A entendre certains aujourd'hui, tout doit obligatoirement être pratiqué exactement comme à l'époque du Prophète et de ses Compagnons, depuis la forme à donner aux sandales jusqu'à la brosse à dents. A l'inverse, d'autres personnes se présentant comme musulmanes soutiennent pour leur part que même le porc doit être déclaré licite en islams (celui d'aujourd'hui étant "plus sain que celui que les Arabes connaissaient"), et que le foulard porté sur la chevelure n'est plus une obligation pour la musulmane, etc.
Qui écouter ? Comment faire pour se référer aux textes tout en considérant le contexte ?
Voici quelques repères permettant, de l'intérieur même des sources musulmanes, une prise en compte des contextes différents.
1) Dans ce qui n'est pas purement cultuel ('ibâdât), La règle première est la permission :
Dans tout ce qui n'est pas purement cultuel, ce qui n'est pas explicitement interdit ni déconseillé dans les textes et en quoi ne se trouve rien aucun principe ('illa) d'une règle interdisant ou déconseillant est donc autorisé, même si ce caractère autorisé ne figure pas dans les textes.
1.1) Les sunna 'âdiyya :
Il y a même certaines choses que si le Prophète les a faites d'une certaine façon, cette forme n'est pas un objectif et on peut avoir recours à une autre forme pour vivre la même chose. Il s'agit des sunna 'âdiyya (lire notre article sur le sujet).
2) Au cas où il y a une règle ta'abbudî :
2.1) Certaines règles ne sont communiquées en fait dans les textes que sous forme de principes généraux, sans précision de leur(s) forme(s) : appliquer le principe peut varier en fonction de la coutume du lieu et du moment où on vit :
Ainsi, on doit du respect à ses parents, le Coran le dit et chacun le sait. Cependant, si les textes du Coran et de la Sunna sont claires sur ce principe, elles ne donnent pas la liste de tous les actes et paroles qui constituent un manque de respect : elles n'ont, ici, fait que formuler les contours et non les détails. Il y a bien sûr des actes et propos qui, de façon universelle, constituent un manque de respect, et la question d'une fatwa circonstanciée ne se pose pas par rapport à eux. Mais il est certaines formulations qui sont un manque de respect dans tel pays, et pas dans tel autre : ainsi, tutoyer ses parents est un manque de respect si on vit en Inde ; mais ça ne l'est pas en France. Ce serait donc un manque de clairvoyance et de compréhension que l'on répète devant des musulmans français la fatwa indienne qui interdit aux enfants musulmans de tutoyer leurs parents. Ici il s'agit de contextualiser cette fatwa par la compréhension de la nature de cette règle (un principe général) et un regard sur la réalité du contexte dans lequel on vit. D'autres exemples du même type existent.
2.2) Parmi ce qui n'est pas communiqué dans les textes sous forme d'un simple principe général mais sous forme d'une règle détaillée :
2.2.1) Certains points sont tels que les textes offrent en réalité à leur sujet une pluralité de règles, l'applicabilité même de l'une ou de l'autre dépendant du contexte dans lequel les musulmans se trouvent (hukm munsa', que l'on peut appeler hukm marhalî) :
Il s'agit des points à propos desquels une pluralité de normes ont été énoncées de la part de Dieu ou de Son Messager alors même qu'il n'y a pas eu abrogation des premières normes par la dernière d'entre elles, mais liaison entre chacune de ces normes et le contexte qui prévalait alors.
Faut-il sanctionner ou non un propos attentatoire à la personnalité du Prophète ? Quand il vivait à la Mecque, il n'y avait pas de sanction ; quand il vivait à Médine, au début il n'y avait pas non plus de sanction ; par contre par la suite le principe d'une sanction fut institué. Sur ce point il n'y a pas eu abrogation (naskh) mais liaison de chacune de ces règles (pas de sanction / sanction) au contexte dans lequel elle a été énoncée (nas').
Il est d'autres actes qui sont un bien dans tel contexte et un mal dans un autre. Faire la paix et mener une résistance armée... Dans la révélation coranique il est des versets qui parlent de faire la paix, d'autres qui évoquent la résistance. Comme le souligne as-Suyûtî, il n'y a pas eu ici abrogation de versets par d'autres, il y a eu plutôt prise en compte du contexte (Al-Itqân, pp. 703-704).
Lire sur le sujet deux autres articles en cliquant ici et ici.
2.2.2) D'autres points sont tels que les textes offrent à leur sujet une pluralité de solutions, le dirigeant ayant le choix entre celle qui est la plus convenable (hukm maslahî) :
C'est le cas du devenir des prisonniers de guerre : que s'agit-il de faire à leur égard ; d'après Ahmad ibn Hanbal, le dirigeant doit faire ce qui convient le plus (al-aslah) par rapport au moment dans lequel ils se trouvent.
2.2.3) D'autres points encore sont tels que les textes n'offrent pas explicitement une pluralité de solutions, mais sont tels qu'une pluralité d'interprétations a vu le jour les concernant (hukm mukhtalaf fîh) ; il est alors dans une certaine mesure possible que le mufti donne la fatwa sur l'avis qui correspond au contexte :
Il s'agit de la catégorie C dans notre page parlant des divergences d'interprétation.
2.2.4) Concernant les points qui sont ta'abbudî et qui soit font l'unanimité (soit que tout le monde doit revenir à une seule opinion) :
Il ne faut pas oublier que l'applicabilité de nombreuses règles est liée à un certain nombre de conditions (shurût ul-wujûb) ; cliquez ici pour lire notre article sur le sujet.
Enfin, à propos des règles qui sont en soi applicables dans un milieu donné, il est impératif d'établir les priorités dans leur application concrète (awlawiyya) : cliquez ici pour lire un autre article à ce propos…
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).