Question :
Certains frères m'ont dit qu'on ne devait pas adresser de salutation à ceux qui ne sont pas musulmans. Est-ce vrai ?
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Réponse :
En fait deux cas se présentent ici :
--- A) soit il s'agit d'adresser soi-même en premier la salutation à la personne ;
--- B) soit il s'agit de répondre à la salutation que la personne nous a adressée.
Ces deux cas se marient chacun avec deux autres cas :
--- 1) soit la salutation est un "Bonjour" ou chose comparable ;
--- 2) soit la salutation est particulière : il s'agit du "Salâm".
Cela nous donne 4 cas de figure par rapport à ce que vous évoquez vis-à-vis d'une personne non-musulmane.
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1) Par rapport à une salutation telle que "Bonjour", etc. :
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– 1.A) Saluer un non musulman en premier en lui disant : "Bonjour", ou : "Bonne soirée", ou par un signe de la main :
Cela est autorisé.
On peut également avoir recours à toute autre forme de salutation, pourvu que celle-ci ne contredise aucun principe éthique de l'islam (la bise entre femmes et hommes qui ne sont ni mariés ni proches parents comme le sont un père et fille ou un frère et sa sœur n'est ainsi pas permise).
Cette permission de saluer en premier un non-musulman a été écrite par Mufti Taqî Uthmânî dans Taqrîr-é Tirmidhî (2/262) ainsi que par al-Albânî dans Silsilat ul-ahâdîth as-sahîha (2/320-321).
Elle relève de la permission originelle.
Par ailleurs al-Albânî cite le fait que al-Bukhârî a, dans son livre Al-Adab al-mufrad, écrit : "Qui salue des résidents non-musulmans ("dhimmis") par un signe".
Ibn ul-Qayyim a également écrit des lignes qui, apparemment, mettent en évidence cette permission (Ahkâmu ahl idh-dhimma, 1/197).
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– 1.B) Répondre au salut qu'un non musulman nous fait en premier. On peut répondre à sa salutation par : "Bonjour", "Bonsoir", "Au revoir", "Au plaisir", "Cordialement", etc. :
Cela est également autorisé.
Bien sûr, ici aussi le respect des principes éthiques de l'islam est nécessaire : pas de bise entre des hommes et femmes qui ne sont ni mari et femme, ni proches parents (peut-on, entre hommes et femmes, rendre la salutation par la main, lire à ce sujet un autre article).
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2) Par rapport maintenant à la formule de salutation qu'est le "Salâm" :
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– 2.A) Peut-on saluer un non-musulman en premier en lui disant : "As-salâmu 'alaykum" ?
--- D'après l'avis le plus connu, le musulman ne doit, lorsqu'il salue le premier, utiliser la formule "As-salâmu 'alaykum" que pour un musulman (ou une musulmane).
Cela conformément au hadîth rapporté par Muslim (n° 2167), at-Tirmidhî et Abû Dâoûd.
C'est d'ailleurs pourquoi le Prophète avait, dans sa lettre à Héraclius, écrit : "As-salâm 'alâ man-ittaba' al-hudâ" (rapporté par al-Bukhârî).
La formule du salâm est différente des autres formules ou signes de salutation ; c'est pourquoi la règle qui vaut pour les formules 1 ne vaut pas systématiquement pour la formule du salâm (2).
Ainsi, le Prophète a enseigné aux Compagnons que, pendant la qa'da de la prière rituelle, ils devraient saluer Dieu en employant le terme "At-Tahiyyât illâh", mais pas le terme que certains d'entre eux avaient alors employé : "As-salâmu 'al-Allâh min 'ibâdih" (al-Bukhârî, n° 800, Muslim, n° 402). On le voit, le salâm a un sens spécifique, qui ne peut pas être employé au sujet de Dieu.
De même, le Prophète a demandé que les musulmans n'adoptent pas la façon que des non-musulmans ont de se saluer entre eux : "Leur salut se fait par la tête et la main" (an-Nassâ'ï, chaîne de transmission de bonne qualité d'après Ibn Hajar : Fat'h ul-bârî 11/24), faisant valoir que, entre musulmans, c'était le salâm par lequel on devait se saluer, même si des non-musulmans avaient pour leur part une autre façon de se saluer.
Cet avis est le plus connu, selon lequel, conformément à la lettre (zâhir) du hadîth rapporté par Muslim (n° 2167), la règle (hukm) que celui-ci communique est générale ('âmm) et inconditionnelle (mutlaq).
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--- Cependant, il existe un autre avis, celui de at-Tabarî, selon lequel l'interdiction de dire le Salâm en premier à un non-musulman (interdiction relatée dans le hadîth que nous avons vu) est particulière (khâss) au cas où il n'existe aucune raison particulière de saluer ce non-musulman. Sinon, lui adresser la formule du salâm le premier est autorisé, conformément à ce que Ibn Mas'ûd fit un jour par rapport à un Persan qui l'avait accompagné un bout de chemin : il lui dit verbalement "As-salâmu 'alaykum" (Fat'h ul-bârî 11/50-51).
C'est là la différence avec le Salâm fait au musulman, qu'il est demandé de faire "à celui que tu connais et à celui que tu ne connais pas" (Hadîth rapporté par al-Bukhârî et Muslim).
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--- Un autre avis encore, celui de Abû Umâma, est que ce sont les juifs et les chrétiens avec qui le musulman est en guerre, harbî, qui sont concernés par le hadîth interdisant de leur adresser le Salâm le premier. Sinon, il est autorisé de faire le Salâm à tout non-musulman (Fat'h ul-bârî 11/48, 50).
Cet avis a été cité dans l'école shafi'ite, mais avec alors la précision que la formule du salâm ne comportera alors pas la mention de la rahma, et devra être au singulier (Zâd ul-ma'âd 2/425).
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– 2.B) Et si c'est le non-musulman qui a employé en premier la formule "As-salâmu 'alaykum" pour nous saluer, peut-on lui répondre "Wa 'alaykum us-salâm" ?
Un Hadîth existe où le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Lorsque les Gens du Livre vous adressent le salâm, dites-leur : "Wa 'alaykum"" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).
--- Et l'avis le plus répandu a été formulé d'après la littéralité (zâhir) de ce Hadîth et dit donc : "Si des non-musulmans nous saluent en employant la formule musulmane "As-salâmu 'alaykum", il ne faut pas leur répondre "Wa 'alaykum us-salâm" mais seulement "Wa 'alaykum"".
--- Cependant, Ibn ul-Qayyim fait valoir que si le Prophète a dit de répondre seulement "Wa 'alaykum", c'est par rapport à un contexte particulier : à Médine, certaines personnes parmi les Gens du Livre, feignant d'employer la formule "As-salâmu 'alaykum" ("Que la paix soit sur vous"), disaient en fait : "As-sâmu 'alaykum" ("Que la mort soit sur vous"). Aïcha, s'en apercevant un jour, leur répondit vivement : "Bal 'alaykum us-sâm wa-dh-dhâm" ("Que la mort et l'ignominie soient plutôt sur vous !"). Le Prophète lui dit alors : "Doucement, Aïcha ! - N'as tu pas entendu ce qu'ils t'ont dit ?" s'exclama-t-elle. "Et toi, n'as-tu pas entendu ce que je leur ai répondu ? Je leur ai dit : "Wa 'alaykum" ["Et sur vous aussi !"]. Leur invocation ne sera pas acceptée contre moi, la mienne sera acceptée contre eux" (rapporté par al-Bukhârî, Muslim, etc.). C'est par rapport à cette situation précise, quand la personne d'en face emploie pareils termes sournois, que le Prophète (sur lui la paix) a enseigné qu'il ne servait à rien de s'énerver et qu'il suffisait de leur dire sereinement : "Wa 'alaykum" (ce qui signifie : "Et sur vous aussi"). Par contre, écrit Ibn ul-Qayyim, si on est certain que la personne a bien dit "As-salâmu 'alaykum", il n'y a aucun empêchement à lui répondre par la formule complète : "Wa 'alaykum us-salâm" (Ahkâmu ahl idh-dhimma, 1/199, Zâd al-ma'âd, 3/425 ; voir également Silsilat ul-ahâdîth as-sahîha, 2/321 ; Muftî Taqî a également cité l'existence de cet avis : op. cit.).
Par ailleurs, al-Bukhârî a rapporté dans Al-Adab al-mufrad que Abû Mûssa al-Ash'arî écrivit une lettre à un Persan non-musulman, dans laquelle il employa la formule du salâm. Quelqu'un lui en demanda la raison, et il dit : "Il m'a écrit une lettre dans laquelle il a employé le salâm, je lui réponds de même" (Silsilat ul-ahâdîth as-sahîha, 2/319).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).