâbila : 'inda ak'thar il-muta'akkhirîn ; voir Al-Qawâ'ïd un-nûrâniyya al-fiqhiyya, pp. 212 ; Al-Mughnî tome 5 p. 676).

3.2) ... elle ne contredit pas l'objectif premier de la transaction ("lâ yunâfî maqsûd al-'aqd") :

Quatre cas de figure se présentent alors...

3.2.1) ... soit la condition induit en fait un second acte dans l'acte ("yaqtadhî 'aqdan fî 'aqdin") :

Cette condition est également nulle à l'unanimité (cf. Al-Mughnî, "'aqdun fî 'aqdin").
Ainsi, l'acheteur ne peut pas dire au vendeur : "Je t'achète cet objet à condition que tu m'achètes tel autre objet". Le Prophète (sur lui soit la paix) a interdit que l'on fasse "deux transactions en une".

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3.2.2) ... soit la condition contredit un principe donné par les sources ("yukhâlifu mâ qâlahu-l-kitab aw is-sunna") :

Cette condition est alors nulle.
Est ainsi nulle la condition qui déclare permis ce qu'un texte des sources de l'islam (ou le raisonnement par analogie fait à partir d'un texte) a explicitement déclaré interdit. Le Prophète (sur lui la paix) a dit : "…Et les musulmans (agiront) selon les conditions qu'ils ont fixées, sauf une condition qui rend illicite ce qui est licite ou qui rend licite ce qui est illicite" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 1352). C'est le sens de la parole du Prophète qui va suivre : à l'époque où vivait le Prophète l'esclavage existait encore, et alors que Barîra était encore esclave, Aïcha lui avait proposé de l'aider à s'affranchir, après quoi son droit d'héritage lui reviendrait ("walâ'" : quand meurt une personne qui, au cours de sa vie, avait été esclave puis avait été affranchie, ce qu'elle laisse en héritage revient, en cas d'absence de parents, à celui qui l'a affranchi). Les maîtres de Barîra avaient dit qu'ils acceptaient, à condition que le droit d'héritage par rapport à Barîra reste leur. Quand le Prophète fut mis au courant de cette parole, il dit : "Toute condition n'étant pas dans le Livre de Dieu est nulle" (rapporté par al-Bukhârî, n° 2048, Muslim, n° 1504). "N'étant pas dans le Livre de Dieu" ne signifie pas, ici : "ne figurant pas dans le Coran" mais : "contraire aux règles présentes dans le Coran" (cf. Hujjat ullâh il-bâligha). Cette problématique a également été évoquée dans un autre de nos articles.

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3.2.3) ... soit la condition concerne la chose vendue, et induit quelque chose de différent, mais autorisé : c'est-à-dire que sans spécification aucune, c'est telle règle qui s'applique ; cependant, il y a la possibilité de poser la condition inverse :

Le Prophète a dit : "من باع نخلا قد أبرت فثمرها للبائع، إلا أن يشترط المبتاع" : "Celui qui a acheté un dattier après qu'il ait été fécondé, les fruits de ce dattier reviendront au vendeur, sauf si l'acheteur a spécifié (le contraire)" (Bukhârî, Muslim).
--- Si les fruits étaient déjà apparus au moment de la vente de l'arbre, alors : Pour Abû Hanîfa comme pour ash-Shâfi'î, les fruits ne sont pas inclus dans la vente de l'arbre, et n'iront donc pas à l'acheteur avec l'arbre ; c'est la règle normale. Sauf mention contraire, spécifiée lors de la transaction : cette condition là est entièrement possible ;
--- Par contre, les choses sont différentes quant à l'arbre fruitier dont les fruits n'étaient pas apparus avant qu'il soit vendu mais qui, au moment où il est livré, porte des fruits : pour Abû Hanîfa c'est ici encore la même règle que précédemment qui s'applique : les fruits appartiennent au vendeur. Par contre, pour ash-Shâfi'î, ici la règle est différente : ici la règle normale est que les fruits comme l'arbre iront à l'acheteur, et seule une condition explicite du vendeur pourrait changer la donne. Le fait est que ash-Shâfi'î a eu recours au raisonnement "a contrario" et a donc considéré la clause mentionnée dans le hadîth, "après qu'il ait été fécondé", comme ayant comme objectif de faire comprendre que le cas inverse entraîne la règle inverse. Abû Hanîfa, ne reconnaissant pas le "maf'hûm ul-mukhâlafa", n'a pas fait ce raisonnement.

De même, dans la vente, les deux parties peuvent énoncer comme condition que la marchandise doit contenir telle qualité (dont l'absence n'est pas en soi un défaut). Si cette clause n'a pas été respectée, chez les hanafites il y a alors la possibilité d'annuler le contrat ; cela constitue le "khiyâr ul-wasf" ou "khiyâru fawât il-wasf il-marghûb fîh" (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, p. 3206).
Cela est-il possible dans le mariage ? est-il ainsi possible, lors de la conclusion du contrat, de stipuler comme clause que le conjoint ou la conjointe possède telle qualité ? D'après les hanafites ce genre de clause n'est pas pris en considération ; d'après les trois autres écoles cela l'est (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, pp. 7058-7060 ; voir aussi Al-Mughnî 9/256)

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3.2.4) ... soit la condition relève d'un autre cas que ceux cités jusqu'à présent : en général ce genre de conditions apporte un avantage particulier à l'un des deux contractants ("ishtirâtu mâ lâ yaqtadhîhi-l-'aqd-ul-mutlaq wa fîhi manfa'a li ahad il-muta'âqidayn") :

Il s'agit par exemple du fait de dire : "Je t'achète ce tissu à condition que tu le couses de façon à en faire une veste". Ou : "Je te vends cette voiture à condition que je puisse continuer à l'utiliser pendant encore un mois, et après je te la livrerai".
C'est ce genre de condition qui fait l'objet d'avis divergents entre les ulémas...

Le plus restrictif à ce sujet est Abû Hanîfa : selon lui, est nulle toute condition qui apporte de la sorte un avantage supplémentaire ("manfa'a lâ yaqhtadhîha-l-'aqd") à l'acheteur ou au vendeur. Abû Hanîfa se fonde sur le Hadîth disant que "Le Prophète a interdit qu'il y ait une vente et une condition" (rapporté par at-Tabarânî dans Al-Awsat, al-Hâkim dans 'Ulûm ul-hadîth). Il y a aussi le hadîth déjà cité : "Toute condition n'étant pas dans le Livre de Dieu est nulle" (rapporté par al-Bukhârî, n° 2048, Muslim, n° 1504). Selon Abû Hanîfa, si ce Hadîth parle ainsi de cette condition (concernant le droit d'héritage), c'est parce qu'elle crée une modification par rapport à ce qu'entraîne normalement l'acte (d'affranchissement). Est donc nulle toute condition qui crée une modification par rapport à ce qu'entraîne normalement une transaction donnée ("mâ lâ yaqhtadhîhi-l-'aqdu-l-mutlaq").
Selon cet avis, la condition que vous avez mentionnée dans votre question n'est pas permise. Toutefois, des ulémas postérieurs de l'école hanafite ont atténué la rigueur de ce principe en disant que si l'usage d'un lieu donné à un moment donné ("al-'urf") faisait d'une condition de ce type quelque chose de reconnu, cette condition précise était valable.

Ahmad ibn Hanbal est quant à lui d'avis que l'adjonction d'une (et une seule) condition de ce genre lors d'une transaction est valable et qu'il faudra ensuite la respecter.
Ahmad se fonde entre autres sur le fait que le Prophète a dit : "Celui qui vend un dattier dont on a procédé à la fécondation, les dattes reviendront au vendeur, sauf si l'acheteur, par condition, en stipule l'acquisition" (rapporté par al-Bukhârî, n° 2090, Muslim, n° 1543). De même, le Prophète a vendu à Jâbir un chameau mais en précisant qu'il continuerait à le monter jusqu'à arriver à Médine (rapporté par al-Bukhârî, n° 2569, Muslim, n° 715).
Quant au Hadîth : "Le Prophète a interdit qu'il y ait une vente et une condition", il est faible (dha'îf) selon des spécialistes de Hadîth (voir par exemple Sharî'at ul-islâm sâliha…, p. 85).
Quant au Hadîth qui dit à propos de Barîra, "Toute condition n'étant pas dans le Livre de Dieu est nulle", il ne parle pas de la condition qui crée une modification par rapport à ce qu'entraîne normalement la transaction ("lâ yaqtadhîhil-l-'aqd-ul-mutlaq"), mais d'une condition qui rend permis ce que les sources de l'islam ont interdit ou bien qui crée une modification par rapport à l'objectif même que ces sources ont assigné à cette transaction ("yunâfî maqsûd ash-shâri'" / "yunâfî muqtadha-l-'aqdi mutlaqan") (Al-Qawâ'ïd un-nûrâniyya al-fiqhiyya, pp. 228-229 ; voir aussi Zâd ul-ma'âd, tome 5 p. 165). En effet, poursuivent-ils, dans le Hadîth concernant Barîra, il s'agissait bien de rendre permis ce que l'islam a interdit, car la cession du "walâ'" est interdite, comme l'a expliqué un autre Hadîth (rapporté par al-Bukhârî, n° 2398, Muslim, n° 1506).
Quant aux termes "sauf une condition qui rend illicite ce qui est licite", il est ici question d'interdire, par le biais de la condition, non pas ce qui était seulement permis, mais ce qui, avant que l'on mette cette condition, était permis et faisait partie de ce que la transaction impliquait d'elle-même (Islâm aur jadîd mu'âsharatî massâ'ïl, p. 43 ; voir aussi Al-Qawâ'ïd un-nûrâniyya al-fiqhiyya, p. 226).
Toutefois, selon Ahmad, le fait de spécifier deux conditions dans une vente est interdit, car le Prophète a interdit qu'"il y ait deux conditions dans la vente" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 1234). Selon lui, il n'est donc pas permis que l'acheteur dise : "Je t'achète ce tissu à condition que tu le tailles et que tu le couses".

D'autres ulémas, parmi lesquels ash-Shâfi'î, ne font pas de différence entre l'adjonction d'une ou de deux conditions de ce genre : de telles conditions sont valables et il faudra ensuite les respecter.
Cet avis repose sur la même argumentation que celle de Ahmad, sauf qu'il n'appréhende pas le Hadîth interdisant qu'"il y ait deux conditions dans la vente" dans le sens strictement littéral (zâhir), comme l'a fait Ahmad, mais dans le sens d'une interdiction qu'"il y ait deux ventes en une vente", conformément à ce que d'autres ulémas ont écrit de ce Hadîth. (Que désigne "l'interdiction de deux ventes en une vente", cliquez ici pour le découvrir.)

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Qu'advient-il de la transaction dans laquelle a été incluse une condition qui est nulle ?

Les avis sont également divergents sur ce point...

Selon certains ulémas, si la condition est nulle, la transaction est également nulle ("bâtil") : il est impératif de l'annuler, car on n'est même pas devenu propriétaire du bien qu'on a acheté ou vendu lors de cette transaction.

Selon d'autres ulémas (dont Abû Hanîfa), si la condition est nulle, la transaction est mauvaise ("fâssid") : elle est illicite ("mak'rûh") mais valide ("sahîh") et entraîne donc la propriété. Il est cependant nécessaire d'annuler cette transaction tant que cela est encore possible, et si on ne l'a pas annulée, on sera fautif moralement ("ithm") ; cependant on sera quand même propriétaire de ce que l'on a acheté ou vendu par le biais de cette transaction.

Lire un autre de mes articles pour en savoir plus sur ce point.

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Mes sources pour cet article :

Al-Mughnî, Ibn Qudâma, tome 5 pp. 673-677 – Al-Qawâ'ïd un-nûrâniyya al-fiqhiyya, Ibn Taymiyya, pp. 206-229 – Fiqh us-sunna, as-Sayyid Sâbiq, tome 4 pp. 56-58 - Bidâyat ul-mujtahid, Ibn Rushd, tome 2 pp. 279-280.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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