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Question :
J'habite [un pays majoritairement musulman]. Quelle considération devons-nous avoir vis à vis des dirigeants de nos pays musulmans. Je n'ai pas besoin de détailler les problèmes en la matière, tout le monde les connaît. Devons-nous changer nos dirigeants ou non ?
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Réponse :
En fait, il faut distinguer 4 niveaux de fautes de la part d'un dirigeant musulman :
Niveau 1 : les péchés personnels.
Niveau 2 : l'oppression du peuple (assassinats, emprisonnements arbitraires, etc.).
Niveau 3 : le fait de ne pas appliquer les lois de Dieu sur la partie de la société sur laquelle il a autorité ; le fait de ne pas régler les litiges des gens selon les règles du Coran et de la Sunna.
Niveau 4 : le fait de faire ce qui constitue sans doute possible une apostasie (ridda).
Ces différents niveaux ne sont pas tous liés à une seule et même règle...
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Niveau 1) En ce qui concerne les grands péchés personnels :
Si le péché est commis en privé et qu'on en a eu connaissance, il faut le dissimuler des gens. Déjà il est interdit d'aller fouiner dans la vie de quelqu'un pour découvrir ses péchés, de plus, de façon générale (et donc a fortiori pour le dirigeant) il est interdit de rapporter aux uns et aux autres les péchés dont on aurait découvert par hasard que quelqu'un les commet.
Et si le péché est commis en public, malgré cela il ne faut pas organiser de révolte armée contre lui. C'est ce que le Prophète (sur lui soit la paix) a enseigné : "… Ecoutez bien : celui qui est sous l'autorité d'un dirigeant puis le voit faire un acte de désobéissance à Dieu, qu'il déteste ce que ce dirigeant fait de désobéissance à Dieu, mais ne cesse pas de reconnaître son autorité" (Muslim, n° 1855).
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Niveau 2) En ce qui concerne l'oppression du peuple :
Il ne faut pas non plus appeler à la révolte armée contre un tel dirigeant. C'est ce qu'a enseigné le Prophète (sur lui soit la paix) dans plusieurs Hadîths (voir ce qu'a rapporté Muslim, n° 1846, ainsi que ce qu'a rapporté Abû Dâoûd, n° 4759).
Il ne s'agit pas pour autant de rester passifs face aux injustices. Au contraire, le Prophète a exhorté les hommes à dénoncer ce genre d'abus ; le Hadîth est célèbre : "Le meilleur jihad est une parole de vérité dite auprès d'un dirigeant oppresseur" (Abû Dâoûd). Il s'agit donc, face à ce genre d'oppression, non pas d'appeler à la rébellion armée mais de dénoncer la tyrannie.
Il faut rappeler à ces dirigeants ce que le Prophète a dit parlant du pouvoir : "Il s'agit d'une responsabilité, et ce sera une cause d'humiliation et de regrets le jour du jugement, sauf pour celui qui l'a prise dans son droit et s'est acquitté de ses devoirs dans le cadre" (rapporté par Muslim). "(Le pouvoir) est une bonne nourrice, mais une mauvaise femme procédant au sevrage" (al-Bukhârî, n° 6729). Métaphore pour prévenir de la recherche du pouvoir, ce dernier pouvant être très agréable un certain temps mais, ensuite, devenir très difficile à supporter lorsqu'il est enlevé ou que les difficultés surgissent.
Un Hadîth (dha'îf) dit : "Le chef d'un groupe est son serviteur" (Silsilat ul-ahâdîth adh-dha'îfa, n° 1502).
De celui qui avait "le commandement – à quelque échelon que ce soit – des affaires des musulmans, (mais) qui ne se préoccupait pas de leurs besoins, de leur indigence et de leur pauvreté", le Prophète a dit que "Dieu ne se préoccupera pas de ses besoins, de son indigence et de son dénuement le jour du jugement" (at-Tirmidhî, n° 1332, Abû Dâoûd, n° 2948, authentifié par Rabâh et ad-Daqqâq).
Le Prophète a également fait cette invocation : "O Dieu, celui qui aura quelque direction sur les gens de ma Communauté et sera dur avec eux, sois dur avec lui ! Et celui qui aura quelque direction sur les gens de ma Communauté et sera doux avec eux, sois doux avec lui !" (Riyâd us-sâlihîn).
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Niveau 3) En ce qui concerne le fait de ne pas appliquer les règles que Dieu a révélées :
Ce point demande un long développement, que nous vous invitons à découvrir au travers de l'article : Celui qui fait des lois différentes de celles que Dieu a révélées quitte-t-il l'islam ?
En tous cas, le Prophète a dit : "Le musulman doit écouter et obéir, qu'il aime ce qui lui est ordonné ou pas. Sauf s'il lui est ordonné de désobéir à Dieu : si cela lui est ordonné, alors pas d'obéissance" (al-Bukhârî, n° 6725, Muslim, n° 1839).
"Pas d'obéissance dans le péché. L'obéissance ne se fait que dans le bien" (Muslim, n° 1840 ; voir aussi al-Bukhârî, n° 6726).
"Pas d'obéissance à une créature dans la désobéissance au créateur" (Mishkât ul-massâbîh). Ceci concerne les cas où le dirigeant ordonne ou interdit sans exercer de contrainte, ainsi que les cas où il exerce une contrainte mais où la contrainte ne peut pas être prise en compte (comme l'ordre d'aller assassiner un innocent).
Par contre, au cas où il y a contrainte (ik'râh) de la part du dirigeant et qu'il s'agit d'un cas où la contrainte est prise en compte, alors le musulman qui obéit en actes à une telle loi dans la mesure de la contrainte ne s'expose pas à ces interdictions du Prophète.
An-Nawawî écrit : "وأما الخروج عليهم وقتالهم فحرام بإجماع المسلمين وإن كانوا فسقة ظالمين. وقد تظاهرت الأحاديث بمعنى ما ذكرته. وأجمع أهل السنة أنه لا ينعزل السلطان بالفسق. وأما الوجه المذكور في كتب الفقه لبعض أصحابنا أنه ينعزل وحكي عن المعتزلة أيضا فغلط من قائله مخالف للإجماع. قال العلماء وسبب عدم انعزاله وتحريم الخروج عليه ما يترتب على ذلك من الفتن وإراقة الدماء وفساد ذات البين فتكون المفسدة في عزله أكثر منها في بقائه" (Shar'h Muslim 12/229).
Que cet avis soit l'avis juste de façon Qat'î, cela est certain. Cependant, peut-on vraiment parler de Ijmâ' sur le sujet, il y a débat sur ce point.
Le propos de Ibn Taymiyya est peut-être plus précis : lui écrit que l'avis le plus connu des Sunnites, et qui est conforme aux nombreux hadîths : "ولهذا كان المشهور من مذهب أهل السنة أنهم لا يرون الخروج على الأئمة وقتالهم بالسيف وإن كان فيهم ظلم، كما دلت على ذلك الأحاديث الصحيحة المستفيضة عن النبي صلى الله عليه وسلم؛ لأن الفساد في القتال والفتنة أعظم من الفساد الحاصل بظلمهم بدون قتال ولا فتنة، فلا يدفع أعظم الفسادين بالتزام أدناهما. ولعله لا يكاد يعرف طائفة خرجت على ذي سلطان، إلا وكان في خروجها من الفساد ما هو أعظم من الفساد الذي أزالته" (MS 2/125).
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Niveau 4) En ce qui concerne le fait d'apostasier :
Le dirigeant qui a apostasié sera déposé, conformément à ce qu'a dit le hadîth : "… Sauf si vous voyez une incroyance claire ("kufr bawâh"), à propos de laquelle vous détenez une preuve de la part de Dieu" "عن جنادة بن أبي أمية، قال: دخلنا على عبادة بن الصامت وهو مريض، قلنا: "أصلحك الله، حدِّثْ بحديث ينفعك الله به، سمعته من النبي صلى الله عليه وسلم". قال: "دعانا النبي صلى الله عليه وسلم، فبايعناه، فقال فيما أخذ علينا أن بايعَنا على السمع والطاعة، في منشطنا ومكرهنا، وعسرنا ويسرنا وأثرة علينا، وأن لا ننازع الأمر أهله، "إلا أن تروا كفرا بواحا، عندكم من الله فيه برهان" (al-Bukhârî, 6647, Muslim, 1709/42).
Il doit cependant s'agir, comme le Prophète l'a dit, d'une incroyance claire ("bawâh") et non pas d'une déviance seulement ("dhalâl ghayru kufr"), ni d'un acte qui fait l'objet depuis les premiers temps de l'islam de divergences d'opinions.
Il faut de plus qu'il soit certifié que le dirigeant a prononcé cette parole d'apostasie et non pas que la rumeur se contente de prêter cette parole au dirigeant.
Et puis, même quand il est prouvé qu'une personne a prononcé une parole qui constitue une parole d'apostasie, on ne décrète pour autant pas systématiquement que cette personne a apostasié.
Ibn Taymiyya écrit ainsi : "A propos de toute parole menant à quitter l'islam [car consistant à renier un élément du noyau des enseignements de l'islam], on dit : "Celui qui prononce cette parole quitte l'islam". Cependant, on ne dit pas forcément de la personne précise ayant effectivement prononcé cette parole qu'elle a quitté l'islam. (…) En effet, il arrive que cette personne n'ait pas eu connaissance des textes [du Coran et de la Sunna] qui contiennent les enseignements qu'elle renie. Il arrive aussi que ces textes lui soient parvenus mais qu'elle les ait considérés comme n'étant pas authentiques. Il arrive encore qu'elle n'ait pas eu la possibilité de les comprendre. Il arrive enfin qu'elle ait eu une mauvaise compréhension de ces textes, à cause d'un malentendu" (cité dans Zâhirat ul-ghuluww fi-t-takfîr, p. 29-30).
C'est, selon Ibn Taymiyya, la raison pour laquelle Ahmad ibn Hanbal, qui avait résisté aux califes al-Mamûn et al-Mu'tassim demandant d'entériner leur fausse croyance, n'a pas considéré ces califes comme ayant apostasié mais a, au contraire, prié Dieu pour qu'Il leur pardonne.
Ibn Taymiyya est de l'avis que l'avis jahmite en la matière est une déviance de kufr akbar, mais la qiyâm ul-hujja n'avait alors pas eu lieu par rapport à ces califes (cliquez ici).
Attention donc à l'exagération dans ce domaine aujourd'hui, où l'on voit des frères s'empresser de dire de tout musulman ayant prononcé une parole inacceptable qu'il est devenu incroyant (kâfir) !
Enfin, même dans le cas où il est établi qu'un dirigeant est devenu apostat, il y a la condition de qud'ra 'alâ iqâmati amîrin afdhal pour l'applicabilité du hadîth que nous avons cité plus haut à propos du dirigeant devenu apostat ; nous y reviendrons plus bas...
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Faire la critique publique de ce que le dirigeant fait ?
Au sujet du niveau n° 1 (les péchés personnels commis en public), il faut s'abstenir de critiquer le dirigeant. Cela se comprend par rapport au fait que la critique de la vie personnelle du dirigeant minerait la confiance du public en lui ; or le Prophète (sur lui la paix) a enseigné de respecter le dirigeant (al-amîr) (les Hadîths sont bien connus à ce sujet).
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Cependant, ne pas critiquer le dirigeant en public se rapporte-t-il également au cas de la tyrannie dont il se rend coupable, soit le niveau 2 ? Ou encore au cas où le dirigeant favorise la diffusion du mal dans la société (ce qui est une forme du 3) ? Autrement dit, quand un dirigeant est coupable de cela, a-t-on le droit de dénoncer publiquement ces abus, ou bien est-ce que, ici aussi, il est nécessaire que ce soit en privé qu'on lui parle de ces fautes qu'il commet ?
------------- La règle de base est que dénoncer en public ce qu'il fait est à éviter, afin de ne pas risquer de provoquer de trouble dans le peuple : "عن أبي وائل، قال قيل لأسامة: "لو أتيت فلانا فكلمته." قال: "إنكم لترون أني لا أكلمه إلا أسمعكم، إني أكلمه في السر دون أن أفتح بابا لا أكون أول من فتحه. ولا أقول لرجل أن كان علي أميرا إنه خير الناس، بعد شيء سمعته من رسول الله صلى الله عليه وسلم. قالوا: وما سمعته يقول؟ قال: سمعته يقول" (al-Bukhârî, 3094, Muslim, 2989) : "وجزم الكرماني بأن المراد أن يكلمه فيما أنكره الناس على عثمان من تولية أقاربه وغير ذلك مما اشتهر. (...). قال المهلب: (...) "قد كلمته سرا دون أن أفتح بابا" أي باب الإنكار على الأئمة علانية خشية أن تفترق الكلمة؛ ثم عرفهم أنه لا يداهن أحدا ولو كان أميرا بل ينصح له في السر جهده. (...) وقال عياض: مراد أسامة أنه لا يفتح باب المجاهرة بالنكير على الإمام لما يخشى من عاقبة ذلك بل يتلطف به وينصحه سرا فذلك أجدر بالقبول" (Fat'h ul-bârî, 13/). "جلد عياض بن غنم صاحب دارا حين فتحت. فأغلظ له هشام بن حكيم القول، حتى غضب عياض. ثم مكث ليالي. فأتاه هشام بن حكيم فاعتذر إليه. ثم قال هشام لعياض: "ألم تسمع النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "إن من أشد الناس عذابا أشدهم عذابا في الدنيا للناس"؟" فقال عياض بن غنم: "يا هشام بن حكيم، قد سمعنا ما سمعت، ورأينا ما رأيت؛ أولم تسمع رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "من أراد أن ينصح لسلطان بأمر، فلا يبد له علانية، ولكن ليأخذ بيده، فيخلو به؛ فإن قبل منه فذاك؛ وإلا كان قد أدى الذي عليه له"؟ وإنك" : "Celui qui veut donner un conseil à celui qui détient l'autorité, qu'il ne le fasse pas en public, mais qu'il prenne sa main [et lui donne ce conseil en privé]. Si [ce dirigeant] suit ce qu'il dit, tant mieux. Sinon, cet homme aura accompli son devoir" (Ahmad, 15333, l'authenticité de ce hadîth fait cependant l'objet d'avis divergents).
------------- Sauf s'il n'y a pas moyen de le lui dire en privé : c'est pourquoi le inkâr bi-l-lissân al-'alanî par rapport à une mauvaise action du Amîr, cela est relaté de quelques Salaf Sâlih : "عن عياض بن عبد الله بن سعد، عن أبي سعيد الخدري، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم كان يخرج يوم الأضحى ويوم الفطر، فيبدأ بالصلاة؛ فإذا صلى صلاته وسلم، قام فأقبل على الناس وهم جلوس في مصلاهم؛ فإن كان له حاجة ببعث، ذكره للناس، أو كانت له حاجة بغير ذلك، أمرهم بها؛، وكان يقول: "تصدقوا، تصدقوا، تصدقوا"، وكان أكثر من يتصدق النساء، ثم ينصرف. فلم يزل كذلك حتى كان مروان بن الحكم. فخرجتُ مخاصرا مروان حتى أتينا المصلى، فإذا كثير بن الصلت قد بنى منبرا من طين ولبن، فإذا مروان ينازعني يده كأنه يجرني نحو المنبر، وأنا أجره نحو الصلاة؛ فلما رأيت ذلك منه، قلت: "أين الابتداء بالصلاة؟" فقال: "لا، يا أبا سعيد، قد ترك ما تعلم." قلت: "كلا، والذي نفسي بيده لا تأتون بخير مما أعلم" ثلاث مرار، ثم انصرف" (Muslim, 889). "عن طارق بن شهاب - وهذا حديث أبي بكر - قال: أول من بدأ بالخطبة يوم العيد قبل الصلاة مروان. فقام إليه رجل، فقال: "الصلاة قبل الخطبة!" فقال: "قد ترك ما هنالك!" فقال أبو سعيد: "أما هذا فقد قضى ما عليه؛ سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "من رأى منكم منكرا فليغيره بيده، فإن لم يستطع فبلسانه، فإن لم يستطع فبقلبه، وذلك أضعف الإيمان" (Muslim, 49, at-Tirmidhî, 2172). "عن حصين، عن عمارة بن رؤيبة، قال: رأى بشر بن مروان على المنبر رافعا يديه، فقال: "قبح الله هاتين اليدين! لقد رأيت رسول الله صلى الله عليه وسلم ما يزيد على أن يقول بيده هكذا، وأشار بإصبعه المسبحة" (Muslim, 874, at-Tirmidhî, 515). "عن كعب بن عجرة، قال: دخل المسجد وعبد الرحمن ابن أم الحكم يخطب قاعدا، فقال: "انظروا إلى هذا الخبيث يخطب قاعدا، وقال الله تعالى: {وإذا رأوا تجارة أو لهوا انفضوا إليها وتركوك قائما" (Muslim, 864). "عن قيس بن عباد قال: بينا أنا في المسجد في الصف المقدم فجبذني رجل من خلفي جبذة فنحاني، وقام مقامي. فوالله ما عقلت صلاتي. فلما انصرف فإذا هو أبي بن كعب فقال: "يا فتى، لا يسؤك الله. إن هذا عهد من النبي صلى الله عليه وسلم إلينا أن نليه". ثم استقبل القبلة فقال: "هلك أهل العقد ورب الكعبة" - ثلاثا - ثم قال: "والله ما عليهم آسى، ولكن آسى على من أضلوا". قلت: "يا أبا يعقوب ما يعني بأهل العقد؟" قال: "الأمراء" (an-Nassâ'ï, 808). C'est bien pourquoi an-Nawawî écrit en commentaire du propos de Ussâma ibn Zayd : "قوله "أفتتح أمرا لا أحب أن أكون أول من أفتتحه" يعني المجاهرة بالإنكار على الأمراء في الملأ، كما جرى لقتلة عثمان رضي الله عنه. وفيه الأدب مع الأمراء واللطف بهم ووعظهم سرا وتبليغهم ما يقول الناس فيهم لينكفوا عنه؛ وهذا كله اذا أمكن ذلك. فإن لم يمكن الوعظ سرا والإنكار، فليفعله علانية لئلا يضيع أصل الحق" : "Il y a en cela la façon d'agir avec les dirigeants, la douceur à leur égard, et le fait de les conseiller en privé et de leur faire parvenir les (doléances) des gens afin qu'ils s'abstiennent ; tout cela lorsque cela est possible. Et si les conseiller en privé et leur adresser des reproches (en privé) n'est pas possible, alors qu'on le fasse en public, afin que la base du vrai ne se perde pas" (ShM, 18/118). Par contre, dans l'écrit suivant, (qui constitue une des épîtres destinées à rappeler comment procéder à la da'wa en évitant la division), Cheikh Muhammad ibn 'Abd il-Wahhâb dit que dans le cas du dirigeant, s'il n'accepte pas le conseil lui ayant déjà été fait de façon discrète, fût-ce par une personne proche de lui, ce qu'il faut alors faire c'est faire remonter discrètement l'information au Cheikh : "والجامع لهذا كله أنه إذا صدر المنكر من أمير أو غيره، أن ينصح برفق خفية ما يشترف أحد. فإن وافق، وإلا استلحق عليه رجلا يَقبَل منه بخفية. فإن لم يفعل، فيمكن الإنكار ظاهرا. إلا إن كان على أمير، ونَصَحَه ولا وافق واستلحَق عليه ولا وافق، فيرفع الأمر إلينا خفية" (Ad-Durar us-saniyya).
------------- Sauf s'il y a mazinna que ce inkâr 'alanî va entraîner une mafsada plus grande (en terme de soulèvement du peuple) : là cela en devient interdit.
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A propos de certains écrits de l'école hanafite traitant du fait de déposer le dirigeant :
Certains écrits de l'école hanafite mentionnent que, au cas où il commet de grands péchés personnels et de façon répétée en public (fisq) [et donc a fortiori dans le cas de l'oppression du peuple], le dirigeant mérite d'être déposé ("yastahiqq al-'azl"). Certes.
Mais une lecture attentive de ces textes révèle que cet avis concerne la possibilité de déposer le dirigeant sans effusion de sang aucune, et non la permission d'organiser une révolution rien que pour cela ; cela constitue donc une imkân 'azl il-amîr bi ghayri fitna et non une jawâz ul-khurûj il-mussallah 'alal-amîr (Bawâdir un-nawâdir, p. 545, Takmilatu fat'h il-mulhim, tome 3 p. 329). Entendons bien la différence !
De même, ces écrits affirment qu'en cas d'oppression de la part du dirigeant, l'opprimé peut se défendre.
Cependant, ici aussi, ces textes parlent de la permission de se défendre contre l'abus et non pas de la possibilité d'organiser le renversement du pouvoir. Il n'y a donc pas de contradiction entre ces textes qui autorisent le fait de se défendre et le Hadîth qui est rapporté par Muslim sous le n° 1847 et dont nous avons cité le texte en arabe plus haut : ces textes hanafites n'autorisent en fait que ad-difâ' 'an-in-nafs aw il-mâl, alors que ce que le Hadîth interdit c'est al-khurûj al-mussallah 'ala-l-amîr (Bawâdir un-nawâdir, p. 546, lignes 1-3, Takmilatu fat'h il-mulhim, tome 3 p. 330).
Enfin, si, conformément au Hadîth que nous avons vu plus haut, le cas d'apostasie du dirigeant est le seul qui autorise la révolution menée contre le dirigeant (al-khurûj al-mussallah 'alal-amîr), cela est conditionné, d'après ces mêmes textes hanafites, par :
a) la capacité réelle de renverser le pouvoir,
b) et la capacité réelle de remplacer le dirigeant apostat par un dirigeant meilleur.
Au cas où l'une de ces 2 conditions vient à manquer, on n'entreprendra rien (Takmilatu fat'h il-mulhim, tome 3 p. 329, p. 331, Bawâdir un-nawâdir, p. 544). (Ceci rejoint d'ailleurs la règle générale applicable à propos de tout l'ensemble "nah'y an il-munkar" : cliquez ici pour lire l'article traitant de ce point ; lire aussi un article traitant d'un thème voisin.)
Or, même à considérer que, dans certaines cas, le caractère d'apostat est établi à propos d'un dirigeant particulier, la situation est loin aujourd'hui de remplir ces conditions ; au contraire, le pouvoir tyrannique en place "exploite la présence des minorités actives et radicales, au sein de mouvement islamique, pour justifier sa politique autoritaire et répressive. Paradoxalement, les plus grands alliés du pouvoir tyrannique sont les groupements les plus radicaux : en voulant l'éliminer par n'importe quel moyen, ils le confirment... et c'est parfois le pouvoir lui-même qui entretient et encourage leur "folie". La manipulation est redoutable" (Aux sources du renouveau musulman, Tariq Ramadan, p. 450, voir aussi pp. 444-445).
Lire aussi : L'islamisme en face, François Burgat, p. 167, pp. 293-294.
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A lire par ailleurs :
Ne pas faire de l'islam une lecture politisante.
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Un peu plus de libertés sociales dans les pays musulmans :
Il est vrai que les dirigeants actuels des pays musulmans empêchent la réalisation de tout projet de réforme sociale et sont soutenus par les puissances occidentales, lesquelles ferment les yeux sur les atrocités et injustices qu'ils commettent parce qu'elles croient qu'il s'agit là "du moindre de deux maux" (l'autre étant, selon elles, le fait que ces sociétés majoritairement musulmanes se mettent à nouveau à se référer à leurs sources et à y chercher comment vivre actuellement la justice sociale de l'islam). Pourquoi ces puissances croient-elles cela, c'est une question qui demande un long développement. Contentons-nous de dire, ici, en simplifiant au maximum qu'il y a trois raisons principales :
i) L'Occident a eu une expérience particulièrement traumatisante de la présence du religieux dans le domaine public (avec le clergé, ses abus vis-à-vis de tous ceux qui n'étaient pas catholiques, ses refus de découvertes scientifiques, ses refus de prendre en compte le contexte, etc.). Lisez à ce sujet l'article Pourquoi l'Occident a-t-il adopté la laïcité ? ainsi que Pourquoi le foulard de la musulmane choque-t-il certains Occidentaux ?
ii) L'Occident a, à propos de l'islam, des préjugés qui remontent à très loin. Lisez à ce sujet l'article Ces causes d'incompréhension de l'islam aujourd'hui.
iii) La plupart des médias occidentaux exposent certaines images exprimant une réalité extrémiste très minoritaire dans les pays musulmans, d'une façon telle qu'elle finit par exprimer l'idée que l'islam est dangereux. En fait, les fanatiques et extrémistes ne représentent qu'une exception dans le monde musulman, les mouvements de la réforme étant, eux, opposés à l'utilisation de toute violence. Or le public, conditionné par les médias, les met tous dans le même sac en leur donnant un même nom : "islamistes", "fondamentalistes", etc.
Cette situation, les musulmans pourront s'en sortir, avec l'aide de Dieu, s'ils se fixent comme priorités :
– de former les musulmans (en connaissances et en pratique) ;
– de montrer à l'Occident que l'islam n'est pas ce qu'il croit, que les musulmans peuvent lui apporter quelque chose – beaucoup de choses – aujourd'hui. A ce sujet, lisez l'article Ce que les musulmans peuvent apporter à l'Occident aujourd'hui) ;
– de rappeler clairement à l'Occident que les pays occidentaux n'ont pu se développer qu'en se libérant des dictatures qui y étaient en place et qu'il faudrait donc cesser de soutenir les dictateurs de l'Orient, surtout lorsqu'on constate leurs graves entorses aux droits de l'homme ;
– de rappeler à l'Occident que si l'islam demande, même en cas d'injustices de la part des dirigeants, de ne pas déclencher de révolution armée contre eux et de se contenter de dénoncer leurs abus courageusement mais pacifiquement (comme nous l'avons relevé plus haut), il est prévisible que les abus engendreront des radicalisations et des violences. Le 3ème considérant de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme dit-il autre chose quand il affirme : "Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un Etat de droit, pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression". Alors, si on veut ne pas en arriver là, il est nécessaire, pour éviter les effets prévisibles, de faire cesser les causes... de cesser de soutenir ces dictateurs d'Orient.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).