Question :
La contraception est-elle autorisée en islam ?
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Réponse :
Répondre à votre question à propos de la contraception demande que l'on aborde tout d'abord la fonction que l'islam assigne à la sexualité.
A ce sujet, il faut tout d'abord souligner que le mariage est le cadre à l'intérieur duquel les relations sexuelles sont permises. Puis il nous faut aborder la question de savoir comment l'islam perçoit-il les relations intimes : celles-ci ont-elles comme seul objectif – donc comme seul cadre de permission – la procréation ?
On pourrait le penser en lisant ce hadîth : "Mariez-vous avec une femme qui vous aime et qui enfante : car je serai fier de votre multitude le jour du jugement" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 2050, et an-Nassâ'ï, n° 3227).
Mais en fait, si la procréation demeure la finalité de l'existence du désir sexuel, ce n'est qu'un des objectifs que l'islam assigne à la sexualité. A côté de cela, il y a aussi le fait de vivre ce qui fait partie de la nature humaine – le plaisir sexuel – dans le cadre permis. C'est bien pourquoi il existe un autre hadîth où le Prophète a dit que la sexualité vécue entre les époux était un acte de charité. Et à ses Compagnons qui s'étaient étonnés du fait que quelqu'un puisse être récompensé pour en fait n'assouvir qu'un désir sexuel et y trouver du plaisir, le Prophète répondit qu'étant donné que celui qui vivait sa sexualité hors du cadre permis agissait dans le péché, celui qui la vivait dans le cadre permis faisait un acte récompensé par Dieu (sens du hadîth rapporté par Muslim, n° 1006, et autres). C'est pourquoi Ibn ul-Qayyim a relevé trois objectifs principaux à la sexualité vécue dans le cadre du mariage : la procréation, le plaisir sexuel, et la pratique de ce qui contribue à l'équilibre humain, sur le plan physiologique (Zâd ul-ma'âd, tome 4 p. 249). Ibn ul-Qayyim a cité le plan physiologique ; on sait aujourd'hui que la sexualité contribue à l'équilibre physiologique mais aussi psychologique. (Voir aussi Tahrîr ul-mar'a, Abû Chuqqa, tome 6 pp. 145-147.)
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Dans les hadîths on trouve mentionnée une forme de contraception qui avait cours à l'époque du Prophète : le coït interrompu (en arabe : al-'azl) :
– D'un côté le Prophète récusa la parole de certains non-musulmans de son époque disant que cette pratique était une petite forme de suppression de l'enfant (al-maw'ûdat as-sughrâ) (hadîth de Abû Sa'ïd rapporté par Abû Dâoûd, n° 2171, sahîh bi-sh-shâhid). Des Compagnons racontent de même : "Nous pratiquions le coït interrompu à l'époque du Prophète. Le Prophète le sut et ne nous l'interdit pas" : "عن أبي الزبير، عن جابر، قال: "كنا نعزل على عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم، فبلغ ذلك نبي الله صلى الله عليه وسلم، فلم ينهنا" (Muslim, 1440/138).
– Cependant, dans une autre parole, le Prophète affirma lui-même que le coït interrompu était une forme dissimulée de suppression de l'enfant (hadîth de Judhâma rapporté par Muslim, n° 1442).
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Cette différence des réponses que le Prophète a données à propos de al-'azl a entraîné des opinions divergentes au sujet de cette pratique contraceptive parmi les ulémas :
– Certains, comme al-Hassan al-basrî et Ibn Hazm, sont d'avis que le 'azl est systématiquement interdit (harâm). Ces érudits sont d'avis que le hadîth de Judhâma a priorité par rapport au hadîth de Abû Sa'ïd.
– D'autres ulémas – at-Tahâwî, al-Ghazâlî, etc. – pensent que le 'azl est totalement autorisé pour peu qu'il ne soit pas pratiqué pour une cause qui contredit un principe de l'islam (nous allons évoquer quelques-unes de ces causes plus bas). Ces ulémas donnent priorité au hadîth de Abû Sa'îd sur celui de Judhâma. Al-Bayhaqî écrit ainsi : "Ceux qui rapportent la permission du 'azl sont plus nombreux et ont mieux retenu".
– D'autres, comme certains ulémas hanafites, disent que le 'azl est systématiquement déconseillé (mak'rûh). Cet avis constitue une synthèse entre les deux hadîths du Prophète cités ci-dessus, l'un et l'autre mettant en évidence le caractère déconseillé de la méthode contraceptive. D'ailleurs, disent ces érudits, d'autres hadîths du Prophète semblent également montrer qu'il a utilisé à l'égard du 'azl des termes qui laissent à penser qu'il voulait dire que cette pratique était à éviter même si elle n'est pas interdite ("lâ 'alaykum an-lâ taf'alû").
– Enfin, d'autres ulémas sont d'avis que la méthode du coït interrompu est en soi permise mais, en plus d'être pratiquée pour une cause qui n'est pas interdite, elle doit remplir une condition supplémentaire : il faut que l'épouse ait donné son consentement, car cette méthode nuit à la qualité des relations intimes en ce qui la concerne (à cause du retrait), de même que, comme toute méthode contraceptive, elle touche le droit de la femme à la maternité.
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Mettant en exergue la différence existant entre l'avortement et la pratique du coït interrompu, al-Ghazâlî explique que le coït interrompu empêche la rencontre des semences masculine et féminine. Il n'y a donc pas, dit-il, suppression d'un être existant, puisque l'enfant ne naît pas de la semence masculine seulement mais de la rencontre des deux semences. Par contre, l'avortement, lui, intervient bien à propos d'un être déjà existant.
Il écrit : "وليس هذا كالإجهاض والوأد لأن ذلك جناية على موجود حاصل. وله أيضاً مراتب. وأول مراتب الوجود أن تقع النطفة في الرحم وتختلط بماء المرأة وتستعد لقبول الحياة؛ وإفساد ذلك جناية. فإن صارت مضغةً وعلقةً، كانت الجناية أفحش. وإن نفخ فيه الروح واستوت الخلقة ازدادت الجناية تفاحشاً. ومنتهى التفاحش في الجناية بعد الانفصال حياً" : "Le premier niveau de l'existence (humaine) est que la semence masculine arrive dans l'appareil féminin et s'(y) mélange avec la semence féminine, se préparant ainsi à recevoir la vie ; se débarrasser de cette (existence humaine) est un délit. Ensuite si [2] cela devient un morceau de chair et un caillot de sang, le délit (que consisterait le fait de supprimer cette existence) est plus grave encore. Et si [3] l'âme [ar-rûh al-insânî] y est insufflée et que l'apparence physique est établie, le délit (de tuer cela) augmente en gravité. Le summum de la gravité dans le délit (se produit par attenter à cet être) après qu'il soit né vivant [4]" (Al-Ih'yâ, tome 2 p. 82).
L'âme humaine est insufflée dans ce petit être soit au bout du 42ème, soit au bout du 120ème jour de la vie fœtale (cette divergence découlant d'une divergence d'interprétations des hadîths existant sur le sujet).
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1) Quelles sont les motivations qui rendent autorisé le recours à la contraception ?
– Pour al-Ghazâlî, la règle générale à propos de la contraception est la permission, tant qu'elle n'est pas entreprise pour une cause interdite, laquelle, par voie d'incidence, rendrait le recours à la contraception interdit aussi. Aussi, selon lui, il n'est pas besoin d'une cause valable pour que la contraception soit permise : il suffit qu'il n'y ait pas de cause interdite.
– Pour Cheikh Khâlid Saïfullâh, par contre, la règle générale à propos de la contraception est qu'elle est à éviter (mak'rûh). Il ajoute qu'il est des causes qui la rendent interdite (comme la crainte de la pauvreté, etc.), et il en est d'autres qui la rendent entièrement autorisée (par exemple la présence d'un risque établi d'une détérioration grave de la santé de la femme en cas de grossesse, la présence d'un risque établi de grave malformation de l'enfant à naître, la présence d'une maladie mentale entraînant l'incapacité de la femme à assumer ses devoirs de mère, la volonté d'espacer les naissances pour pouvoir donner aux enfants une meilleure éducation…).
Soulignons ici que s'il faut, d'une part, que le recours à la contraception soit en soi autorisé comme nous venons de le voir, il faut également et d'autre part que, dans le cadre de cette autorisation, le moyen auquel on a recours soit aussi autorisé…
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2) Dans le cadre d'une motivation autorisée de contraception (voir en 1), quels sont les moyens de contraception qui sont autorisés ?
Cheikh Khâlid Saïfullâh écrit qu'il serait faux de penser que, dans le cadre des causes valables autorisant la contraception, seules des méthodes ce contraception dites "naturelles" telle que le coït interrompu soient autorisées. Au contraire, poursuit-il, on peut, par le biais du raisonnement par analogie, établir le caractère d'autres méthodes contraceptives.
Cependant, rappelle-t-il, le raisonnement par analogie n'est valable que s'il tient compte de l'ensemble des principes de l'islam.
A analyser les différents moyens contraceptifs existant aujourd'hui, on s'aperçoit qu'ils consistent à avoir recours à un ou plusieurs des moyens suivants :
– a) soit on empêche les spermatozoïdes de parvenir jusqu'à l'ovule ;
– b) soit on empêche l'ovulation ;
– c) soit on n'empêche pas la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde mais on empêche seulement la nidification de l'œuf ;
– d) soit on supprime le fœtus après la nidification de l'œuf (dans le cas de l'avortement par exemple) ;
– e) soit on stérilise définitivement l'homme et/ou la femme.
Sont interdits :
– le moyen e : la stérilisation définitive de l'homme ou de la femme (ligature des canaux déférents chez l'homme, des trompes chez la femme, etc.), car le Prophète l'a interdit (al-ikhtisâ') ;
– le moyen d : l'avortement pour se débarrasser d'une grossesse non désirée (lire mon article au sujet de l'avortement).
Est à éviter absolument d'après Khâlid Saïfullâh :
– le moyen c : toute méthode qui n'empêche pas la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde mais qui empêche seulement la nidification de l'œuf, car comme Al-Ghazâlî l'a écrit, c'est déjà un premier niveau d'existence ; il s'agit donc d'une méthode qui n'est donc pas vraiment contraceptive ("qui agit avant la formation de l'œuf, contre la conception") mais qui est contragestive ("qui agit après la formation de l'œuf, contre sa gestation seulement").
Restent en soi permis (dans le cadre des causes autorisant le recours à la contraception : voir plus haut le point 1) :
– les moyens a et b : toute méthode qui, à l'instar du coït interrompu (al-'azl), empêche la rencontre de l'ovule et des spermatozoïdes (méthodes naturelles d'abstinence avant, pendant et juste après la période de l'ovulation, préservatif masculin ou féminin, crème spermicide, blocage de l'ovulation, etc.).
Khâlid Saïfullâh écrit également qu'il y a une différence entre le fait d'avoir recours à un moyen de contraception de façon individuelle et le fait d'établir ce recours au niveau de toute une société. Le premier, écrit-il, est possible dans le cadre sus-cité. Le second n'est selon lui pas permis.
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Synthèse de la réponse :
Le musulman et la musulmane gardent comme objectif de mettre au monde le plus grand nombre d'enfants possible, leur intention étant de leur donner une éducation qui sera – avec la permission de Dieu – à même d'en faire des êtres humains agissant pour Dieu et pour le bien de tous les hommes.
Il n'est cependant pas interdit à ce musulman et à cette musulmane d'avoir cet objectif en tant que principe général, tout en maîtrisant leur fécondité. A condition toutefois que cela soit fait dans le cadre de l'éthique musulmane, donc que cela soit fait et pour une cause et par un moyen qui n'entrent en contradiction avec aucun principe des sources musulmanes.
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Mes sources pour cet article :
Zâd ul-ma'âd, Ibn ul-Qayyim, tome 4 pp. 140-146 – Al-Ih'yâ, al-Ghazâlî, tome 2 pp. 79-84 – Halâl wa harâm, Khâlid Saïfullâh, pp. 306-314 – Al-Halâl wa-l-harâm, al-Qaradhâwî, pp. 176-179 – Islâm aur jadîd medical massâ'ïl, Khâlid Saïfullâh, pp. 91-147 – Fiqh us-sunna, as-Sayyid Sâbiq, tome 2 pp. 458-460 – Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, Wahbah az-Zuhaylî, tome 7 p. 5156.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).