Récemment, un frère de France métropolitaine de la tendance que je peux appeler "Jeunes Musulmans", de passage à la Réunion, me disait à propos de frères du mouvement "Tabligh" : "Leur discours est trop bachoté."
Plus récemment, un frère réunionnais du "Tablîgh", parti en Métropole quelque temps, me racontait après son retour à la Réunion qu'il pensait qu'il était devenu nécessaire d'aller parler franchement aux frères de la "tendance Jeunes Musulmans" de métropole pour les "ramener sur le droit chemin", car ils "ont un islam costard-cravate absolument pas authentique par rapport à ce que le Prophète (sur lui la paix) a prêché".
Et puis tout récemment un frère de France métropolitaine de passage à la Réunion me disait que lui, il avait choisi de travailler pour la communauté musulmane (da'wa etc.), mais sans s'affilier à aucun mouvement, car "chacun prétend que c'est lui qui est le plus proche du modèle global du Prophète (sur lui la paix)" !
Mon message à tous est le même : il faut jeter des passerelles entre tous ceux qui veulent se mobiliser pour l'islam et qui pratiquent l'islam assez profondément pour ne pas agresser ceux qui ne pensent pas comme eux. Il faut au moins que chacun écoute l'autre.
Ce qui serait grandement souhaitable, pour les musulmans de France (comme des autres pays du monde), c'est une amitié et une compréhension réciproques entre les frères "Tabligh" et les frères "tendance Jeunes Musulmans". C'est à ce prix, je pense, que la situation qui prévaut aujourd'hui changera. Inshâ Allâh.
Ces deux "mouvements" ont une grande présence sur le terrain, et ce que je perçois c'est que le travail des uns est complémentaire de celui des autres. De plus, ceux qui y participent ne sont pas, dans leur majorité, des gens qui se font des agressions verbales.
Le seul problème est qu'aujourd'hui, malentendus, préjugés et donc méfiance règnent de part et d'autre.
Or, il se trouve qu'un grand savant de l'Inde, Abu-l-Hassan an-Nadwî, a laissé un exemple admirable en la matière. Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî a travaillé aux côtés de Cheikh Muhammad Ilyâs dans le cadre du mouvement de celui-ci. Il a d'ailleurs écrit un ouvrage relatant la vie et le mouvement du Cheikh (Mawlânâ Muhammad Ilyâs aûr unkî dînî da'wat). Il faisait partie du groupe de concertation ("shûrâ") du mouvement "Tablîgh" à Delhi. Un des responsables actuels du Tablîgh et arrière petit-fils du fondateur, Cheikh Saad, ayant fait éditer tout récemment le recueil de Hadîths de son grand-père, c'est à Abu-l-Hassan qu'il a demandé d'en écrire la préface. Et voici ce qu'on peut lire dans cette dernière, datée de 1999 : "En ce moment, dans le monde musulman, la prédication qui est la plus étendue, qui a le plus de présence et qui apporte les résultats les plus présents est la prédication du Tablîgh…"
En note de bas de page à cette phrase, an-Nadwî précise cependant : "L'objectif, en disant ceci, n'est que d'exprimer, de façon positive, l'étendue et le profit qu'apporte le mouvement du Tablîgh. Il ne s'agit pas de nier ni de mépriser les autres prédications, mouvements et efforts visant à créer la capacité à connaître les nécessités actuelles et à faire face aux défis de cette époque, autres prédications qui sont nécessaires et profitables" (Préface de Da'wat-o-tablîgh kî tché sifât sé muta'alliq muntakhab ahâdîth). Voyez la modération dans le propos et la recherche du juste milieu...
Ce même Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî est également auteur de la préface des Mémoires de Hassan al-Bannâ'. Or voici ce qu'on peut y lire : "L'auteur de ce livre que j'ai l'honneur de préfacer fait partie de ces personnalités que la puissance divine a préparées et formées, et fait apparaître à l'époque et au lieu voulus. Et toute personne qui lira ce livre avec le cœur ouvert et l'esprit ouverts, éloigné de tout sectarisme et tout orgueil, conviendra qu'il était un homme préparé et offert, et non pas le produit des hommes, d'un milieu ou d'une école, d'une histoire ou d'une imitation, d'un effort de pensée ou de manières forcées, ou d'une expérience. Il ne faisait partie que des produits de la guidance et de la sagesse divines, de l'attention (que Dieu porte) à cette religion et à cette communauté. (Cet homme n'était qu) le plant qui est préparé pour quelque chose de grand et un espoir grand, à une époque où le besoin en était grand et dans un milieu où sa valeur grandirait.
(…) Toute personne connaissant cette situation [prévalant dans l'Egypte du début du XXème siècle] de près et non pas par des livres, connaîtra la valeur de cette personnalité qui est apparue soudainement et a surpris l'Egypte, puis le monde arabe et le monde musulman tout entier par sa prédication, sa (capacité à) éduquer, son effort et sa force exceptionnelle ; (cette personnalité) dans laquelle Dieu avait réuni des qualités et des énergies pouvant paraître à beaucoup de psychologues, d'éthologues, d'historiens et de critiques comme se contredisant (…).
Je n'ai pas avoir l'honneur de le rencontrer, ni en Egypte ni hors d'Egypte (…). Cependant, j'ai pu me lier avec (certains de) ses élèves, j'ai pu vivre parmi eux comme vivent les membres d'une même famille. J'ai rendu visite à son illustre père (...) De tous ces effets et informations, s'est rassemblé en moi les traits de l'auteur de cette prédication et du fondateur de cette école (…)."
Un peu plus haut :
Le talent de ce prédicateur, malgré ses multiples facettes et les multiples domaines auxquels il se rapporte, a transparu essentiellement dans deux aspects, qu'un petit nombre de prédicateurs seulement ont pu partager avec lui : l'un est son entier dévouement à sa prédication et sa conviction en elle (…), l'autre est sa (capacité à) laisser un effet profond dans les cœurs de ses compagnons et de ses élèves, et sa réussite stupéfiante dans l'éducation et la production (d'hommes)."
En note de bas de page sur ses mots "deux aspects que peu de prédicateurs ont pu partager avec lui", an-Nadwî a écrit ceci : "Parmi ce petit nombre de prédicateurs se trouvent Cheikh Muhammad Ilyâs de Delhi, le fondateur du mouvement du Tablîgh, ainsi que son fils, successeur (comme chef du mouvement), Cheikh Muhammad Yûssuf…" (Préface de Mudhakkirât ad-da'wa wad-dâ'iya).
Sub'hânallâh ! Voyez, ici aussi, la recherche du juste milieu...
Muhammad Iyâs, Hassan al-Bannâ'... Deux hommes de foi et de piété, de connaissance et d'action, de souci pour les musulmans et l'humanité, de prédication et de présence sur le terrain (ahsibuhumâ hâkadhâ, wallâhu hassîbuhumâ, wa lâ uzakkî 'allâhi ahadan)… Deux mouvements nés dans les années 20 du XXème siècle chrétien. Deux fondateurs morts dans les années 40 de ce même siècle. Que Dieu les agrée tous les deux, leur accorde une place élevée et les récompense pour leurs efforts pour la réforme de la Communauté de Son Prophète. A part le Prophète, tout savant musulman est tel que certains de ses avis sont à délaisser sans le dénigrer, certes... mais voici deux inspirations (ilhâm), deux visions différentes dans leurs modalités, mais qui se réfèrent au même objectif et aux mêmes sources.
Comment se peut-il donc que ceux et celles qui se réfèrent à la pensée de l'un de ces deux personnages (même partiellement car tenant compte de la différence de contextes) aient pu intégrer la propagande existant à propos de l'autre personnage, sans jamais chercher à se référer à ses dires et / ou ses écrits ?
Comment se peut-il que ceux et celles qui se réfèrent à la pensée de l'un de ces deux personnages puissent passer aujourd'hui tant de temps à se médire et à se critiquer les uns les autres ?
Je ne dis pas que celui qui participe au mouvement "Tablîgh" doive aujourd'hui adhérer à la "tendance Jeunes Musulmans" et vice-versa. Chacun peut rester dans le cadre pour lequel il éprouve des affinités (dans le cadre général de la référence orthodoxe au Coran et à la Sunna, bien sûr). Mais que chacun, parallèlement, ait de l'amour et du respect pour l'autre. Et que chacun comprenne que le travail de l'autre est complémentaire du sien.
Prions les uns pour les autres. Pour l'amour de Dieu et grâce à l'amour que doit engendrer entre nous cet amour pour Dieu, arrêtons ce slogan qui, ici et là, est dit parfois et d'autres fois sous-entendu : "Nous sommes les meilleurs et les seuls agréés. Les autres, eux...". Extra ecclesiam nullum salus, ce n'est pas notre enseignement...
Ce message, je l'adresse à tous les frères et à toutes les sœurs qui veulent vraiment agir pour l'islam, pour les musulmans et l'humanité, avec comme objectif l'Agrément de Dieu, qui veulent avoir l'esprit ouvert, et qui font des efforts sur leur cœur pour tenter d'en faire disparaître l'égoïsme et le sectarisme (qui apparaissent spontanément chez chacun et chacune d'entre nous, mais qu'il faut combattre au plus profond de soi). Ce message, je l'adresse à tous mes frères et à toutes mes sœurs de bonne volonté.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
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A lire par ailleurs :
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