Question :
Quelles limites l'islam présente-t-il quant au regard des uns et des autres ? Et pourquoi ?
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Réponse :
L'attirance pour les attraits corporels est naturelle chez l'être humain, et l'islam ne demande pas à ce dernier de chercher à éradiquer cette attirance. Au contraire, c'est bien parce qu'il reconnaît qu'attirance il y a entre homme et femme qu'il désire orienter celle-ci. En agissant ainsi, l'objectif de l'islam n'est pas de rendre la vie impossible mais au contraire de permettre qu'elle soit mieux vécue, en préservant l'homme de flatter sans cesse son instinct.
Car si l'attirance vers l'autre sexe et le désir qui en est à la base sont naturels, et si ce désir doit s'exprimer et non être refoulé, il y a une grande différence entre le fait de l'orienter et celui de le flatter sans cesse. Ainsi, les corps n'étant pas marqués négativement, il est normal qu'entre époux et épouse on s'admire et on s'attire. Mais que des corps affichent partout en public leurs attraits aux regards, et que des regards ne se privent pas de tirer profit de ces attraits, voilà des faits qui ne peuvent manquer avoir des répercussions sur l'individu, la famille et la société.
Il ne s'agit pas d'avoir honte de son corps. Il s'agit d'avoir de la pudeur pour, justement, dissimuler en public les attraits de ce corps et réserver ceux-ci à son conjoint(e), l'être avec qui on partage sa vie.
C'est dans ce sens que l'islam offre à chaque humain une orientation et des limites dans l'utilisation qu'il fait de son regard. En sus de l'observance de ces règles extérieures, l'islam lui demande également de travailler son cœur.
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I) 'Awra, Saw'a et Zîna :
Le passage de sourate al-A'râf qui parle de l'erreur commise par Adam et Eve (sur eux soit la paix) contient le terme Saw'a : "فَوَسْوَسَ لَهُمَا الشَّيْطَانُ لِيُبْدِيَ لَهُمَا مَا وُورِيَ عَنْهُمَا مِن سَوْءَاتِهِمَا" : "Le Diable leur fit des suggestions afin que ce qui était caché d'eux – leurs parties intimes – leur soit découvert" (Coran 7/20). "فَلَمَّا ذَاقَا الشَّجَرَةَ بَدَتْ لَهُمَا سَوْءَاتُهُمَا وَطَفِقَا يَخْصِفَانِ عَلَيْهِمَا مِن وَرَقِ الْجَنَّةِ" : "Alors, lorsqu'ils eurent goûté de l'arbre, leurs parties intimes leur apparurent, et ils se mirent à les (recouvrir) en fixant des feuilles du Paradis" (Coran 7/22). "Fils d'Adam, Nous vous avons donné un vêtement pour cacher votre nudité, ainsi que par parure. Et le vêtement de la piété, voilà qui est meilleur" : "يَا بَنِي آدَمَ قَدْ أَنزَلْنَا عَلَيْكُمْ لِبَاسًا يُوَارِي سَوْءَاتِكُمْ وَرِيشًا. وَلِبَاسُ التَّقْوَىَ ذَلِكَ خَيْرٌ ذَلِكَ مِنْ آيَاتِ اللّهِ لَعَلَّهُمْ يَذَّكَّرُونَ" (Coran 7/26). "O Fils d'Adam, que le Diable ne (réussisse pas dans) la tentation qu'il vous fait connaître, comme il a (réussi à) faire sortir vos parents du Jardin, tirant d'eux leur vêtement afin de leur faire voir leur nudité" : "يَا بَنِي آدَمَ لاَ يَفْتِنَنَّكُمُ الشَّيْطَانُ كَمَا أَخْرَجَ أَبَوَيْكُم مِّنَ الْجَنَّةِ يَنزِعُ عَنْهُمَا لِبَاسَهُمَا لِيُرِيَهُمَا سَوْءَاتِهِمَا" (Coran 7/27).
Et le célèbre verset de sourate an-Nûr contient les deux termes 'Awra et Zîna : "وَقُل لِّلْمُؤْمِنَاتِ يَغْضُضْنَ مِنْ أَبْصَارِهِنَّ وَيَحْفَظْنَ فُرُوجَهُنَّ وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلَّا مَا ظَهَرَ مِنْهَاوَلْيَضْرِبْنَ بِخُمُرِهِنَّ عَلَى جُيُوبِهِنَّ وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلَّا لِبُعُولَتِهِنَّ أَوْ آبَائِهِنَّ أَوْ آبَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ أَبْنَائِهِنَّ أَوْ أَبْنَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ إِخْوَانِهِنَّ أَوْ بَنِي إِخْوَانِهِنَّ أَوْ بَنِي أَخَوَاتِهِنَّ أَوْ نِسَائِهِنَّ أَوْ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُهُنَّ أَوِ التَّابِعِينَ غَيْرِ أُوْلِي الْإِرْبَةِ مِنَ الرِّجَالِ أَوِ الطِّفْلِ الَّذِينَ لَمْ يَظْهَرُوا عَلَى عَوْرَاتِ النِّسَاء وَلَا يَضْرِبْنَ بِأَرْجُلِهِنَّ لِيُعْلَمَ مَا يُخْفِينَ مِن زِينَتِهِنَّ وَتُوبُوا إِلَى اللَّهِ جَمِيعًا أَيُّهَا الْمُؤْمِنُونَ لَعَلَّكُمْ تُفْلِحُونَ" (Coran 24/31).
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Le terme "Saw'a" signifie : "ce que montrer fait de la peine à la ou les personnes".
Cela désigne donc les parties intimes (les parties génitales et les fesses).
Mais cela désigne aussi le cadavre humain, dans la mesure où l'exposition de ce qui arrive au cadavre fait de la peine aux humains vivants : "فَبَعَثَ اللّهُ غُرَابًا يَبْحَثُ فِي الأَرْضِ لِيُرِيَهُ كَيْفَ يُوَارِي سَوْءةَ أَخِيهِ قَالَ يَا وَيْلَتَا أَعَجَزْتُ أَنْ أَكُونَ مِثْلَ هَذَا الْغُرَابِ فَأُوَارِيَ سَوْءةَ أَخِي فَأَصْبَحَ مِنَ النَّادِمِينَ" (Coran 5/31).
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Le terme "'Awra" signifie : "ouverture que l'on devrait barricader, car par elle l'ennemi pourrait s'introduire" ; "manquement" :
"والعوار والعورة: شق في الشيء كالثوب والبيت ونحوه. قال تعالى: {إن بيوتنا عورة وما هي بعورة} أي: متخرقة ممكنة لمن أرادها. ومنه قيل: فلان يحفظ عورته، أي: خلله" (Muf'radât ar-Râghib).
"الجوهري: والعورة كل خلل يتخوف منه في ثغر أو حرب. النحاس: يقال أعور المكان إذا تبينت فيه عورة، وأعور الفارس إذا تبين فيه موضع الخلل" (Tafsîr ul-Qurtubî, 14/49).
"ثلاث عورات لكم} سمى كل واحد منها عورة لأن الناس يختل تسترهم وتحفظهم فيها، والعورة الخلل ومنه أعور الفارس وأعور المكان، والأعور المختل العين" (Al-Bah'r ul-muhît).
"أي هن ثلاثة أوقات يختل فيها التستر عادة. والعورة في الأصل هو الخلل غلب في الخلل الواقع فيما يهم حفظه ويعتنى بستره. أطلقت على الأوقات المشتملة عليها مبالغة كأنها نفس العورة" (Tafsîr Abi-s-Sa'ûd).
"فمنع في الثلاث العورات من دخولهم علينا، لأن حقيقة العورة كل شي لا مانع دونه، ومنه قوله: "إن بيوتنا عورة" أي سهلة للمدخل. فبين العلة الموجبة للإذن، وهي الخلوة في حال العورة" (Tafsîr ul-Qurtubî 12/306).
"وكل مكان ليس بممنوع ولا مستور فهو عورة، قاله الهروي" (Tafsîr ul-Qurtubî 14/148).
Ensuite, de façon plus générale, le terme désigne : "toute chose dont l'exposition cause de la honte ('âr), et qu'il faut donc dissimuler" :
"والعورات جمع عورة وهي في الأصل ما يحترز من الاطلاع عليه" (Rûh ul-ma'ânî, 9/340).
"العورة سوأة الإنسان، وذلك كناية. وأصلها من العار وذلك لما يلحق في ظهوره من العار أي: المذمة"(Muf'radât ar-Râghib).
Un autre avis existe, selon lequel la racine du terme "'Awra" signifierait plutôt : "Qub'h" (Al-Majmû', 4/212). "قال أهل اللغة: سميت العورة عورة لقبح ظهورها ولغض الأبصار عنها؛ مأخوذة من العور وهو النقص والعيب والقبح. ومنه: عور العين، والكلمة العوراء القبيحة" (Al-Bah'r ur-Râ'ïq).
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Quant au terme "Zîna", il signifie : "parure".
Que signifie donc que "les croyantes ne doivent pas faire montre de leur parure, Zîna" ?
Le Murâd en est qu'elles doivent voiler certaines parties de leur corps devant telle catégorie d'humains. Ce point-là est certain.
Cependant, qu'est-ce que le terme "Zîna" signifie ici, au sens premier du terme (Madlûl Awwalî) ?
Il y a divergence entre les commentateurs sur le sujet. Le Madlûl Awwalî en est :
--- i) soit : certaines parties du corps elles-mêmes (الزينة الخَلقية) : le visage et les mains ;
--- ii) soit : la parure qui est portée sur certaines parties corporelles, ou dont ces parties corporelles sont enduites (الزينة المُستَعارة) ; ces parties corporelles n'étant pour leur part signifiées par le terme "zîna" que par le biais de la métonymie (madlûl majâzî). Ensuite :
----- ii.i) soit laisser voir cette parure entraîne que l'on voit aussi la partie du corps sur laquelle elle se trouve : c'est le cas des bijoux (comme l'anneau, passé au doigt, le bracelet au poignet, la boucle à l'oreille, la couronne, posée sur la tête, le collier, porté dans le cou, etc.) et des substances enduites (comme le khôl dont les yeux sont enduits, le henné dont les mains sont enduites, etc.) ;
----- ii.ii) soit laisser voir cette parure n'entraîne pas que l'on voit aussi la partie du corps sur laquelle cette zîna se trouve : c'est le cas des vêtements (ces 3 possibilités ont été exposées dans Adhwâ' ul-bayân).
Je n'ai - en toute humilité - trouvé l'énoncé de parties corporelles comme étant la "Zîna" (tafsîr i) que pour "le visage et les mains" ; je n'ai pas trouvé que des commentateurs auraient dit que la chevelure de la femme relève elle aussi de sa "Zîna" mentionnée dans ce verset, qu'elle peut laisser découverte devant ses mahârim. Je me demande si ce tafsîr i ne relèverait donc pas davantage de l'exposé du Murâd du terme "Zînatu-hunna" que de celui de son Madlûl Awwalî .
Il semble donc que, dans ce verset, le Madlûl Awwalî du terme "Zîna" soit bien : les bijoux et les substances enduites (soit le tafsîr ii.i), et c'est seulement par métonymie que ce terme désigne : les parties du corps portant ces bijoux. Cela d'autant plus que, à la fin du même verset, on lit de nouveau le terme "Zîna" pour désigner ce qui, cette fois, ne peut bien évidemment être qu'un bijou : "وَلَا يَضْرِبْنَ بِأَرْجُلِهِنَّ لِيُعْلَمَ مَا يُخْفِينَ مِن زِينَتِهِنَّ".
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Al-Qurtubî écrit pour sa part : "قلت: هذا قول حسن، إلا أنه لما كان الغالب من الوجه والكفين ظهورهما عادةً وعبادةً - وذلك في الصلاة والحج -، فيصلح أن يكون الاستثناء راجعا إليهما. الرابعة: الزينة على قسمين: خلقية ومكتسبة. فالخلقية وجهها، فإنه أصل الزينة وجمال الخلقة ومعنى الحيوانية لما فيه من المنافع وطرق العلوم. وأما الزينة المكتسبة فهي ما تحاوله المرأة في تحسين خلقتها، كالثياب والحلي والكحل والخضاب، ومنه قوله تعالى: {خذوا زينتكم}. وقال الشاعر: "يأخذن زينتهن أحسن ما ترى ... وإذا عطلن فهن خير عواطل". الخامسة: من الزينة ظاهر وباطن. فما ظهر فمباح أبدا لكل الناس من المحارم والأجانب، وقد ذكرنا ما للعلماء فيه. وأما ما بطن فلا يحل إبداؤه إلا لمن سماهم الله تعالى في هذه الآية، أو حل محلهم. واختلف في السوار، فقالت عائشة: هي من الزينة الظاهرة لأنه في اليدين؛ وقال مجاهد: هو من الزينة الباطنة، لأنها خارج عن الكفين وإنما يكون في الذراع. قال ابن العربي: وأما الخضاب فهو من الزينة الباطنة إذا كان في القدمين" (Tafsîr ul-Qurtubî).
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C'est la Saw'a, c'est-à-dire les parties intimes (al-qubul wa-d-dubur), qui constitue la 'Awra au sens premier du terme : "العورة سوأة الإنسان" (Muf'radât ur-Râghib). (Voir également Tahrîr ul-mar'a, 4/301.) Normal : ce sont elles que chaque humain éprouve de la gêne à exposer.
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Cependant, par précaution, l'islam a requis de ne pas regarder chez autrui telle et telle partie de son corps également, qui sont autres que ces Saw'a, parties intimes : "الوجه الثاني عشر: أن الله تعالى أمر بغض البصر - وإن كان إنما يقع على محاسن الخلقة والتفكر في صنع الله - سدا لذريعة الإرادة والشهوة المفضية إلى المحظور" (A'lâm ul-muwaqqi'în, 3/112), et ce en toutes circonstances, que concrètement on éprouve de la délectation (shahwat ut-taladhdhudh), ou pas.
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Or, lorsque l'islam demande à A de ne pas regarder ce qui, par rapport à lui, est 'awra chez B, il demande également à B de revêtir cette 'awra en présence de A.
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Dès lors, par extension, toute partie du corps d'une personne que le Coran ou la Sunna a interdit à telle catégorie d'humains donnés de regarder chez cette personne, et qu'il a interdit à cette personne de laisser découvert en leur présence, cela a été nommé "'awra pour cette personne par rapport à ces gens".
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II) Deux règles générales pour comprendre les normes liées au regard :
L'islam présente les deux règles suivantes qui encadrent l'action des regards...
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– 1) Ce que l'islam considère comme étant à cacher systématiquement des regards ('awra au sens élargi du terme) :
Dieu dit : "قُل لِّلْمُؤْمِنِينَ يَغُضُّوا مِنْ أَبْصَارِهِمْ وَيَحْفَظُوا فُرُوجَهُمْ ذَلِكَ أَزْكَى لَهُمْ إِنَّ اللَّهَ خَبِيرٌ بِمَا يَصْنَعُونَ. وَقُل لِّلْمُؤْمِنَاتِ يَغْضُضْنَ مِنْ أَبْصَارِهِنَّ وَيَحْفَظْنَ فُرُوجَهُنَّ وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلَّا مَا ظَهَرَ مِنْهَا وَلْيَضْرِبْنَ بِخُمُرِهِنَّ عَلَى جُيُوبِهِنَّ وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلَّا لِبُعُولَتِهِنَّ أَوْ آبَائِهِنَّ أَوْ آبَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ أَبْنَائِهِنَّ أَوْ أَبْنَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ إِخْوَانِهِنَّ أَوْ بَنِي إِخْوَانِهِنَّ أَوْ بَنِي أَخَوَاتِهِنَّ أَوْ نِسَائِهِنَّ أَوْ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُهُنَّ أَوِ التَّابِعِينَ غَيْرِ أُوْلِي الْإِرْبَةِ مِنَ الرِّجَالِ أَوِ الطِّفْلِ الَّذِينَ لَمْ يَظْهَرُوا عَلَى عَوْرَاتِ النِّسَاء وَلَا يَضْرِبْنَ بِأَرْجُلِهِنَّ لِيُعْلَمَ مَا يُخْفِينَ مِن زِينَتِهِنَّ وَتُوبُوا إِلَى اللَّهِ جَمِيعًا أَيُّهَا الْمُؤْمِنُونَ لَعَلَّكُمْ تُفْلِحُونَ"
"Dis aux croyants qu'ils baissent de leur regard et qu'ils restent chastes. Ceci est cause de plus de pureté pour eux. Dieu est informé de ce qu'ils font.
Et dis aux croyantes qu'elles baissent de leur regard et qu'elles restent chastes. Et qu'elles ne montrent pas leur parure, sauf ce qui en paraît. Et qu'elles ramènent leur khimâr sur leur encolure, et qu'elles ne montrent pas leur parure, sauf devant leur mari, ou leur père (...)" (Coran 24/30-31).
On lit ici une double exception quant au fait pour la femme de laisser découverts les parties de son corps portant habituellement sa parure (ses bijoux) : "وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ", "et (les croyantes) ne doivent pas montrer leur parure, sauf ce qui en paraît" ; "وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ", "et (les croyantes) ne doivent pas montrer leur parure, sauf devant leur mari, leur père, etc." :
--- La première exception ("إِلَّا مَا ظَهَرَ مِنْهَا", "sauf ce qui en paraît") parle de la Parure Zâhira, et s'applique aux personnes autres que celles mentionnées dans la seconde exception, donc aux personnes Ajânib : en présence de personnes Ajânib, la femme ne doit laisser découvert, des parties de son corps portant sa parure (ses bijoux), que : "ce qui en paraît"/ sa Parure Zâhira (لا تبدي المؤمنة أمام الرجال الأجانب إلا مواضع زينتها الظاهرة - وهي الكحل والخاتم).
--- Quant à la seconde exception ("إِلَّا لِبُعُولَتِهِنَّ أَوْ آبَائِهِنَّ أَوْ آبَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ", "sauf à leur mari, ou à leur père, ou à leur beau-père, ou..."), elle parle des personnes Ghayr-Ajânib (il s'agit du Mari, mais aussi des Mahârim : le père, le frère, etc.), et s'applique à la parure autre que celle mentionnée dans la première exception, donc à la Parure Bâtina : en présence de personnes non-ajânib, la femme peut laisser découvertes des parties de son corps portant sa Parure Bâtina (تبدي المؤمنة مواضع زينتها الباطنة - وهي التاج والقلادة والسوار وغيرها - أمام زوجها ومحارمها) ; l'étendue de ce qu'elle peut laisser ainsi dévoilé devant les personnes listées diffère ensuite selon ces personnes (comme nous allons le voir).
--- "والزينة زينتان: ظاهرة وباطنة. فالظاهرة لا يجب سترها ولا يحرم النظر إليها لقوله تعالى: {وَلاَ يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلاَّ مَا ظَهَرَ مِنْهَا} وفيها ثلاثة أقاويل: أحدها: أنها الثياب؛ قاله ابن مسعود. الثاني: الكحل والخاتم؛ قاله ابن عباس والمسور بن مخرمة. الثالث: الوجه والكفان؛ قاله الحسن وابن جبير وعطاء. وأما الباطنة (...)، وهذا الزينة الباطنة يجب سترها عن الأجانب ويحرم عليهم تعمد النظر إليها" (Tafsîr ul-Mâwardî). La formule "الزينة الخفيّة" a été quant à elle écrite par al-Baghawî dans son Tafsîr.
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--- On notera que ce verset 24/31 n'a pas parlé des autres parties du corps de la femme : pas parlé des parties sur lesquelles elle ne porte habituellement pas de bijou :
----- le ventre, le dos et la poitrine ;
----- les cuisses ;
----- les parties intimes.
Ainsi, il n'a pas dit si la femme pouvait, ou ne pouvait pas, découvrir sa poitrine devant d'autres femmes, par exemple sa mère, ou ses soeurs, etc.
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Par ailleurs, le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "لا ينظر الرجل إلى عورة الرجل ولا المرأة إلى عورة المرأة" : "L'homme ne regardera pas la 'awra de l'homme, ni la femme la 'awra de la femme. (...)" (Muslim 338). Ici on voit la Sunna induire qu'il existe aussi de la 'awra entre les personnes du même sexe (ce que le verset sus-cité ne disait pas explicitement).
De même, alors que al-Miswar portait une lourde pierre, son pagne tomba, et il ne put pas le reprendre immédiatement, Le Prophète (sur lui soit la paix), ayant vu la scène, lui dit : "Retourne à ton vêtement et prends-le. Et ne marchez pas nus" : "عن المسور بن مخرمة، قال: أقبلت بحجر أحمله ثقيل وعلي إزار خفيف، قال: فانحل إزاري ومعي الحجر لم أستطع أن أضعه حتى بلغت به إلى موضعه. فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ارجع إلى ثوبك فخذه، ولا تمشوا عراة" (Muslim, 341).
On peut citer aussi ici les hadîths parlant de se rendre au hammam (bain public, dont le Prophète avait dit que pareil établissement se trouve dans des contrées autres que l'Arabie) : "عن جابر، أن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "من كان يؤمن بالله واليوم الآخر فلا يدخل الحمام بغير إزار. ومن كان يؤمن بالله واليوم الآخر فلا يدخل حليلته الحمام. ومن كان يؤمن بالله واليوم الآخر فلا يجلس على مائدة يدار عليها بالخمر" (at-Tirmidhî, 2801). "عن أبي عذرة - وكان قد أدرك النبي صلى الله عليه وسلم - عن عائشة، أن النبي صلى الله عليه وسلم نهى الرجال والنساء عن الحمامات، ثم رخص للرجال في الميازر" (at-Tirmidhî, 2802, Abû Dâoûd, 4009, dha'îf). "عن عبد الله بن عمرو، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "إنها ستفتح لكم أرض العجم وستجدون فيها بيوتا يقال لها الحمامات. فلا يدخلنها الرجال إلا بالأزر، وامنعوها النساء إلا مريضة أو نفساء" (Abû Dâoûd, 4011, dha'îf). "دخل نسوة من أهل الشام على عائشة رضي الله عنها، فقالت: ممن أنتن؟ قلن: من أهل الشام. قالت: لعلكن من الكورة التي تدخل نساؤها الحمامات؟ قلن: نعم. قالت: أما إني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من امرأة تخلع ثيابها في غير بيتها إلا هتكت ما بينها وبين الله تعالى" (Abû Dâoûd, 4010 ; at-Tirmidhî, 2803).
Ces hadîths disent à l'homme qu'il pourra se rendre au hammam mais ne devra se trouver que portant un pagne.
Et ils interdisent de façon inconditionnelle l'entrée des musulmanes au hammam [fût-ce à la section féminine], sauf cas de nécessité [lors duquel elles ne devront s'y trouver elles aussi que la 'awra recouverte] : Alî al-Qârî explique cette différence par le fait que, quand elles sont entre elles, en général les femmes ne font pas suffisamment attention à se recouvrir la 'awra : "ولعل الوجه في منع النساء من دخول الحمام أنهن في الغالب لا يستحي بعضهن من بعض وينكشفن وينظر بعضهن إلى بعض، حتى في الأجانب فضلا عن القرائب. وأما البنت مع الأم أو مع الجارية وأمثالهما، فلا تكاد توجد أن تتستر حتى في البيت فضلا عن الحمام. وهو مشاهد في كثير من الحمامات للنساء خصوصا في بلاد العجم؛ وأنه لا تتزر منها إلا نادرة العصر من نسوان السلاطين أو الأمراء؛ فإن ائتزرت واحدة من الرعايا، عزرنها في الحمام بضربها وطردها. وكأنه - صلى الله عليه وسلم - رأى بنور النبوة ما جرى فسد عنهن هذا الباب، والله أعلم بالصواب" (Mirqât ul-mafâtîh) ; "إلا مريضة أو نفساء" فتدخلها إما وحدها أو بإزار عليها؛ وفيه دليل على أنه لا يجوز للمرأة أن تدخل الحمام إلا بضرورة" (Ibid.).
A cause du fait qu'à son époque, les hommes étaient eux aussi devenus ainsi, al-Ghazâlî a écrit, concernant les hommes, que "ce qui relève de la fermeté à cette époque c'est de délaisser le fait de se rendre au hammam, car celui-ci n'est pas exempt de 'awra découvertes (...)" : "قال: ولهذا صار الحزم في هذه الأزمان ترك دخول الحمام إذ لا يخلو عن عورات مكشوفة لاسيما ما فوق العانة وتحت السرة. ولهذا استحب إخلاء الحمام" (cité in Al-Majmû').
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Un seul cas fait exception à tout cela, celui de la nécessité (dharûra), comme un accident de la route ou une opération chirurgicale, etc.
Celui, parfois, d'une forte hâja aussi, comme le fait de se faire soigner (Al-Majmû', 4/211-212).
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Il faut également préciser que, d'après un avis, le fait pour B de revêtir en présence de A ce que A ne doit pas regarder, cela concerne ceux et celles qui ont accepté la foi musulmane : d'après cet avis, même en pays musulmans, si l'islam dit que les musulmans ne doivent pas porter de regard déplacé sur les attraits des non-musulmanes, il ne dit pas que ces dernières auraient l'obligation religieuse de couvrir leur chevelure en public (elles devront cependant respecter le cadre public en vigueur dans ces pays et porter donc des vêtements plus amples que ceux qui sont parfois portés en public dans les pays occidentaux).
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– 2) Ce que l'islam ne considère pas comme étant à cacher systématiquement des regards :
Regarder ce qui n'est pas 'awra par rapport à soi demeure autorisé.
La seule exception, alors, est le cas où l'on ressent au fond de soi de la délectation, ou bien où on sait que l'on risque fortement d'en ressentir ("سواء كانت الشهوة شهوة الوطء، أو كانت شهوة التلذذ بالنظر" : MF 15/413).
Un cas fait bien sûr exception, celui des époux, où désir ou pas, regarder la 'awra de l'autre est bien entendu autorisé.
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1 & 2) Les ulémas auteurs de ces deux règles :
Cet avis disant qu'on doit systématiquement ne pas regarder ce qui est 'awra (que le regard soit neutre ou de délectation), cependant que, pour ce qui n'est pas 'awra, on doit ne pas le regarder si le regard est de délectation, alors que c'est l'autorisation qui demeure tant que le regard est neutre… cet avis est celui de : at-Tabarî, al-Baghawî, al-Qâdhî 'Iyâdh, Ibn Battâl, Ibn 'Abd il-barr… (cf. Tahrîr ul-mar'a, tome 4).
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III) L'application de ces deux règles :
Pour comprendre l'application de ces deux règles, il faut bien sûr connaître ce qui est 'awra et ce qui ne l'est pas. Or, déterminer cela n'est pas le même vis à vis du corps humain en général, mais dépend de plusieurs facteurs.
Qu'est-ce qui ne doit pas être regardé par qui, chez qui ?
Explications et détails dans les deux listes ci-dessous...
– A) Quelle est la 'awra de l'homme par rapport à :
--- a) son épouse ?
----- pas de 'awra (Al-Mughnî 9/308).
--- b) un autre homme ?
----- d'après l'école zahirite : seules les parties intimes (les organes génitaux et les fesses) ; quant aux cuisses, elles ne font pas partie de la 'awra (Al-Muhallâ, 2/241-243, Al-Mughnî 2/156, Al-Hidâya 2/444) ;
----- d'après la majorité des ulémas : la partie comprise entre le nombril et les genoux (Al-Mughnî 9/316-317, 2/155). Al-Bukhârî écrit : "ويروى عن ابن عباس وجرهد ومحمد بن جحش، عن النبي صلى الله عليه وسلم: "الفخذ عورة". وقال أنس بن مالك: "حسر النبي صلى الله عليه وسلم عن فخذه." قال أبو عبد الله: "وحديث أنس أسند؛ وحديث جرهد أحوط حتى يخرج من اختلافهم" (Al-Jâmi' us-Sahîh). Les cuisses et la partie en-dessous du nombril font dès lors partie de la 'awra.
Mais le nombril lui-même, fait-il partie de la 'awra ? Oui d'après l'un des avis relatés de l'école shafi'ite (relaté in Al-Hidâya 2/444) ; Non d'après l'école hanbalite (Al-Mughnî 2/156) et l'école hanafite (Al-Hidâya 2/444).
Et les genoux, font-ils partie de la 'awra ? Non d'après l'école hanbalite (Al-Mughnî 2/156) et l'école shafi'ite ; Oui d'après l'école hanafite (Al-Hidâya 2/444).
--- c) une femme autre que son épouse ?
----- d'après l'avis le plus connu : la partie comprise entre le nombril et les genoux (Al-Mughnî 9/318, Al-Hidâya 2/445).
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– B) Quelle est la 'awra de la femme par rapport à :
--- a) son époux ?
----- pas de 'awra (Al-Mughnî 9/308).
--- b) une autre femme, musulmane ?
----- d'après la majorité des ulémas : la règle ici est la même que celle relative au regard de l'homme vers l'homme : la 'awra de la femme par rapport aux autres femmes est : la partie comprise entre le nombril et les genoux (Al-Mughnî 9/318, Al-Hidâya 2/445) ;
----- d'après un avis relaté de Abû Hanîfa : la règle ici est la même que celle relative au regard de l'homme vers sa proche parente : la 'awra de la femme est, par rapport à une autre femme : la partie comprise entre les genoux et le nombril, ainsi que le ventre et le dos (pas la poitrine) (Al-Hidâya 2/445).
--- b') une autre femme, non-musulmane ?
----- au sein de l'école hanafite, l'avis dit "plus pertinent" ("assahh") est que la 'awra de la musulmane par rapport à la non-musulmane est la même que sa 'awra par rapport à un homme (Ad-Durr ul-mukhtâr 9/534) ; c'est donc la règle citée en c', plus bas, qui s'applique ici : sa 'awra par rapport à cette femme est : tout le corps sauf le visage et les mains ;
----- d'après Ahmad ibn Hanbal, il n'y a, quant à la 'awra de la femme musulmane, pas de différence entre la musulmane et la non-musulmane : ce qui n'est pas 'awra par rapport à la première ne l'est pas par rapport à la seconde non plus (Al-Mughnî 9/318) ; c'est donc la même règle qu'en b qui s'applique ici : la 'awra de la femme par rapport à toute femme est : la partie comprise entre le nombril et les genoux.
--- c) un homme qui est l'un de ses proches parents (mahram : proche parent avec lequel le mariage est systématiquement interdit, tel que le père, le frère, le fils, etc.) ?
----- d'après un avis des shafi'ites : la 'awra de la femme est alors la même chose que ce qui est 'awra de l'homme par rapport à un autre homme et de la femme par rapport à une autre femme ; autrement dit : la 'awra de la femme est : la partie comprise entre le nombril et les genoux. Pour sa part Ibn Qudâma précise, après avoir relaté un avis semblable, qu'il est seulement déconseillé, mais pas interdit, de laisser par exemple la poitrine découverte (Al-Mughnî 9/302-303) ;
----- d'après l'école hanafite : la 'awra de la femme est alors : la partie comprise entre les genoux et le nombril, ainsi que le ventre et le dos (mais pas la poitrine) (Al-Hidâya 2/445) ;
----- d'après les malikites, les hanbalites et l'autre avis des shafi'ites : la 'awra de la femme est alors : la partie comprise entre les genoux et le nombril, ainsi que le ventre, le dos et la poitrine (Al-Mughnî 9/302-303). Selon cet avis, la proche parente d'un homme doit donc garder couverts devant lui : la partie comprise entre ses genoux et son nombril, ainsi que son ventre, son dos et sa poitrine ; par contre, elle peut ne pas recouvrir devant lui : son visage, ses mains, mais aussi ses cheveux, son cou, ses épaules, ses mollets.
--- c') tout homme autre que son époux et ses proches parents ?
----- tout le corps, sauf le visage et les mains (Al-Hidâya 2/442).
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IV) Quelques notes supplémentaires :
– A) Des cas qui font exception par rapport à la règle normale : le petit enfant ; l'homme très âgé :
Le jeune enfant qui n'a pas encore eu d'éveil sexuel est évoqué explicitement dans le verset : "أو الطِّفْلِ الَّذِينَ لَمْ يَظْهَرُوا عَلَى عَوْرَاتِ النِّسَاء". La femme se trouve, par rapport à un tel enfant, dans le même hukm que vis-à-vis de ses proches parents (mahârim). Le verset a listé cet enfant parmi ceux devant qui la femme peut laisser dévoiler sa parure autre que ce qui paraît.
En fait, cela est dû au fait que la 'Illa / Manât, la Ratio Legis / le Principe Motivant du Hukm d'interdiction de regarder est que cela est en soi susceptible d'entraîner la shahwa (shahwat ut-taladhdhudh) : "العلة في تحريم النظر الخوف من الفتنة" (Al-Mughnî 9/313). Et la 'Illa du Hukm d'interdiction de découvrir est parallèle.
Dès lors, les êtres en qui cette 'Illa n'est pas présente ne sont pas astreints à ce Hukm.
Ainsi, l'homme qui est vieux au point de ne plus ressentir la moindre attirance vis-à-vis d'une femme, la femme se trouve, par rapport à lui, dans le même hukm que vis-à-vis de ses proches parents (mahârim) : "ومن ذهبت شهوته من الرجال، لكبر، أو عنة، أو مرض لا يرجى برؤه، أو الخصي، أو الشيخ، أو المخنث الذي لا شهوة له، فحكمه حكم ذي المحرم في النظر، لقول الله تعالى: {أو التابعين غير أولي الإربة من الرجال} أي: غير أولي الحاجة إلى النساء" (Al-Mughnî 9/315-316).
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Parallèlement, un autre verset parle de : "وَالْقَوَاعِدُ مِنَ النِّسَاء اللَّاتِي لَا يَرْجُونَ نِكَاحًا فَلَيْسَ عَلَيْهِنَّ جُنَاحٌ أَن يَضَعْنَ ثِيَابَهُنَّ غَيْرَ مُتَبَرِّجَاتٍ بِزِينَةٍ وَأَن يَسْتَعْفِفْنَ خَيْرٌ لَّهُنَّ وَاللَّهُ سَمِيعٌ عَلِيمٌ" (Coran 24/60) : il s'agit en fait de la femme très vieille au point de ne plus être désirable.
"حدثني يونس، قال: أخبرنا ابن وهب، قال: قال ابن زيد، في قوله: {والقواعد من النساء اللاتي لا يرجون نكاحا فليس عليهن جناح أن يضعن ثيابهن غير متبرجات بزينة} قال: "وضع الخمار". قال: "التي لا ترجو نكاحا: التي قد بلغت أن لا يكون لها في الرجال حاجة، ولا للرجال فيها حاجة. فإذا بلغن ذلك، وضعن الخمار غير متبرجات بزينة." ثم قال: {وأن يستعففن خير لهن}. كان أبي يقول هذا كله" (Tafsîr ut-Tabarî). "قال ربيعة: هي التي إذا رأيتها تستقذرها من كبرها. وقال أبو عبيدة: "اللاتي قعدن عن الولد"؛ وليس ذلك بمستقيم، لأن المرأة تقعد عن الولد وفيها مستمتع، قاله المهدوي" (Tafsîr ul-Qurtubî).
Ibn Abbâs affirme : "la première règle [induite par Coran 24/31] a été mansûkh* et en ont été exceptées : "les femmes âgées" [Coran 24/60]" : "عن ابن عباس، {وقل للمؤمنات يغضضن من أبصارهن} الآية؛ فنُسِخَ واستُثْنِىَ من ذلك: {والقواعد من النساء اللاتي لا يرجون نكاحا} الآية" (Abû Dâoûd, n° 4111). * Cela signifie ici : "mukhassas".
Une telle femme, de même que la toute petite fille qui n'est pas désirable, leur 'awra vis-à-vis de tout homme est la même que la 'awra de la femme vis-à-vis de ses proches parents (mahârim) (Al-Mughnî 9/312-315). "وقال قوم: الكبيرة التي أيست من النكاح، لو بدا شعرها فلا بأس؛ فعلى هذا يجوز لها وضع الخمار" (Tafsîr ul-Qurtubî, qui n'a cependant pas retenu cet avis).
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- B) Gradation dans la 'awra de l'homme vis-à-vis du regard d'autrui :
Pour l'homme, il est obligatoire (d'après l'école hanafite) de se couvrir, devant toute personne (sauf son épouse), l'espace compris entre juste plus bas que le nombril jusqu'aux genoux, donc y compris les cuisses et les genoux. Al-Marghînânî, qui est hanafite, écrit ainsi : "وبهذا ثبت أن السرة ليست بعورة خلافا لما يقوله أبو عصمة والشافعي، والركبة عورة خلافا لما قاله الشافعي، والفخذ عورة خلافا لأصحاب الظواهر، وما دون السرة إلى منبت الشعر عورة خلافا لما يقوله الإمام أبو بكر محمد بن الفضل الكماري".
Pourtant, ajoute-t-il : "la règle de 'awra est plus légère à propos du genou qu'à propos de la cuisse ; et elle est plus légère à propos de la cuisse qu'à propos de la partie intime" : "وحكم العورة في الركبة أخف منه في الفخذ، وفي الفخذ أخف منه في السوأة. حتى أن كاشف الركبة ينكر عليه برفق وكاشف الفخذ يعنف عليه وكاشف السوءة يؤدب إن لج" (Al-Hidâya 2/444).
Il veut dire ici que, bien que découvrir n'importe quelle partie de cet ensemble soit interdit, il existe une gradation dans la gravité, pour l'homme, de se découvrir ces différentes parties de la 'awra.
Pourquoi cela ?
--- En note de bas de page, il est dit que c'est parce que "le caractère interdit de (découvrir les) parties intimes fait l'objet du consensus, tandis qu'il y a divergence à propos du reste" (note de bas de page sur Al-Hidâya 2/444). Le fait est que le caractère d'un acte qui est obligatoire (ou interdit) de façon qat'î a plus de force que celui d'un acte dont le caractère fait l'objet d'une divergence d'avis ("obligatoire" ou "seulement recommandé") ("interdit" ou "seulement déconseillé") ("interdit" ou "autorisé") avec détermination de la vérité n'étant possible que de façon zannî.
--- Par ailleurs, même chez les ulémas qui sont d'avis que la cuisse de l'homme est 'awra, il n'y a pas de mal à ce que, par hâja, il arrive qu'un homme touche la cuisse de l'autre alors que celle-ci est revêtue (par exemple pendant la prière rituelle, ou autre). Voyez cette relation : "عن أبي العالية البراء قال: أخر ابن زياد الصلاة. فجاءني عبد الله بن الصامت، فألقيت له كرسيا، فجلس عليه. فذكرت له صنيع ابن زياد. فعض على شفته، وضرب فخذي، وقال: "إني سألت أبا ذر كما سألتني، فضرب فخذي كما ضربت فخذك، وقال: إني سألت رسول الله صلى الله عليه وسلم كما سألتني، فضرب فخذي كما ضربت فخذك، وقال: "صل الصلاة لوقتها. فإن أدركتك الصلاة معهم فصل، ولا تقل إني قد صليت فلا أصلي" (Muslim, 648). Or cela n'est évidemment pas possible par rapport aux parties intimes : il n'y a pas possibilité de les toucher, même si elle sont revêtues (seul un cas de dharûra, comme une consultation médicale, rendrait cela autorisé). C'est entre autres cette règle de l'autorisation de toucher la cuisse revêtue mais pas la partie intime revêtue qui constitue un des arguments de l'école zahirite : "فلو كانت الفخذ عورة، لما مسها رسول الله صلى الله عليه وسلم من أبي ذر أصلا بيده المقدسة؛ ولو كانت الفخذ عند أبي ذر عورة، لما ضرب عليها بيده؛ وكذلك عبد الله بن الصامت، وأبو العالية. وما يستحل مسلم أن يضرب بيده على ذكر إنسان على الثياب، ولا على حلقة دبر الإنسان على الثياب، ولا على بدن امرأة أجنبية على الثياب ألبتة" (Al-Muhallâ 2/243). Or on peut en extraire un hukm différent de celui qu'en a extrait l'école zahirite : la cuisse fait bien partie de la 'awra de l'homme, mais son degré est moindre que celui des parties intimes, et c'est pourquoi on peut légèrement la toucher si elle est revêtue, alors qu'on ne doit jamais le faire vis-à-vis des parties intimes de quelqu'un, fussent-elles revêtues.
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- C) Gradation dans la 'awra de la femme vis-à-vis du regard d'autrui :
Quant à ce qui relève de la femme, on peut (mais ce sur la base, cette fois, non pas d'une divergence, ni d'une possibilité de toucher au travers d'un vêtement, mais d'une mise en parallèle) proposer ce qui suit...
L'ensemble de ce qui constitue sa 'awra par rapport à un homme n'étant ni son mari ni ses proches parents, il lui est interdit d'en découvrir n'importe quelle partie devant un tel homme (sauf cas de véritable nécessité, nous l'avons déjà dit plus haut).
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Malgré tout, il existe une gradation dans la gravité de découvrir différentes parties de cette 'awra :
--- il y a la chevelure, le cou, les épaules et le bas des jambes ;
--- plus accentué encore est ce qui relève du ventre, du dos et de la poitrine ;
--- plus accentué encore est ce qui relève des cuisses ;
--- enfin, plus accentué que tout est ce qui relève des parties intimes.
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– D) Des cas qui font exception par rapport à la règle normale : la nécessité de se soigner :
Des ulémas se sont penchés sur la question de l'auscultation pour une personne qui souffre d'une affection sur sa partie intime. Cette personne peut alors se faire ausculter par autrui, car cela est susceptible d'entraîner le diagnostic de ce dont elle souffre et, donc, la prescription des médicaments qui sont susceptibles d'entraîner la guérison (réaliser la Maslaha qui est susceptible d'être atteinte par ce qui contient cet élément interdit).
Ainsi, lorsqu'il y a hâja à ce que le médecin regarde un endroit précis du corps, les mujtahidûn ont déclaré "autorisé, pour le médecin compétent, d'ausculter cet endroit précis, fût-il 'awra".
Cependant, les ulémas ont également établi une gradation entre différentes 'Awrât (ce cas de figure étant hors prière) :
"المثال الثاني عشر: ستر العورات والسوآت واجب وهو من أفضل المروآت وأجمل العادات ولا سيما في النساء الأجنبيات، لكنه يجوز للضرورات والحاجات.
أما الحاجات فكنظر (...) الأطباء لحاجة المداواة، (...). وكذلك لو وقف الشاهد على العيب أو الطبيب على الداء فلا يحل له النظر بعد ذلك، لأنه لا حاجة إليه لذلك، لأن ما أحل إلا لضرورة أو حاجة يقدر بقدرها ويزال بزوالها. وأما الضرورات فكقطع السلع المهلكات ومداواة الجراحات المتلفات. ويشترط في النظر إلى السوآت - لقبحها - من شدة الحاجة ما لا يشترط في النظر إلى سائر العورات. وكذلك يشترط في النظر إلى سوأة النساء من الضرورة والحاجة ما لا يشترط في النظر إلى سوأة الرجال، لما في النظر إلى سوآتهن من خوف الافتتان. وكذلك ليس النظر إلى ما قارب الركبتين من الفخذين كالنظر إلى الأليتين" (Qawâ'ïd ul-ahkâm fî massâlih il-anâm, 2/286-287).
Des ulémas ont également écrit que, autant que possible, ce devra être quelqu'un du même sexe qui procédera à cette consultation et que ce n'est qu'en cas d'impossibilité que le musulman / la musulmane aura recours aux services d'un médecin du sexe opposé (tout en évitant les situations de solitude) : "(و) اعلم أن ما تقدم من حرمة النظر والمس هو حيث لا حاجة إليهما. وأما عند الحاجة فالنظر والمس (مباحان لفصد وحجامة وعلاج) ولو في فرج للحاجة الملجئة إلى ذلك؛ لأن في التحريم حينئذ حرجا، فللرجل مداواة المرأة، وعكسه، وليكن ذلك بحضرة محرم أو زوج أو امرأة ثقة (إن جوزنا خلوة أجنبي بامرأتين، وهو الراجح كما سيأتي في العدد إن شاء الله تعالى). ويشترط عدم امرأة يمكنها تعاطي ذلك من امرأة وعكسه كما صححه في زيادة الروضة، (...). ولو لم نجد لعلاج المرأة إلا كافرة ومسلما، فالظاهر كما قال الأذرعي أن الكافرة تقدم؛ لأن نظرها ومسها أخف من الرجل بل الأشبه عند الشيخين كما مر أنها تنظر منها ما يبدو عند المهنة بخلاف الرجل" (Mughni-l-Muhtâj, ash-Shirbînî).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).