Question :
Je voudrais savoir si pratiquer des jeux est permis en islam, et si oui, quels jeux sont permis par l'islam. Car j'ai vu dans un livre que jouer aux dés, même sans mise d'argent, était interdit (harâm). Le problème c'est que l'on m'a dit que cet ouvrage comportait des Hadîths faibles (dha'îf).
-
Réponse :
L'islam, qui entend tenir compte des différentes facettes de la nature humaine, a pris en compte la nécessité qu'ont les hommes de se divertir. Le Prophète Muhammad (sur lui la paix) savait qu'à faire les choses de façon excessive sans jamais prendre du repos, on finit par se lasser. Et il a voulu éviter cela aux hommes et aux femmes qui le suivent. Ainsi, alors que Zaynab avait tendu une corde entre deux piliers de la mosquée afin de s'y accrocher et de lutter ainsi contre le sommeil lors des prières facultatives qu'elle faisait la nuit, le Prophète dit : "Défaites-la [= la corde]. Que chacun parmi vous prie pendant qu'il est en forme. Puis, quand la torpeur le gagne, qu'il dorme" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim). Une autre fois il a dit : "… Dieu ne se lasse pas [de vous récompenser], sauf si vous vous lassez [de l'adorer]" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).
Ne pas se lasser demande justement qu'on ait une vie équilibrée : "Un temps et un temps", avait dit le Prophète (rapporté par Muslim) : un temps pour les choses purement cultuelles (prières, invocations, souvenir, récitation du Coran, etc.), et un temps pour les choses de la vie (accomplies bien sûr elles aussi en tenant compte des principes voulus).
Pour l'enseignement et le rappel des choses de l'islam, le Prophète a laissé également le modèle du juste milieu : Abdullâh ibn Mas'ûd raconte : "Le Prophète choisissait des jours pour nous faire le rappel ("al-maw'iza"), de crainte que nous éprouvions ensuite de la lassitude" (rapporté par al-Bukhârî, 70, Muslim, 2821). Le Compagnon Abdullâh ibn Abbâs avait fait quant à lui cette sage recommandation à son élève 'Ik'rima : "Fais aux gens le rappel chaque vendredi, ou deux fois par semaine, ou trois fois par semaine, et ne les amène pas à être lassés de ce Coran. Et que je ne te voie jamais te rendre auprès de gens occupés à parler, te mettre alors à leur faire le rappel après avoir interrompu leur conversation et les amener ainsi à être lassés [de l'islam et de ses enseignements]. Dans pareil cas, reste silencieux. S'ils te le demandent, fais-leur le rappel, qu'ils auront alors l'envie d'écouter…" (rapporté par al-Bukhârî, 5978). C'est pourquoi il faut se ménager de temps en temps des petits moments pour se détendre, se divertir, etc., que l'on prenne cette détente seul(e) ou en famille, etc.
-
Des textes parlant de divertissements :
Etant donné que les jeux et le divertissement relèvent de ce qui n'est pas purement cultuel, la règle première est à leur sujet la permission ("al-ibâha"), même s'il s'agit d'un jeu et d'une forme de détente que n'ont pas pratiquée le Prophète et ses Compagnons. (Lisez à ce sujet les articles : Faire ce que le Prophète n'a pas fait et Le raisonnement à partir des références). Cependant, les enseignements de l'islam étant englobants ("shâmil"), des principes existent qui offrent des limites éthiques et une orientation à ce sujet également.
– Ainsi, par exemple, organiser des combats entre animaux n'est pas un divertissement acceptable dans l'éthique islamique. "Le Prophète (sur lui la paix) a interdit d'organiser des combats entre animaux" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 1708, Abû Dâoûd, n° 2562). Le Prophète a également interdit de s'entraîner au tir en prenant comme cible un être vivant (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).
– De même, le Prophète (sur lui la paix) a interdit le "khadhf", un jeu qui était pratiqué à son époque et qui consistait à projeter un caillou avec ses doigts. Le Prophète a expliqué cette interdiction ainsi : "Cela ne sert pas à chasser et ne permet pas de se défendre contre un ennemi" (c'est le sens approchant des termes qu'il a utilisés). "Cela peut, a-t-il ajouté, casser une dent ou crever un œil" (rapporté par al-Bukhârî, 5162, Muslim, 1954).
– Il y a des hadîths authentiques où le Prophète parle du jeu "nard" ou "nardshîr" comme étant quelque chose à éviter absolument : le hadîth rapporté par Muslim sur le sujet se lit ainsi : "Celui qui joue au nard a désobéi à Dieu et à Son Messager" (Muslim, 2260) ; voir aussi le hadîth rapporté par Abû Dâoûd (4938). Les dictionnaires traduisent le mot par "trictac", un jeu qui se joue sur un tableau spécial avec des dames et des dés.
– Par contre, d'autres types de divertissements ont été recommandés par le Prophète (sur lui la paix), mais en même temps présentés comme des exceptions par rapport aux autres jeux, qualifiés pour leur part de : "bâtil" et "laghw". Un hadîth dit ainsi : "كل ما يلهو به الرجل المسلم باطل، إلا رميه بقوسه، وتأديبه فرسه، وملاعبته أهله، فإنهن من الحق" :"Tout ce par quoi le musulman se divertit est bâtil, sauf le fait qu'il tire à l'arc, qu'il entraîne son cheval, ou qu'il joue avec son épouse : ces (actions) relèvent du haqq" (at-Tirmidhî, partie du hadîth 1637). "كل شيء ليس من ذكر الله عز وجل فهو لغو ولهو أو سهو إلا أربع خصال: مشي الرجل بين الغرضين، وتأديبه فرسه، وملاعبته أهله، وتعلم السباحة" : "Toute chose qui ne relève pas du dhikr est laghw, sauf quatre (choses) : le fait que l'homme marche entre deux objectifs, le fait qu'il entraîne son cheval, le fait qu'il joue avec son épouse, et le fait qu'il apprenne la natation" (Silsilat ul-ahâdîth as-sahîhah, n° 315).
D'autres hadîths montrent le Prophète participer à une compétition de tir à l'arc avec des gens de Médine (rapporté par al-Bukhârî). D'autres le montrent ayant organisé des courses de chevaux (rapporté par al-Bukhârî etc.) (bien sûr sans argent mis en jeu). D'autres encore le montrent faisant une course à pied avec son épouse (rapporté par Abû Dâoûd).
-
De ces textes ("nussûs"), des ulémas ont extrait les principes suivants :
1) Est interdit tout divertissement qui constitue quelque chose qui est déjà, en soi, interdit en islam (comme les concerts de danse, de chants et/ou de musique interdits ; ou comme les combats organisés entre animaux). De même, est interdit tout divertissement qui, bien qu'en soi autorisé, est fait avec l'accompagnement de quelque chose qui, lui, est interdit (comme la musique interdite ; la présence de nudité ; la présence d'argent offert à celui qui gagnera et qui relève d'un cas qui n'est pas autorisé : cliquez ici).
-
2) Le cas du "nard" (trictrac) : Pourquoi le Prophète (sur lui soit la paix) l'a-t-il interdit ? Est-ce que le jeu d'échecs lui est comparable ?
Quelle est donc la propriété (wasf) qui est présente dans le trictrac et qui a été le principe motivant ('illa) de son interdiction ?
– Pour certains ulémas shafi'ites, l'interdiction du trictrac (interdiction qui apparaît clairement de par les termes employés dans le hadîth) concerne uniquement le cas où il est joué avec une mise d'argent (MF 32/221). Selon eux, ce hukm est donc ma'lûl bi illatin qui le rend relatif à un mahkûm alayh qui est plus particulier que ce que le zâhir ul-lafz induit. Cet avis semble être partagé par az-Zuhaylî, qui écrit : "Mais en réalité, l'interdiction du trictrac est due au fait qu'il est le jeu qui servait de support, chez les gens de la Perse, à la mise d'argent" (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, tome 4 p. 2663). En l'absence de mise d'argent, la pratique du trictrac reste en soi légèrement déconseillé (ce qui demeure autorisé, jā'ïz). Al-Marwazî est de cet avis : ce jeu est légèrement déconseillé (mak'rûh tanzîhî) (Shar'h Muslim, 15/15). Est-ce que selon ces ulémas, tous les jeux qui vont être mentionnés plus bas (monopoly etc.) ne sont que mak'rûh tanzîhî ?
– Pour la grande majorité des ulémas, cependant, le hadîth concerne le trictrac en tant que tel, qui est interdit et qui est donc à délaisser systématiquement (haram / mak'rûh tahrîmî).
Pourquoi donc cette règle retenue par la grande majorité des ulémas au sujet du trictrac en soi ?
Les avis sont divergents sur le sujet, et on peut comprendre cette divergence par le biais de la divergence d'avis existant à propos du jeu d'échecs.
–--- Certains ulémas comme Abû Hanîfa, Mālik et Ahmad sont d'avis que le jeu d'échecs est similaire au trictrac (ou est plus accentué que le trictrac d'après Mâlik) dans la mesure où il est tel qu'il devient rapidement un passe-temps suscitant la passion de qui y joue – as-sadd 'an dhikr-illâh wa 'ani-s-salât – : c'est ce qui explique que l'islam l'ait interdit ; selon ces ulémas, le trictrac est donc interdit parce qu'il est un passe-temps qui suscite rapidement l'engouement chez la personne qui y joue. Dès lors, même si des personnes précises ne le jouent que quelques instants, et même si elles parviennent à ne pas se laisser gagner par l'engouement et la passion, y jouer demeure mak'rûh tahrîmî : en fait l'interdiction est motivée par le fait que ce jeu est présomption (mazinna) de susciter rapidement l'engouement chez l'homme (MF 32/227-228).
–--- Certains, parmi les ulémas shafi'ites (forcément autres que le groupe de shafi'ites qui ont été évoqués plus haut), sont pour leur part d'avis que le trictrac est interdit parce que n'y entre en jeu que le hasard des dés et qu'il s'agit donc d'un jeu qui ne sert pratiquement à rien alors même qu'il prend du temps. Le cas des échecs est par contre différent car ceux-ci font appel à la réflexion : l'analogie n'est pas possible, et ils ne sont que légèrement déconseillés (mak'rûh tanzîhî) (car contenant la Illa à un degré moindre que le trictrac) : ils sont donc malgré tout jâ'ïz, autorisés (sauf si celui qui y joue se met concrètement à manquer à ses devoirs vis-à-vis de Dieu ou vis-à-vis des hommes) (voir Shar'h Muslim 15/15 ; Al-Mughnî 14/49-52 ; Fatâwâ mu'âssira 2/458-477). Ibn Taymiyya note qu'aucun des référents n'a dit que jouer aux échecs serait mubâh (MF 32/216).
Dès lors :
–--- Selon les écoles hanafite et hanbalite, est à délaisser systématiquement (mutlaqan) tout divertissement qui, à l'instar du trictrac et des échecs, est présomption (mazinna) de susciter rapidement l'engouement, la passion, chez celui qui y joue (alors même que ce jeu n'entre pas dans le cadre du cas 3, que nous allons voir plus bas). En vertu de cette Illa, ont été déduits les fatwas suivantes :
----- le jeu de Monopoly est lui aussi à délaisser ;
----- le jeu de dames aussi (bien que son statut soit peut-être moindre que celui des deux jeux suscités ;
----- tout jeu qui se joue avec des dés est dans le même cas de figure ;
----- les jeux vidéos, puisque particulièrement prenants, semblent eux aussi relever du même cas de figure.
–--- Par contre, selon le second groupe de ulémas shafi'ites suscité, ce qui est à délaisser systématiquement (mutlaqan) c'est tout divertissement qui n'apporte quasiment rien d'autre que le divertissement [alors même qu'il ne relève pas du 3 ni du 5] : ainsi le trictrac est-il interdit, mais pas les échecs, car ceux-ci se jouent avec de la réflexion : eux sont seulement légèrement déconseillés. Ce principe entraîne que :
----- les jeux ne faisant intervenir que les dés sont, d'après cet avis aussi, interdits ;
----- par contre, le jeu de dames serait légèrement déconseillé, donc restant autorisé.
– Pour plus de détails sur cette divergence, lire notre article à propos du maysir (cf. le point B).
-
3) Est recommandé le divertissement qui rend possible de réaliser un objectif reconnu par l'islam. C'est le cas du tir à l'arc, de la marche, de l'équitation et de la natation, et également du temps passé avec sa famille à faire une activité qui est en soi autorisée [ce qui, d'après les écoles hanafite et hanbalite, n'est pas le cas du trictrac, des échecs et jeux comparables, comme cela vient d'être exposé] : ces divertissements-ci contribuent à permettre la réalisation d'objectifs reconnus par l'islam.
Des ulémas ont classé dans cette catégorie, par analogie : d'autres types d'exercices physiques sains, de sports (voir par exemple Halâl-o-harâm, Khâlid Saïfullâh, pp. 241-242).
Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî entend initier ici une réflexion quant à ces sports tels que le football, le basketball, etc. : pratiquer ce genre de sports est certes autorisé, et cela est même bien ; cependant, regrette-t-il, ils ne sont pas les entiers équivalents des exercices physiques ayant été pratiqués et enseignés dans la Sunna (Mâ dhâ khassira-l-'âlamu bi-n'hitât il-muslimîn, an-Nadwî, p. 247).
En tout état de cause, il est nécessaire que la pratique d'un tel divertissement ne comprenne aucune autre chose interdite par l'islam, et qu'il ne relève donc pas de ce qui a été exposé plus haut en 1. Il est également nécessaire qu'on ne donne pas à la pratique de ces divertissements une place trop importante dans sa vie (nous y reviendrons plus bas).
-
4) Est interdit tout divertissement où aucun des trois premiers principes (ni le 1, ni le 2 selon les interprétations divergentes, ni le 3) n'est présent, mais qui, à l'instar du "khadhf", comporte un risque physique conséquent. An-Nawawî écrit ainsi : "في هذا الحديث النهي عن الخذف لأنه لا مصلحة فيه ويخاف مفسدته؛ ويلتحق به كل ما شاركه في هذا. وفيه أن ما كان فيه مصلحة أو حاجة في قتال العدو وتحصيل الصيد فهو جائز؛ ومن ذلك رمي الطيور الكبار بالبندق: إذا كان لا يقتلها غالبا بل تدرك حية وتذكى، فهو جائز" (Shar'h Muslim 13/106).
(Au cas où l'activité physique permet de réaliser un objectif reconnu par l'islam (soit le cas 3, ce qui n'est pas le cas du khadhf, comme le Prophète l'a exposé : "Cela ne sert pas à chasser et ne permet pas de se défendre contre un ennemi") mais comporte aussi un risque, il s'agira pour le muftî de soupeser la maslaha et la mafsada et de donner une fatwa en conséquence.)
-
5) Restent les divertissements où aucun des trois premiers principes n'est présent (ni le 1, ni le 2 selon les interprétations divergentes, ni le 4), et qui ne relèvent pas non plus du cas n° 3 : flâner dans des jardins ; passer du temps à écouter le chant des oiseaux ;
– Pour ath-Thânwî, tout divertissement de ce genre est en soi légèrement déconseillé (khilâf ul-awlâ) (Bayân ul-qur'ân 9/18) ; ce qui n'empêche donc pas qu'ils demeurent dans l'"autorisé" (jâ'ïz) ;
– Pour ash-Shâtibî, tout divertissement de ce type 5 reste purement autorisé (mubâh) lorsque fait ponctuellement, mais devient déconseillé lorsque fait de façon abondante, car faisant perdre à l'homme de son temps alors qu'il pourrait consacrer celui-ci à quelque chose d'important (Al-Muwâfaqât 1/111, 115, 2/204).
– Ces deux avis s'appuient sur deux compréhensions différentes des termes "bâtil" et "laghw" présents dans les hadîths plus haut mentionnés.
Tout divertissement peut être évalué à la lumière de ces principes.
-
Pratiquer des arts martiaux est-il autorisé, vu qu'on y apprend à frapper au visage ?
Or certains hadîths disent : "Lorsque l'un d'entre vous a à combattre, qu'il se préserve de (frapper) le visage" : "حدثنا محمد بن عبيد الله، حدثنا ابن وهب، قال: حدثني مالك بن أنس - قال: وأخبرني ابن فلان -، عن سعيد المقبري، عن أبيه، عن أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم (ح) وحدثنا عبد الله بن محمد، حدثنا عبد الرزاق، أخبرنا معمر، عن همام، عن أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إذا قاتل أحدكم فليجتنب الوجه" (al-Bukhârî, 2420).
Une autre : "Lorsque l'un d'entre vous a à frapper, qu'il se préserve de (frapper) le visage" : "حدثنا أبو كامل، حدثنا أبو عوانة، عن عمر - يعني ابن أبي سلمة -، عن أبيه، عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إذا ضرب أحدكم فليتق الوجه" (Abû Dâoûd, 4493) ; "أخبرنا يعقوب بن إبراهيم، قال: حدثنا يحيى عن ابن عجلان، قال: حدثني أبي، عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إذا ضرب أحدكم فليجتنب الوجه" (an-Nassâ'ï dans Al-Kub'râ, 7310).
Une autre : "Lorsque l'un d'entre vous a à frapper son esclave, qu'il se préserve de (frapper) le visage" : "حدثنا خالد بن مخلد، قال: حدثنا سليمان بن بلال، قال: حدثني محمد بن عجلان، قال: أخبرني أبي وسعيد، عن أبي هريرة، عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "إذا ضرب أحدكم خادمه فليجتنب الوجه" (al-Bukhârî dans Al-Adab ul-muf'rad, 174),
Enfin, dans toutes les versions rapportées par Muslim (excepté l'une d'elles, qui dit : "إذا ضرب أحدكم"), les 5 autres disent pour leur part : "Lorsque l'un d'entre vous a à combattre son frère, qu'il se préserve de (frapper) le visage" : "إذا قاتل أحدكم أخاه" (Muslim, 2612).
Comme ces riwâyât passent toutes par Abû Hurayra, il y a idhtirâb quant au mot qu'il a relaté du Prophète (sur lui soit la paix) : est-ce "dharaba" ("a à frapper"), ou bien "qâtala" ("a à combattre") ?
--- D'après l'un des commentateurs, c'est le sens de "dharaba" qui prévaut ici : "ومعنى قاتل هنا ضرب، يؤيده رواية "إذا ضرب" (Al-Kawkab ul-wahhâj). D'ailleurs al-Bukhârî a titré dessus : "Lorsqu'on a à frapper son esclave, qu'on se préserve de (le frapper) au visage" : "إذا ضرب العبد فليجتنب الوجه" (Sahîh ul-Bukhârî, Kitâb ul-'Itq, bâb 20) (note : même ailleurs qu'au visage, frapper l'esclave durement, cela était interdit, comme cela est explicitement dit dans le hadîth avec Abû Mas'ûd).
--- D'après Ibn Hajar, il est également possible que ce soit vraiment "qâtala" qui soit voulu ici, les autres cas de figure étant alors établis par analogie (FB 5/225) ; car il arrive qu'il soit autorisé de combattre, comme dans ce célèbre hadîth : "عن أبي هريرة، قال: جاء رجل إلى رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقال: يا رسول الله، أرأيت إن جاء رجل يريد أخذ مالي؟ قال: فلا تعطه مالك. قال: أرأيت إن قاتلني؟ قال: قاتله. قال: أرأيت إن قتلني؟ قال: فأنت شهيد. قال: أرأيت إن قتلته؟ قال: هو في النار" : "Messager de Dieu, vois-tu s'il vient un homme voulant prendre mon bien matériel ? - Eh bien ne lui donne pas ton bien. - Vois-tu s'il me combat (alors, pour me prendre mon bien) ? - Eh bien combats-le. - Vois-tu s'il me tue (alors) ? - Eh bien tu es martyr. - Vois-tu si (c'est) moi (qui, en faisant face à son attaque et donc par légitime défense) ? - Il sera dans le Feu" (Muslim, 140).
--- Ce caractère interdit (FB 5/226) de viser le visage concerne tous les cas où - cela n'étant possible que dans le contexte de certains pays / certaines époques - il s'agit de frapper quelqu'un pour le sanctionner (dans le cas d'une hadd ou d'une ta'zîr), ou pour le corriger (comme un célèbre hadîth - à nécessairement contextualiser - le dit au sujet de l'enfant suffisamment âgé qui n'accomplit pas la prière obligatoire).
--- Cependant, cette interdiction concerne-t-elle aussi le cas du combat légitime contre l'ennemi (qitâl ul-'aduww) ?
----- Oui d'après al-'Aynî : "مطابقته للترجمة من حيث إنه إذا وجب احتناب الوجه عند القتال مع الكافر، فاجتناب وجه العبد المؤمن أوجب" ('Umdat ul-qârî) ; et apparemment at-Tabarî : "وفي السنوسي: قال الطبري: والمراد بالأخوة: الآدمية" (Al-Kawkab ul-wahhâj) ;
----- Non d'après Ibn ul-Humâm : "ولا شك أن هذا ليس مرادا على الإطلاق؛ لأنا نقطع أن في حال قيام الحرب مع الكفار، لو توجه لأحد ضرب وجه من يبارزه وهو في مقابلته حالة الحملة، لا يكف عنه؛ إذ قد يمتنع عليه بعد ذلك ويقتله. فليس المراد إلا من يضرب صبرا في حد قتلا أو غير قتل" (Fat'h ul-Qadîr, kitâb ul-hudûd) ; ainsi que d'après l'auteur de Al-Kawthar ul-jârî ilâ riyâdhi ahâdîth il-Bukhârî.
--- Cette interdiction concerne-t-elle aussi le cas de légitime défense, où il s'agit de frapper celui qui nous attaque pour qu'il cesse (daf' us-sâ'ïl) ?
----- c'est une possibilité d'après Ibn Hajar, lui qui a évoqué comme possibilité que ce soit le sens premier du terme "qâtala" qui est visé dans le hadîth (FB 5/225) ;
----- je ne sais pas si la raison évoquée par Ibn ul-Humâm fait que ce cas de figure ne relèverait, lui non plus, pas de ce que le hadîth vise (vu qu'ici non plus, il ne s'agit pas de من يضرب صبرا pour le sanctionner ou le corriger).
Se poserait alors la question de la licité des sports de combat, où, soit lors de l'entraînement on frappe véritablement au visage, soit, lors de l'entraînement on s'entraîne - sans taper réellement au visage - à acquérir l'automatisme de frapper au visage, afin de pouvoir le faire éventuellement de façon ultérieure, si on vient à subir une agression physique (par légitime défense).
-
--- Une autre question se pose ici : Est-il également interdit de frapper les autres parties du corps qui sont par essence fragiles (chose que l'on apprend également à faire dans les arts martiaux et la self défense) ?
"الحديث فيه دلالة على أن المحدود لا يضرب في وجهه. وكذلك لا يضرب في المراقّ والمذاكير، وقد روي عن عليّ أنه قال للجلّاد: "اضربه في أعضائه، وأعط كل عضو حقّه، واتّق وجهه ومذاكيره" أخرجه ابن أبي شيبة وعبد الرزاق وسعيد بن منصور والبيهقي من طرق عن علي. واجتناب المذاكير والمراق لأنه لا يؤمن عليه من ضربها. واختلف العلماء في الرأس: فذهب ابن الصباغ والماسرخسي من أصحاب الشافعي إلى أنه لا يضرب فيه، إذ هو غير مأمون؛ وذهب الهدوية وأبو يوسف إلى أنه يضرب فيه لقول علي: "واضرب الرأس" وقول أبي بكر للجلاد: "اضرب الرأس فإن الشيطان فيه" أخرجه ابن أبي شيبة" (Al-Bad'r ut-tamâm shar'hu Bulûgh il-marâm).
-
Dès lors :
--- Pratiquer la boxe, cela est mauvais, car même lors de l'apprentissage, de l'entraînement et des compétitions, on y frappe au visage.
--- Par contre, pour ce qui est par contre de pratiquer un art martial où, lors de l'apprentissage et la pratique pour entraînement, on ne frappe pas au visage mais on en fait seulement le geste, cherchant à acquérir l'automatisme de le faire pour les cas de situation réelle, la question se pose en des termes différents :
----- certes, en général, la fatwa des ulémas connus est que cela est mauvais, à cause de ces interdits que cela amène à faire ou à apprendre : frapper au visage et aux parties fragiles (islamweb) (islamqa.info) ;
----- cependant, on peut se demander si l'interdiction de frapper au visage concerne vraiment les cas de légitime défense (comme évoqué plus haut). Par ailleurs, comme an-Nawawî l'a écrit, parlant de l'interdiction du khadhf, ce dernier est interdit parce qu'il n'apporte rien de conséquent en terme de Maslaha capable de contrebalancer la Mafsada du risque qu'il recèle ; tandis que, dit-il, ce qui recèle une Maslaha conséquente en devient autorisé : "في هذا الحديث النهي عن الخذف لأنه لا مصلحة فيه ويخاف مفسدته؛ ويلتحق به كل ما شاركه في هذا. وفيه أن ما كان فيه مصلحة أو حاجة في قتال العدو وتحصيل الصيد فهو جائز؛ ومن ذلك رمي الطيور الكبار بالبندق: إذا كان لا يقتلها غالبا بل تدرك حية وتذكى، فهو جائز" (Shar'h Muslim 13/106). En vertu de tout cela, un mufti dirait qu'il est autorisé de pratiquer un art martial, pourvu que, lors de sa pratique en tant que sport, de l'entraînement, et des compétitions, on ne frappe pas vraiment au visage ; on ne ferait qu'en acquérir l'automatisme ; ce ne serait que lors d'une agression réelle qu'il serait autorisé de frapper l'agresseur au visage, et ce avec l'intention de lui faire cesser l'agression qu'il nous fait subir. Cela n'est néanmoins pas une fatwa, mais une réflexion de ma part. (Il faut aussi noter qu'il n'est pas autorisé d'incliner son buste devant le portrait d'un maître défunt.)
-
Quelle place pour le divertissement dans la vie ?
Même en ce qui concerne un jeu qui est en soi autorisé (mubâh ou jâ'ïz) ou recommandé (mustahabb), l'éthique islamique demande qu'on ne s'y adonne pas au point d'en devenir "dépendant" ou de manquer à ses obligations vis-à-vis de Dieu et des gens.
L'islam enseigne qu'il s'agit de se détendre, mais avec l'objectif de pouvoir à nouveau se consacrer avec énergie à l'objectif de sa vie (rendre un culte à Dieu et aider les hommes dans la justice et la fraternité). Et non de vivre et de travailler avec l'objectif de se détendre et de prélasser, et d'instituer ainsi peu à peu une société du divertissement et du loisir.
Dieu dit : "Dis [ô Muhammad] : "Ma prière et mes actes de dévotion, ma vie et ma mort sont pour Dieu le Seigneur de l'univers, qui n'a pas d'associé. C'est ce qui m'a été ordonné et je suis le premier de ceux qui se soumettent"" (Coran 6/162-163). Al-Bukhârî a écrit ainsi : "Tout divertissement qui détourne de l'obéissance à Dieu est mauvais" (Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-isti'dhân, bâb 52), et aussi : "Du fait qu'il est mauvais que la poésie domine [= occupe excessivement] l'homme au point de l'empêcher de penser à Dieu, d'acquérir la connaissance et de lire le Coran" (kitâb ul-adab, bâb 92). Lorsqu'une personne laisse un divertissement prendre en elle une telle place, ce divertissement se met à occuper une partie importante de son esprit, au point qu'elle n'éprouve ensuite plus de goût dans la prière (salât), la lecture du Coran, l'invocation (du'â) et le rappel (dhikr). Parfois, elle néglige également son travail et délaisse une bonne partie de ses devoirs vis-à-vis de sa famille. C'est pour éviter cela que le musulman et la musulmane entendent intégrer les jeux et divertissements qu'ils pratiquent à la vision globale qu'ils ont de la vie.
Ici je voudrais préciser que si, sans manquer à ses devoirs vis-à-vis de Dieu (salawât, dhikr, da'wa) et vis-à-vis des hommes (devoirs envers sa famille, les démunis, etc.), on pratique un divertissement qui est en soi autorisé, celui-ci reste permis (mubâh) et ne nous apportera ni péché ni récompense de la part de Dieu. Mais si on pratique ce divertissement purement autorisé (mubâh) avec l'intention, présente dans son cœur, de "se détendre le corps et se divertir l'esprit" afin de pouvoir ensuite être à nouveau en forme pour s'adonner à l'objectif de la vie, alors on sera (s'il plaît à Dieu) récompensé pour cela aussi (Fatâwâ mu'âssira 2/472) (cliquez ici).
Et c'est bien ce que les Compagnons du Prophète nous ont laissé comme modèle. Abu-d-Dardâ (que Dieu l'agrée) disait ainsi : "Je me détends en faisant quelque chose qui relève du futile (bâtil) [mais qui est en soi licite] afin d'avoir ensuite la force de faire ce qu'il faut" (MF 28/368). Mu'adh avait dit pour sa part à Abû Mûssâ : "Je dors la première partie de la nuit. Puis, ayant ainsi rempli ma part de sommeil, je me lève, et je récite ce que Dieu a écrit pour moi. J'espère ainsi la récompense divine pour mon sommeil comme j'espère la récompense divine pour ma récitation" (rapporté par al-Bukhârî, 4086, Muslim, 1824).
-
Synthèse :
Nous humains avons parfois besoin de nous divertir pour détendre notre esprit et notre corps. L'islam reconnaît ce besoin, tout en enseignant qu'il s'agit de le faire en restant dans un cadre éthique ; et qu'il ne s'agit pas de faire du divertissement et du plaisir l'objectif premier de sa vie, mais de le faire avec l'objectif de vivre sereinement et de pouvoir ainsi remplir l'objectif de sa vie : aimer Dieu, L'adorer, et aider les hommes dans le cadre de la justice et de la fraternité.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).