Il est bien connu qu'on distingue les actions de la catégorie des "'ibâdât" (cultuelles) de celles de la catégorie des "mu'âmalât" (transactions, affaires sociales) et même de la catégorie plus générale "'âdât" (actions temporelles) (lire : La distinction entre "'ibâdât" et "'âdât" en islam).
Cette distinction a deux incidences :
– a) Ibn Taymiyya cite Ahmad ibn Hanbal : "La règle à propos des 'ibâdât est de s'en tenir à ce qui a été institué ; parmi elles, seul ce que Dieu a institué est donc légal ("yushra'u"). (…) Et la règle pour les 'âdât est la permission ; parmi elles, seul ce que Dieu a interdit est donc interdit (yuhzaru). (…)" (Al-Qawâ'ïd un-nûrâniyya al-fiqhiyya, p. 134). Ash-Shâtibî écrit : "Le principe en ce qui concerne les 'ibâdât n'est pas – contrairement au cas des 'âdât – que ce qui n'est pas mentionné dans les textes ("maskût 'anh") est comme ce qui est [explicitement] autorisé. (...) Par tout cela on sait que l'objectif du Législateur est qu'il n'a confié rien de ce qui relève des ta'abbudât à l'avis des hommes. Il n'y a alors qu'à s'en tenir à ce qu'il a fixé ; rajouter quelque chose est une innovation ("bid'a"), comme en diminuer [par ta'abbud] est une innovation..." (Al-I'tisâm 2/135).
- b) Ash-Shâtibî écrit : "الأصل في العبادات بالنسبة للمكلف: التعبد، دون الالتفات إلى المعاني. وأصل العادات: الالتفات إلى المعاني" : "Dans les 'ibâdât, le principe général par rapport au serviteur est l'accomplissement (de ce qui est demandé), sans se tourner vers le sens. Et dans les 'âdât, le principe général est de se tourner vers le sens" (Al-Muwâfaqât 1/585).
Mais trouve-t-on, dans les textes des sources même, le terme "'ibâda" avec ce sens très particulier d'actions cultuelles telles que prière rituelle, jeûne, évocations de Dieu, invocations adressées à Dieu, récitation du Coran, etc. ?
La réponse est : "Oui".
Voyez plutôt...
– 1)
On trouve ce sens particulier dans le récit bien connu où il est dit : "جاء ثلاثة رهط إلى بيوت أزواج النبي صلى الله عليه وسلم، يسألون عن عبادة النبي صلى الله عليه وسلم، فلما أخبروا كأنهم تقالوها" : Trois Compagnons allèrent s'enquérir, auprès d'épouses du Prophète, de la 'ibâda que le Prophète faisait ("يسألون عن عبادة النبي").
Il s'agissait d'une part de la 'ibâdatullâh surérogatoire (nâfila) que le Prophète faisait chez lui (comme cela est spécifié dans certaines versions de ce hadîth : "'an 'amalihî fi-s-sirr" (Muslim 1401) / "an 'ibâdatihî fi-s-sirr" (Ahmad 13230), puisque la 'ibâdatullâh qui était obligatoire et/ou que le Prophète faisait dans la mosquée, les Compagnons la connaissait).
Mais il s'agissait surtout, d'autre part, des actes purement cultuels que le Prophète accomplissait. La part des 'âdât qui est obligatoire ou recommandée (en termes par exemple de consommation de nourriture), de même que le fait de respecter, au sein des 'âdât et des mu'âmalât, les règles (ahkâm shar'iyya) qui y ont été instituées, cela fait partie intégrante de la 'ibâdatullâh, puisque ce terme possède le sens général de "tout ce que Dieu aime et agrée, qu'il s'agisse de paroles ou d'actes, et que ceux-ci soient extérieurs ou intérieurs". Mais ces Compagnons étaient venus s'enquérir non pas de l'ensemble des actions que Dieu agrée et que le Prophète faisait chez lui, y compris celles du domaine des 'âdât ou des mu'âmalât. Car sinon le relateur n'aurait pas dit : "Il semble qu'ils aient considéré cette ('ibâdâ) comme étant de petite quantité ("فلما أخبروا كأنهم تقالوها"). Ils ont alors dit : "Quelle est notre statut par rapport à celui du Prophète, lui dont Dieu a pardonné ses fautes antérieures et futures !"". Le fait est que manger du halal est, dans la mesure qui est nécessaire pour rester en vie et en bonne santé, acte de 'ibâda ; il en est de même d'autres actions relevant des 'âdât ou des mu'âmalât et que le Prophète faisait chez lui : ce sont aussi, du moins dans leur dimension globale, actes de 'ibâda au sens général. Or ce n'est évidemment pas ce genre de 'ibâda que ces trois Compagnons ont considéré de petite quantité.
Ce qu'ils ont considéré peu abondant de la part du Prophète c'était le nombre et la longueur des prières facultatives, ainsi que le nombre de jeûnes surérogatoires. Et c'est pourquoi l'un de ces Compagnons dit ensuite que lui il consacrerait dorénavant toutes ses nuits à prier sans interruption, et un autre qu'il jeûnerait toute l'année sans interruption. Ce sont donc bien ces actes que ceux qui ont relaté ce récit ont décrits par le terme "la 'ibâda que le Prophète faisait" (voir aussi Mirqât ul-mafâtîh, commentaire de ce hadîth) (ce hadîth a été rapporté par al-Bukhârî 4776, Muslim 1401, an-Nassâ'ï 3217, Ahmad).
Il existe donc bien un sens plus particulier (akhass) avec lequel le terme 'ibâdatullâh est parfois être utilisé dans certains textes.
Ceci met en exergue le fait que, bien que le culte de Dieu soit constitué de la mise en pratique de toutes les actions que Dieu aime (B.b), ce sont les actions qui relèvent du domaine purement cultuel (al-'ibâdât) qui constituent le culte de Dieu par excellence (B.b.a) : il s'agit des actions que Dieu aime et dont la fonction unique ou essentielle est de constituer des moyens directs pour que les humains puissent se rapprocher spirituellement de Dieu. C'est le cas des ablutions, de la prière, du jeûne, de l'aumône, du pèlerinage, de la récitation du Coran, des invocations - du'â -, des évocations - adhkâr -, de la retraite spirituelle - i'tikâf -, du sacrifice d'un animal - tadh'hiya...
(Nous avons dit "ou essentielle" parce que certaines de de ces actions confèrent aussi un avantage temporel à qui les pratique ; cependant, il ne s'agit pas de l'objectif pour lequel l'action a été instituée : ainsi, jeûner améliore la santé physique - voir Silsilat ul-ahâdîth idh-dha'îfa, 253 - ; mais c'est là un avantage de cette action, ce n'est pas son objectif : la fonction essentielle du jeûne est de rapprocher l'homme de Dieu : cliquez ici.)
A la différence des actions que Dieu aime aussi mais dont la fonction principale est de satisfaire les besoins temporels de l'homme dans sa vie terrestre (manger, boire, se reposer, satisfaire son élan sexuel, élever ses enfants, travailler pour gagner son pain quotidien, vivre en société, etc.), et dont la fonction première est d'apporter à l'homme un bénéfice temporel ; les actions de cette seconde catégorie, l'islam les a, d'une part, conservées dans certaines de leurs expressions (qu'il a déclaré autorisées, recommandées ou obligatoires) et a, d'autre part, rajouté des normes relatives au déroulement de ces actions (il a interdit certaines choses, déconseillé d'autres, recommandé telle ou telle chose, et rendu obligatoire telle autre). Ces actions, qui appartiennent au domaine des 'âdât, relèvent de la catégorie que nous appellerons ici B.b.b., par opposition à la catégorie B.b.a, de laquelle relèvent les actions purement cultuelles, et qui est la sphère des 'ibâdât.
(Par ailleurs il y a également les actions qui sont des qurubât mais ne relèvent pas de la 'ibâda au sens particulier du terme : ce sont les actions qui ont comme fonction unique ou essentielle de constituer des moyens pour servir le dîn à l'extérieur - ta'yîd ud-dîn. Et il y a encore les actions dont la fonction est, elle aussi, à l'instar des 'ibâdât, l'établissement du dîn dans sa vie - iqâmat ud-dîn -, mais qui ne relèvent pas de la 'ibâda au sens particulier du terme : ainsi en est-il d'apprendre la connaissance, d'écrire les hadîths, etc. ; cliquez ici pour en savoir plus.)
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– 2)
"عن علي بن أبي طالب قال: إنا لجلوس مع رسول الله صلى الله عليه وسلم في المسجد إذ طلع مصعب بن عمير ما عليه إلا بردة له مرقوعة بفرو. فلما رآه رسول الله صلى الله عليه وسلم بكى للذي كان فيه من النعمة والذي هو اليوم فيه. ثم قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "كيف بكم إذا غدا أحدكم في حلة وراح في حلة ووضعت بين يديه صحفة ورفعت أخرى وسترتم بيوتكم كما تستر الكعبة؟" قالوا: "يا رسول الله نحن يومئذ خير منا اليوم: نتفرغ للعبادة ونكفى المؤنة." فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "لأنتم اليوم خير منكم يومئذ"
Le Prophète, voyant Mus'ab ibn 'Umayr entrer dans la mosquée avec des vêtements rapiécés, se souvenant qu'auparavant ce Compagnon bénéficiait de beaucoup d'aisance matérielle, fut ému. Il décrivit alors aux autres Compagnons présents une scène que ceux-ci vivraient dans le futur, après lui : "Comment serez-vous lorsque, le matin, vous porterez un complet et, dans la soirée, un autre complet ; qu'un plat sera placé devant vous et un autre retiré ; et que vous habillerez vos maisons comme on habille la Kaaba ?" Les Compagnons répondirent : "Nous serons alors meilleurs qu'aujourd'hui : nous nous consacrerons à la 'ibâda, et nous serons couverts quant aux charges du vivre". Le Prophète fit : "C'est aujourd'hui que vous êtes meilleurs qu'alors" (at-Tirmidhî 2476).
Dans cette autre relation (riwâya) (ayant cependant été classée "dha'îf" par al-Albânî), on s'aperçoit de nouveau que c'est encore avec le sens particulier B.b.a que le terme 'ibâda y a été employé.
En effet, le fait que leur situation spirituelle soit meilleure quand ils étaient dans la grande simplicité matérielle qu'ils connaissaient du vivant du Prophète plutôt que quand ils seraient dans l'aisance matérielle qu'ils connaîtraient à partir du califat de Omar, cela est-il dû à la supériorité en soi de la pauvreté sur la richesse, ou bien à ce que la richesse matérielle peut drainer de problèmes secondaires chez la majorité des hommes qu'elle touche, c'est là un autre débat (cliquez ici pour lire quelques lignes sur le sujet). Ce qui nous intéresse ici c'est la phrase que les Compagnons ont employée devant le Prophète et que celui-ci n'a pas contredite : "Nous nous consacrerons à la 'ibâda, et nous serons couverts quant aux charges du vivre ("natafarraghu li-l-'ibâda, wa nukfa-l-ma'ûna")" : travailler pour acquérir de façon licite de quoi subvenir aux charges matérielles de la vie (niveaux dharûra et hâja), cela est obligatoire et constitue donc aussi de la 'ibâda, mais ce dans le sens général du terme. Dès lors, quand ici des Compagnons ont dit penser, une fois couverts quant à leurs charges matérielles, pouvoir se "consacrer à la 'ibâda", c'est, de nouveau, dans le sens particulier (B.b.a) que ce terme revêt, et qui le fait désigner alors la 'ibâda par excellence, soit les actes purement cultuels.
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– 3)
"حدثنا أبو كريب وابن وكيع قالا حدثنا مالك بن إسماعيل؛ وحدثنا أحمد بن إسحاق قال حدثنا أبو أحمد جميعا، عن عبد السلام بن حرب قال، حدثنا غطيف بن أعين، عن مصعب بن سعد، عن عدي بن حاتم قال: أتيت رسول الله صلى الله عليه وسلم وفي عنقي صليب من ذهب، فقال: "يا عدي، اطرح هذا الوثن من عنقك!" قال: فطرحته. وانتهيت إليه وهو يقرأ في "سورة براءة"، فقرأ هذه الآية: (اتخذوا أحبارهم ورهبانهم أربابا من دون الله). قال قلت: "يا رسول الله، إنا لسنا نعبدهم!" فقال: "أليس يحرمون ما أحل الله فتحرمونه، ويحلون ما حرم الله فتحلونه؟" قال: قلت: "بلى!" قال: "فتلك عبادتهم"!"
Ayant entendu le prophète Muhammad (sur lui soit la paix) réciter le verset coranique où Dieu reproche à des chrétiens que "اتَّخَذُواْ أَحْبَارَهُمْ وَرُهْبَانَهُمْ أَرْبَابًا مِّن دُونِ اللّهِ وَالْمَسِيحَ ابْنَ مَرْيَمَ" : "ils ont pris leurs érudits et leurs moines, ainsi que le Messie fils de Marie, comme des rabb en dehors de Dieu" (Coran 9/31), 'Adî ibn Hâtim (alors encore chrétien) fut intrigué par le contenu de ce verset dans la mesure où il n'avait pas le sentiment d'avoir divinisé certains des docteurs et des saints reconnus dans le christianisme. Il objecta donc au prophète Muhammad (sur lui la paix) ceci : "Nous ne faisons pas leur 'ibâda !". Le Prophète lui répondit : "N'y a-t-il pas que (lorsque) ils déclarent illicite ce que Dieu a déclaré licite, vous le considérez (désormais) illicite, et (lorsque) ils déclarent licite ce que Dieu a déclaré illicite, vous le considérez (désormais) licite ? – Si. – C'est là faire leur 'ibâda !" (rapporté par at-Tabarî dans son Tafsîr, n° 16332).
Si des hommes reconnaissent Dieu comme Seul rabb, s'abstenant donc de faire tout shirk akbar fi-l-hukm it-takwînî, et ayant donc aslu tawhîd ir-rubûbiyya, mais considèrent qu'un autre que Dieu détient le droit de légiférer de façon absolue (faisant alors du shirk akbar fi-l-hukm it-tashrî'î), alors, en vertu de ce que dit explicitement ce hadîth, ils tombent malgré tout dans le shirk akbar fi-l-ulûhiyya, et ne reconnaissent pas Dieu comme Seul ilâh (lire notre article consacré à ce point : il s'agit du cas A).
Cela est connu et établi.
Mais ce qui nous intéresse ici c'est que dans la version de ce hadîth tel qu'il a été rapporté par at-Tirmidhî, on lit les mots suivants :
"حدثنا الحسين بن يزيد الكوفي قال: حدثنا عبد السلام بن حرب، عن غطيف بن أعين، عن مصعب بن سعد، عن عدي بن حاتم، قال: أتيت النبي صلى الله عليه وسلم وفي عنقي صليب من ذهب. فقال: "يا عدي اطرح عنك هذا الوثن." وسمعته يقرأ في سورة براءة: {اتخذوا أحبارهم ورهبانهم أربابا من دون الله}؛ قال: "أما إنهم لم يكونوا يعبدونهم، ولكنهم كانوا إذا أحلوا لهم شيئا استحلوه وإذا حرموا عليهم شيئا حرموه"" :
Le Prophète dit à 'Adî : "Ils ne faisaient (certes) pas la 'ibâda de ces (docteurs et moines), mais lorsque ces (dernier) déclarèrent licite ce que Dieu a déclaré illicite, ils le considéraient (désormais) licite, et lorsqu'ils déclarèrent illicite ce que Dieu a déclaré licite, ils le considéraient (désormais) illicite" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 3095).
Ici, d'après cette version de at-Tirmidhî, le Prophète (sur lui soit la paix) a dit qu'ils n'ont certes pas fait leur 'ibâda mais les ont suivis, en croyance même, dans ce qu'ils ont décrété licite et illicite.
Alors que dans la version précédente, celle de at-Tabarî, le Prophète a dit qu'ils ont fait leur 'ibâda, par le fait de les avoir suivis, en croyance même, dans ce qu'ils ont décrété licite et illicite.
En fait les deux versions reviennent au même sens : ces chrétiens ont divinisé leurs érudits et leurs saints, par le fait d'avoir considéré, en croyance exprimé explicitement par leur langue, que ceux-ci ont la faculté de légiférer de façon absolue. C'est seulement dans les termes qu'il y a divergence entre les deux versions.
Et il semble qu'en fait il y a eu ici riwâya bi-l-ma'nâ de la part de certains transmetteurs. Cela a été rendu possible par le fait que le terme "'ibâda" possède plusieurs sens :
- l'un est "la divinisation" (ta'lîh) (soit le sens B.a.a dans notre article expliquant ce terme) ;
- un autre (le sens B.b.a) en est : "les actes de rapprochement spirituel, tels que prière, jeûne, etc." (c'est le sens dont nous parlons sur cette page).
Dans la version de at-Tabarî, c'est alors que le terme 'ibâda possède le sens B.a.a que le Prophète a contredit 'Adî, lui répondant que ces chrétiens ont bel et bien fait la 'ibâda de ces autres que Dieu : cela veut dire qu'ils les ont bel et bien divinisés ; et cela par le moyen d'avoir dit qu'ils ont la faculté de légiférer de façon absolue et avoir considéré leurs propos de législation comme ayant priorité sur ceux de Dieu.
Et dans la version de at-Tirmidhî, c'est alors que le terme 'ibâda a le sens B.b.a que le Prophète a approuvé 'Adî, lui répondant que, certes, ces chrétiens n'ont pas fait la 'ibâda de ces autres que Dieu : cela veut dire qu'ils n'ont pas divinisé ces érudits et ces moines par le moyen de prosternation faites devant eux, de jeûnes faits pour se rapprocher d'eux, etc. Cependant, le Prophète lui a ensuite montré le moyen par lequel ils les ont bel et bien divinisés : avoir dit qu'ils ont la faculté de légiférer de façon absolue, et avoir considéré leurs propos de législation comme ayant priorité sur ceux de Dieu.
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On retrouve ces deux sens sous la plume de Cheikh 'Abd ur-Rahmân ibn Sa'dî :
- d'un côté il dit ceci : "الثالث: توحيد الإلهية؛ ويقال له: توحيد العبادة؛ وهو العلم والاعتراف بأن الله ذو الألوهية والعبودية على خلقه أجمعين، وإفراده وحده بالعبادة كلها وإخلاص الدين لله وحده. وهذا الأخير يستلزم القسمين الأولين ويتضمنهما. لأن الألوهية التي هي صفة تعم أوصاف الكمال وجميع أوصاف الربوبية والعظمة، فإنه المألوه المعبود لما له من أوصاف العظمة والجلال، ولما أسداه إلى خلقه من الفواضل والأفضال، فتوحده تعالى بصفات الكمال وتفرده بالربوبية يلزم منه أن لا يستحق العبادة أحد سواه. ومقصود دعوة الرسل من أولهم إلى آخرهم: الدعوة إلى هذا التوحيد" (Kitâb ul-Qawl is-sadîd fî maqâssid it-tawhîd, p. 14) ; ici il emploie le terme "'ibâda" dans son sens général de "divinisation" ;
- de l'autre côté, commentant le hadîth relaté par 'Adî ibn Hâtim et rapporté par at-Tirmidhî, et parlant donc de cette considération que des chrétiens ont développée vis-à-vis de leurs docteurs et moines, le cheikh distingue "hukm" d'un côté, et "'ibâda" de l'autre : "فإذا اتخذ العبد العلماء والأمراء على هذا الوجه، وجعل طاعتهم هي الأصل، وطاعة الله ورسوله تبعا لها، فقد اتخذهم أربابا من دون الله، يتألههم ويتحاكم إليهم ويقدم حكمهم على حكم الله ورسوله؛ فهذا هو الكفر بعينه؛ فإنّ الحكم كله لله؛ كما أنّ العبادة كلها لله" (Kitâb ul-Qawl is-sadîd fî maqâssid it-tawhîd, p. 112) ; ici il emploie le terme "'ibâda" dans son sens particulier d'"actes purement cultuels".
En tous cas, on retrouve ainsi, dans la version de at-Tirmidhî, ce terme "'ibâda" avec le sens très particulier dont nous parlons sur cette page.
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– 4)
"ونقلوا: أن أهل المدينة كانوا إذا بلغ أحدهم أربعين سنة، تفرغ للعبادة"
C'est de nouveau en lui conférant ce sens particulier qu'il faut appréhender ce terme dans cette phrase de an-Nawawî, où il relate que "chez les habitants de Médine" auparavant, il y avait cette habitude que "lorsque l'un d'eux atteignait l'âge de 40 ans, il se consacrait à la 'ibâda ("tafarragha li-l-'ibâda")" (Riyâd us-sâlihîn, introduction du chapitre 12).
Ce n'était pas sûrement pas que les Médinois attendaient cet âge pour apporter croyance en Dieu, ou pour se mettre à obéir en actes à Ses Ordres relatifs à la vie quotidienne.
Ici encore, le terme 'ibâda ne peut désigner que la 'ibâda dans son sens particulier (B.b.a).
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– 5)
Dans les ouvrages de fiqh, on lit une formule voisine : il y est dit que celui qui d'un côté ne se trouve pas dans un cas où il risque de se laisser aller au péché de fornication (zinâ) s'il ne se marie pas, et qui de l'autre côté a malgré tout les capacités de remplir les obligations conjugales, pour celui-là il est mieux (mustahabb), d'après les écoles hanafite et hanbalite, de se marier plutôt que de se consacrer pleinement à ("at-takhallî li") nawâfil ul-'ibâda.
L'école shafi'ite est par contre d'avis que "at-takhallî li 'ibâdatillâh : afdhal" (cf. Al-Mughnî 9/136-137).
Il est, ici encore, intéressant de relever la distinction entre "'ibâdatullâh" et ce type de mariage : se marier alors qu'on a les capacités de remplir les obligations conjugales est un acte que Dieu agrée, et ne peut donc que relever de la 'ibâdatullâh au sens général du terme. Le fait qu'ici "nawâfil ul-'ibâda" aient malgré cela été distingués de l'action que constitue ce mariage, cela semble donc bien relever de l'utilisation du terme "'ibâdatullâh" avec son sens particulier d'actions purement cultuelles, soit B.b.a.
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– 6)
C'est ce qui explique une réponse donnée à la question "Quelles sont les actions pieuses auxquelles il est préférable de s'adonner le plus quand on se trouve en retraite spirituelle (i'tikâf) dans la mosquée ?" L'avis de la plupart des hanbalites sur le sujet est que ce à quoi il est alors préférable de s'adonner le plus consiste en "la prière, la récitation du Coran, l'évocation de Dieu (dhikr ullâh) et chose semblable parmi les tâ'ât mahdha", cependant que le fait d'enseigner le Coran ou autres sciences religieuses, et même d'apprendre soi-même pour acquérir la connaissance religieuse [autre que celle qui est strictement obligatoire] ou d'écrire des hadîths, n'est pas ce à quoi il est mieux de consacrer son temps libre pendant la retraite spirituelle : Al-Mughnî 4/312-313. Voir chose voisine chez les malikites in Al-Fiqh ul-mâlikî wa adillatuh 2/116-117.
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– 7)
La même formule a été employée à propos cette fois de celui qui dispose du minimum [dharûra et hâja] de biens matériels pour assurer sa subsistance et celle de ceux qui sont à sa charge. Celui-là, il lui est bien sûr autorisé (jâ'ïz) de travailler davantage encore afin de pouvoir disposer de plus de biens matériels [tahsîn], sans que ce travail supplémentaire l'amène à délaisser ses obligations vis-à-vis de Dieu et des autres créatures. Certes, mais qu'est-ce qui est mieux pour lui : de travailler ainsi davantage ("al-ishtighâl bi-l-kasb"), ou de se consacrer à la 'ibâda ("at-tafarrugh li-l-'ibâda") ?
Après avoir posé cette question, as-Sarakhsî y répond en disant que certains juristes disent qu'il est mieux pour lui d'effectuer ce travail, afin d'apporter un bien à la société tout entière, mais que la plupart des grands ulémas hanafites pensent que ce qui est mieux pour cet homme est de se consacrer à la 'ibâda (Shar'h kitâb il-kasb, pp. 101-102). Ici encore, travailler pour acquérir des biens de niveau tahsîn, cela est de la 'ibâda au sens général du terme si cela est fait avec l'intention d'apporter quelque chose à la société tout entière (sans ce genre d'intention, l'acquisition de ce qui est de niveau tahsînî dans les choses purement temporelles reste mubâh, et ne constitue ni 'ibâda ni ma'siya). Si la 'ibâda a été distinguée de ce genre de travail, c'est de nouveau avec le sens particulier du terme.
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– 8)
Al-Lucknowî cite le passage d'un ouvrage de Ibn Hajar al-Haytamî, où on lit quelque chose de voisin, qui montre par ailleurs que la 'ibâda au sens particulier du terme est bel et bien distincte des actions de ta'yîd ud-dîn (telles que l'enseignement des sciences religieuses aux gens) : Mis'ar ibn Kidâm raconte s'être rendu dans l'assemblée de Abû Hanîfa, et avoir vu celui-ci s'asseoir après la prière de l'aube pour enseigner aux gens (et répondre à leurs questions). Abû Hanîfa fit ainsi jusqu'à la prière du début d'après-midi. Après celle-ci, il s'assit de nouveau pour enseigner (et répondre) aux gens, jusqu'à la prière de l'après-midi. Après celle-ci il s'assit de nouveau pour enseigner, jusqu'à la prière du coucher du soleil. Après celle-ci il s'assit de nouveau pour la même raison jusqu'à la prière de la nuit. Mis'ar raconte : "Je me dis alors : "Cet homme est dans pareille occupation ! Quand donc se consacre-t-il à la 'ibâda ("yatafarraghu li-l-'ibâda") ? Je le regarderai la nuit."" Alors Mis'ar vit Abû Hanîfa, après que les gens soient partis le soir, accomplir des prières surérogatoires, et ce jusqu'à l'éclosion de l'aube. Alors seulement le mujtahid partit chez lui, changea ses vêtements, et se rendit à la mosquée pour y accomplir la prière de l'aube (Iqâmat ul-hujja 'alâ anna-l-ikthâr fi-t-ta'abbud layssa bid'a, pp. 80-81).
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Par ailleurs il est certain que, pour constituer du culte de Dieu comme ce culte se doit pleinement de l'être, ces actions de la catégorie B.b.a doivent être accomplies non seulement avec toutes les conditions requises quant à leur aspect extérieur (fiqh) mais aussi avec de la profondeur du cœur. C'est bien pourquoi le Prophète a dit : "Celui qui [malgré qu'il jeûne] ne délaisse pas la parole de mal et l'action du mal, Dieu n'a pas besoin [= n'agrée pas de sa part] qu'il délaisse sa nourriture et sa boisson [en jeûnant]" (al-Bukhârî 1804). C'est aussi pourquoi, à un homme venu lui dire que la nuit précédente il avait récité l'ensemble des sourates "mufassal" en un cycle de prière (rak'a), Ibn Mas'ûd dit : "Récité comme on récite des vers ? Des gens réciteront le Coran, cela ne dépassera pas leur clavicule ; mais lorsque cela tombe dans le cœur puis s'y enracine, cela est profitable" (Muslim 822). Cliquez ici pour lire notre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).