Lors du récent passage du cyclone Dina (janvier 2002) près de mon île, la Réunion, alors que, à cause d'une coupure générale d'électricité, nous devions la nuit allumer des bougies, j'ai assisté à une expérience classique : des papillons de nuit, attirés par la lumière, virevoltent autour de la bougie, s'approchent peu à peu de la flamme, et puis, à un moment donné, s'y brûlent les ailes, tombent foudroyés et meurent.
Cela m'a rappelé cette parole où le Prophète Muhammad a dit : "Mon exemple et le vôtre est celui-ci… Un homme allume un feu, et, lorsque celui-ci a illuminé ce qu'il y autour de lui, les papillons et ces autres petites bêtes qui tombent dans le feu y tombent. L'homme se met à les écarter du feu, mais ils le contournent et y tombent (quand même)." Le Prophète dit : "C'est là mon exemple et le vôtre : je cherche à vous écarter du feu : "Eloignez-vous du feu, éloignez-vous du feu !" Mais vous me contournez et vous y précipitez" (rapporté par al-Bukhârî, Muslim, n° 2284).
Ce Hadîth contient une parabole qui évoque une scène que chacun et chacune ont déjà vue. Les papillons de nuit et autres insectes sont naturellement attirés par la lumière. Ils sont attirés par elle et ont même besoin d'elle. Il y a cependant lumière et lumière. Ainsi, celle de la flamme est lumière attirante, source de plaisir, mais aussi feu qui brûle, source de destruction. Le papillon, aveuglé par son seul instinct, n'y voit cependant que la lumière source de plaisir et objet de ses convoitises, ignorant le danger du feu source de mort. Si ce papillon était doué de raison, il se demanderait même pourquoi l'homme qui se trouve là cherche à les éloigner du feu, lui et ses semblables, à leur crier qu'ils devraient chercher d'autres sources de lumière, non nocive pour eux. S'il était doué de parole, il critiquerait également cet homme qui leur dit que ce qu'ils font leur sera préjudiciable. Ne comprenant pas que l'homme veut en fait le protéger du danger que représente la flamme, n'écoutant que son instinct, tout à son plaisir, le papillon virevolte autour de la lumière dansante de la flamme. Il décrit de grands cercles, se rapprochant chaque fois un peu plus. Et là, brusquement, lors d'un passage très rapproché, il ressent une vive douleur. Il tombe. Ses ailes sont en feu, et il se consume lentement. Il s'est détruit.
A la différence d'une comparaison simple, dans une parabole (tamthîl), chaque détail du comparant n'a pas forcément son pendant dans le comparé. La similitude ne porte donc pas sur chaque élément du comparant mais seulement sur certains de ses éléments, extraits de la scène globale. Ainsi, la phrase "Un homme allume un feu" n'a pas de pendant dans le rôle du Prophète. La parabole porte sur le seul fait que, tout comme les papillons sont naturellement attirés par la lumière, les hommes sont naturellement attirés par tout ce qui fait le plaisir de leur être, de leurs sens, de leur personne. Qu'il s'agisse de plaisirs physiques ou de ce qui flatte leur personnalité et leur honneur, qu'il s'agisse de sentiments ou d'émotions, ils ont besoin de ces choses pour vivre sur terre. Mais comme il est des lumières qui, bien qu'attirantes, sont nocives pour les papillons, il est des choses qui, bien qu'attirantes pour les hommes et sources de plaisirs pour eux, sont nocives à la santé de leur société ; d'autres qui sont préjudiciables à leur santé spirituelle ; d'autres encore qui causent du tort à leur équilibre mental... Le Prophète a montré aux hommes la voie (en apportant le Coran, parole de Dieu, et en l'explicitant par la Sunna – ses propres paroles, ses actes, ses silences)… une voie pour une vie normale et complète, une vie d'équilibre, où les plaisirs ne sont pas interdits en soi, mais où les limites indiquent quels sont les plaisirs qui font du tort à l'homme, tous les autres restant permis.
Le Prophète a ainsi enseigné que le cœur de l'homme peut se faire du tort à lui-même s'il se laisse tromper par tout ce qui l'attire, s'il fait de ce qui ne le mérite pas l'objectif primordial de son existence, au point de lui rendre une sorte de culte (shirk khafî). Le Prophète (sur lui la paix) a ainsi dit : "Malheur à l'esclave de la pièce d'or, à l'esclave de la pièce d'argent…" (rapporté par al-Bukhârî). "Si l'être humain avait une vallée pleine d'or, il en voudrait absolument une deuxième…" (rapporté par al-Bukhârî). Accorder à ce qui ne le mérite pas la place qui, dans son cœur, revient à une divinité, cela ne peut que priver ce cœur de la sérénité qu'il ne pourra trouver que dans l'Absolu, Dieu. Et puis, du moment que le cœur reste dans le cadre d'un attachement raisonnable, les plaisirs et les désirs sont permis tant qu'ils ne portent pas du préjudice à une autre exigence de l'homme. Le Prophète a ainsi dit : "La relation sexuelle que l'un de vous a est acte de charité. – O Messager de Dieu, questionnèrent ses Compagnons, comment le fait de satisfaire son instinct pourrait-il être source de récompenses (auprès de Dieu) ? – Dites-moi : s'il avait employé son instinct dans ce qui est illicite, cela n'aurait-il pas été un péché pour lui ? De la même façon, quand il l'emploie dans le licite, il en reçoit une récompense" (rapporté par Muslim, n° 1006). Le Prophète a de même enseigné que l'argent que l'on possède peut être source de bienfaits ou source de méfaits (pour soi, pour sa famille, pour ses amis et pour la société) : "Ce bien matériel est verdoyant, doux. Celui qui l'acquiert dans ce qui est son droit et l'utilise dans ce qui est son droit, alors quel bon aide constitue (pour lui) ce bien ! Mais celui qui l'acquiert ailleurs que ce qui est son droit est comme celui mange sans jamais être rassasié. Et ce bien témoignera contre lui le jour du jugement" (rapporté par al-Bukhârî, Muslim, n° 1052).
L'argent et les plaisirs, le matériel, la science et la technique ne sont donc que des outils, qui en soi ne sont ni bons ni mauvais, mais dont l'utilisation pourra être bonne ou mauvaise selon qu'elle est faite à l'intérieur ou, au contraire, à l'extérieur des limites et orientations de l'éthique musulmane.
Tout cela, le Prophète l'a enseigné aux hommes. Mais, à l'instar des papillons attirés par la lumière du feu, tous les hommes ne comprennent pas. Ils demeurent attirés par leurs désirs immédiats, sans égard pour leurs devoirs, pour leur cœur.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).