Questions (posées par mail) :
Assalâmu 'alaykum.
J'aimerais avoir quelques précisions sur al-Khidhr, cet homme dont le Coran a parlé dans la sourate al-Kahf :
- qui est-il ?
- où vit-il ?
- est-il vrai qu'il a bu à la source de la vie et que c'est pour cette raison qu'il restera en vie jusqu'à la fin du monde ?
- est-il vrai qu'il vient rencontrer tous les soirs les pieux personnages qui sont en prière ?
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Réponse :
Wa 'alaykum us-salâm wa rahmatullâh.
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Al-Khidhr était un prophète contemporain de Moïse (sur eux deux soit la paix) :
En effet, des deux opinions existant chez les ulémas à son sujet, c'est bien celle qui dit qu'il était prophète qui a le plus de poids par rapport aux arguments, comme démontré dans Qassas ul Qur'ân, par as-Siohârwî (un 'âlim indien). Sa mission consistait à intervenir, sur Ordre de Dieu, dans certaines affaires comme celles qui sont relatées dans le Coran, sourate al-Kahf.
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Al-Khidhr est-il toujours vivant aujourd'hui ?
Deux opinions existent à ce sujet chez les ulémas.
--- Pour an-Nawawî, c'est l'opinion disant qu'il est toujours en vie qui est juste (Shar'h Muslim, tome 18 p. 72).
--- Al-Khidhr est mort (du type de mort que connaissent les prophètes) : c'est l'avis de al-Bukhârî, Ibrâhim al-Harbî, Abû Ya'lâ, Ibn ul-'Arabî, d'autres encore (Fat'h ul-bârî 6/528), parmi lesquels Ibn ul-Jawzî ('Umdat ul-qârî), et Ibn Taymiyya.
As-Siohârwî écrit que c'est cette seconde opinion qui est pertinente (Qassas ul-qur'ân, 1/545).
Certains hadîths du Prophète (sur lui soit la paix) évoquent certes le fait que al-Khidhr est vivant, cependant aucun d'entre eux n'est authentique (Fat'h ul-bârî 6/529).
Des traditions orales mentionnent que certains hommes pieux auraient déjà rencontré al-Khidr, mais le problème c'est que ces traditions ne sont pas toutes authentiques ; et même pour celles d'entre elles qui sont authentiques, la question c'est de savoir si c'est bien al-Khidhr qui s'est présenté à ces pieux ou si ce n'est pas plutôt un djinn...
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"La source de la vie, qui donne vie à ce qui était mort, et qui confère la vie perpétuelle au vivant qui en boit", cette source existe-t-elle ?
En fait, il est un hadîth (relaté par Ibn Abbâs) où le prophète Muhammad (que la paix soit sur lui) a raconté le contexte dans lequel la rencontre entre Moïse et al-Khidhr a vu le jour, et où on trouve quelques détails supplémentaires par rapport au récit (plus allusif) du Coran ; l'une des versions de ce hadîth passe par Suf'yân ibn 'Uyayna ; dans l'une des versions rapportées de Suf'yân, on trouve une phrase qui ne figure pas ailleurs (cette phrase est qualifiée donc de "ziyâda") ; cette phrase dit qu'"dans la base du gros rocher" auprès duquel Moïse et son serviteur se reposèrent à un moment donné de leur voyage à la rencontre de al-Khidhr, "se trouve une source qu'on appelle "la vie", rien ne touche son eau sans que cela devienne vivant ; le poisson toucha quelque chose de l'eau de cette source" : "قال سفيان: "وفي حديث غير عمرو: قال: "وفي أصل الصخرة عين يقال لها "الحياة"، لا يصيب من مائها شيء إلا حيي، فأصاب الحوت من ماء تلك العين" : cela figure dans la version transmise par Qutayba, 'an Suf'yân, 'an Ghayri 'Amr (al-Bukhârî, 4450).
Cette ziyâda est-elle, elle aussi, sahîh (authentique jusqu'au Prophète, sur lui soit la paix), ou bien est-elle shâdhdh ?
--- Déjà, qui est cet "autre que 'Amr" (Ghayr 'Amr) ? Probablement Qatâda, dit Ibn Hajar, car Ibn Abî Hâtim relate cela de ce dernier (Fat'h ul-bârî, 8/528) ; voir en effet Tafsîr Ibn Abî Hâtim, n° 12897.
--- Cependant, rien ne prouve que ce que Qatâda dit là, il le fait remonter jusqu'au Prophète (sur lui soit la paix) ; d'autant plus que si on se réfère à la version du même hadîth qui est transmise cette fois par Ibn Abî 'Umar, 'an Suf'yân, 'an 'Amr, on y lit plutôt ceci : "Des gens affirment que ce gros rocher, auprès de lui se trouve la source de la vie, dont l'eau ne touche aucune chose morte sans qu'elle devienne vivante" (etc.) : "قال سفيان: "يزعم ناس أن تلك الصخرة عندها عين الحياة ولا يصيب ماؤها ميتا إلا عاش" - قال: "وكان الحوت قد أكل منه، فلما قطر عليه الماء عاش" (at-Tirmidhî, 3149). Ce qui rendrait cette phrase : maqtû' 'alâ Qatâda. Ce qui montrerait que cette ziyâda, telle que rapportée ainsi : "قال سفيان: "وفي حديث غير عمرو: قال: "وفي أصل الصخرة عين يقال لها "الحياة"، لا يصيب من مائها شيء إلا حيي، فأصاب الحوت من ماء تلك العين" (al-Bukhârî, 4450), a été mud'raja ici.
Dès lors :
----- Certes, Ibn Hajar pense pour sa part que cette ziyâda est dûment établie de façon authentique du Prophète (sur lui soit la paix) (Fat'h ul-bârî, 8/528).
----- Mais il relate que ad-Dâoûdî a dit de cette ziyâda : "Je ne pense pas qu'elle soit établie [du Prophète, sur lui soit la paix] ; et si elle l'est, alors cela relève de ce que Dieu a créé et de (l'expression de) Sa Puissance" : "وقد أنكر الداودي - فيما حكاه بن التين - هذه الزيادة فقال: "لا أرى هذا يثبت؛ فإن كان محفوظا فهو من خلق الله وقدرته" (Fat'h ul-bârî, 8/528).
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Où al-Khidhr vivait-il ?
Tout ce que nous savons est que sa rencontre avec Moïse a été relatée dans la sourate Al-Kahf comme ayant eu lieu "au confluent des deux mers" (Coran 18/60).
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Quel est donc ce lieu ?
Les commentateurs ont sur le sujet des interprétations divergentes.
--- D'après les recherches de cheikh Anwar Shâh al-Kashmîrî, ce "confluent des deux mers" serait Eïlat / Aqaba : "فوجدا خضرا" عند مسقط الفرات في خليج فارس في العراق؛ كذا قيل. قلت: والصحيح: عند أيلة، ويقال لها الآن "العقبة"، في الجانب الغربي في الشام. وصحف بعضهم فكتب "أبله"، وهو غلط. ولعل لقاءه خضرا في مدة إقامته بسيناء بعد العبور عن البحر" (Faydh ul-bârî, 1/174) ; "قوله: (فأصاب الحوت من ماء تلك العين) أي عند أيلة، عند جبل سيناء، ويقال لها اليوم: "العقبة"؛ وهو المراد من {مجمع البحرين}. ومن قال: إنه مجتمع الفرات ودجلة، فليس بصحيح. وقد مر في العلم" (Ibid., 4/202 ; également cité in Qassas ul-qur'ân, 1/548). Comme le dit le hadîth, le voyage de Moïse à la rencontre de al-Khidhr a eu pour cause un prêche qu'il avait fait devant les fils d'Israël, suite auquel, à un homme lui ayant demandé : "Lequel des hommes a le plus de connaissance", il avait répondu : "C'est moi" (al-Bukhârî). Or, comme l'a dit al-Kashmîri, ce fait a probablement eu lieu après la traversée de la mer par Moïse et les fils d'Israël (voir ci-dessus).
--- Or encore, de plus nombreux arguments font désormais pencher la balance vers le fait que ce fut dans le golfe d'Aqaba que cette traversée, de même que la noyade de Pharaon et de ses armées, eurent lieu ; que ce fut en Arabie que Moïse et les fils d'Israël arrivèrent alors, et là qu'ils séjournèrent ; et donc que le mont du Sinaï ne se trouverait pas dans la péninsule dite "du Sinaï", en Egypte (comme beaucoup de personnes le croient), mais serait un des monts de la chaîne montagneuse Jabal al-Lawz, en Arabie.
--- A la lumière de ces éléments nouveaux, je propose humblement qu'il s'agisse non pas de la portion de terre se trouvant face à la baie de Aqaba (comme le pense cheikh al-Kashmîrî), mais de la région située plus au sud. De tout le littoral d'Arabie bordé par le golfe de Aqaba, il s'agirait peut-être de la partie faisant face au détroit de Tiran : je veux parler de la péninsule nommée aujourd'hui : "Ra's ash-Shaykh Humayd".
Le fait est que dans le détroit faisant face à cette petite péninsule, les eaux du golfe d'Aqaba et celles de la mer Rouge se rencontrent. Et cette péninsule de Ra's ash-Shaykh Humayd est située au sud par rapport à Jabal al-Lawz, ce qui permet d'imaginer facilement que Moïse et son serviteur Josué se soient mis en route depuis le lieu où les autres fils d'Israël se trouvaient et aient pris cette direction du sud.
Le Coran et la Sunna nous informent d'ailleurs que Moïse et Josué s'étaient retrouvés (au moins à un moment donné) près de la mer (lorsque le poisson revint à la vie, glissa hors du sac et retourna à la mer) ; et que, ayant rencontré al-Khidhr, Moïse et lui empruntèrent une embarcation ; la Sunna dit même que tous deux marchèrent sur le littoral (al-Bukhârî).
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Enfin, j'ai écrit un autre article qui désire apporter une clarification à propos d'une idée fausse qui circule trop souvent chez les musulmans et qui se base sur le récit de al-Khidhr :
Il s'agit de l'idée de l'existence d'une connaissance islamique cachée, qui autoriserait ce que les textes des sources déclarent interdit, et vice-versa.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).