Est-ce que, dans les croyances fondamentales aussi, le Taqlîd est possible, au sens où la foi est alors valable bien que fondée sur un Taqlîd (le fait de suivre, sans en connaître les arguments) ?
Ou bien est-ce que (différemment de ce qui vaut pour le Fiqh) dans le domaine des 'Aqâ'ïd (au moins celles qui sont fondamentales), il est obligatoire au musulman de connaître les arguments rationnels sur lesquels ses croyances (mu'man bihî) reposent ?
– I) Ce qui est certain, c'est que celui à qui (au niveau de sa raison) une Shub'ha survient dans la croyance (c'est-à-dire quelque chose qui est fort et persistant), celui-là a l'obligation de la faire disparaître, pour éviter que cette shub'ha (de Degré 3 dans notre article traitant du doute) évolue en un shakk de Degré 4.
Al-'Alâ'ï dit ainsi : "ومن حصلت عنده شبهة، وجب عليه التعلم إلى أن تزول عنه" (FB 13/433).
Cet effort en vue de faire disparaître ce genre de choses se fait en général par la recherche de l'argumentation rationnelle : et il s'agit de procéder à cette recherche : soit individuellement, soit avec l'accompagnement de quelqu'un qui sait.
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– II) Mais la question sus-mentionnée concerne le cas où il n'y a pas de doute. Une telle foi, qui n'est pas fondée sur une connaissance personnelle des arguments de chaque croyance mais sur le Suivisme (Taqlîd), est-elle valable ?
La réponse est comme suit :
----- A) Si, par Taqlîd, on entend "le fait de se contenter des affirmations du Coran et de la Sunna, sans connaître les argumentations rationalisantes des Mutakallimûn", alors il n'y a aucun doute que la foi est valable sans ce genre d'argumentations, d'autant plus qu'il est faux de croire que le Coran et la Sunna ne présentent jamais ou presque jamais d'argumentations quant à ce qu'ils affirment.
An-Nawawî écrit : "وفيه دلالة ظاهرة لمذهب المحققين والجماهير من السلف والخلف أن الإنسان إذا اعتقد دين الإسلام اعتقادا جازما لا تردد فيه، كفاه ذلك وهو مؤمن من الموحدين، ولا يجب عليه تعلم أدلة المتكلمين ومعرفة الله تعالى بها؛ خلافا لمن أوجب ذلك وجعله شرطا في كونه من أهل القبلة وزعم أنه لا يكون له حكم المسلمين إلا به؛ وهذا المذهب هو قول كثير من المعتزلة وبعض أصحابنا المتكلمين. وهو خطأ ظاهر؛ فإن المراد التصديق الجازم، وقد حصل؛ ولأن النبي صلى الله عليه وسلم اكتفى بالتصديق بما جاء به - صلى الله عليه وسلم - ولم يشترط المعرفة بالدليل؛ فقد تظاهرت بهذا أحاديث في الصحيحين يحصل بمجموعها التواتر بأصلها والعلم القطعي. وقد تقدم ذكر هذه القاعدة في أول الإيمان. والله أعلم" (Shar'h Muslim, 1/210-211).
Le fait est qu'il y a :
– ce qui est Présumé (Zannî) ;
– et ce qui est Certain (Yaqînî).
Et "ce qui est Yaqînî" ("ce qui est Certain") englobe :
----- tout ce qui est Évident (Badîhî) ;
----- ainsi que certaines des choses qui ont été établies suite à une Argumentation (Nazarî / Kasbî / Istidlâlî).
La croyance en l'Existence de Dieu est (normalement) Badîhî chez les humains. Il est donc erroné de dire (comme l'ont fait un certain nombre de Mutakallimûn) que la première chose qui incombe à l'être humain c'est le Nazar, c'est-à-dire l'argumentation rationnelle par laquelle il lui sera démontré que Dieu existe (afin d'avoir une certitude de type Yaqînî wa Nazarî).
Oui, écrit Ibn Taymiyya, il se peut que certains humains aient connu des choses qui ont perturbé en eux la Fit'ra, et qui a fait qu'ils ne croient plus en l'existence du Créateur. A eux, une argumentation rationnelle adéquate enlèvera (avec la permission de Dieu) ce qui avait perturbé leur Fit'ra.
Mais on ne peut pas en faire une généralité pour tout le monde.
"وقد ذكرنا في مواضع أن الإقرار بالصانع فطري ضروري، مع كثرة دلائله وبراهينه" (MF 16/444).
"وإذا كان كذلك فكل إنسان في قلبه معرفة بربه. فإذا قيل له {اقرأ باسم ربك} عرف ربه الذي هو مأمور أن يقرأ باسمه كما يعرف أنه مخلوق والمخلوق يستلزم الخالق ويدل عليه. وقد بسط هذا في غير هذا الموضع وبين أن الإقرار والاعتراف بالخالق فطري ضروري في نفوس الناس. وإن كان بعض الناس قد يحصل له ما يفسد فطرته، حتى يحتاج إلى نظر تحصل له به المعرفة. وهذا قول جمهور الناس وعليه حذاق النظار: أن المعرفة تارة تحصل بالضرورة، وتارة بالنظر؛ كما اعترف بذلك غير واحد من أئمة المتكلمين" (MF 16/328). De plus, même à leur égard, il faut éviter les argumentations rationalistes (telles que "دليل حدوث الأجسام", etc.), qui apportent, avec leur bien et vérité, du tort (de par l'erreur qu'elles comportent et qui entraîne d'autres problèmes dans la conception que l'on a de Dieu).
Le fait que Dieu est Unique dans le caractère divin est lui aussi Badîhî (car étant 'Aqla-Qalbî). Simplement, il y a plus d'humains qui sont devenus Hénothéistes qu'il y en a qui sont devenus Athées ou Agnostiques. C'est ce qui explique que le Coran – en tant Parole de Dieu prononcée avec, comme destinataires premiers (dans le temps) les Arabes (dont la majorité sont alors Hénothéistes) – s'est employé à argumenter quant au fait qu'on ne doit pas diviniser autre que Dieu.
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----- B) Et qu'en est-il, si par Taqlîd on entend : "le fait de ne pas connaître les argumentations du Coran et de la Sunna sur lesquelles toutes les croyances reposent, et le fait de se contenter d'adhérer à ces croyances pour les avoir apprises des Ulémas en les compétences de qui on a confiance" ?
La réponse est que la foi du commun des musulmans qui repose sur un tel Taqlîd est valable. Car ce qui compte c'est la Conviction, Yaqîn ; or celle-ci peut être acquise sans connaissance détaillée des arguments détaillés. Ibn ul-'Uthaymîn écrit : "فالصواب والله أعلم أن ما يُطلب فيه الجزم يُكتفي فيه بالجزم، سواء عن طريق الدليل أو عن طريق التقليد" (Shar'h ul-aqîda as-sifârîniyya).
–--------- Ce que nous venons de dire s'applique certainement aux croyances importantes (celles dont le contraire constitue du Kufr Akbar, ainsi que celles dont le contraire constitue du Dhalâl) : Le musulman qui, par ignorance, a adopté une croyance erronée ou pratiqué une action cultuelle innovée, et est mort sans se repentir de cela (puisqu'il le croyait juste), se peut-il qu'il soit puni pour cela par Dieu dans l'au-delà, ou cela lui sera-t-il systématiquement pardonné par Dieu ?.
–--------- Mais cela s'applique-t-il aussi aux 2 témoignages de foi eux-mêmes : Croire sincèrement en, et adhérer du fond du cœur à : l'Unicité de Dieu et le prophétat de Muhammad (que la paix soit sur lui), sans avoir cherché les preuves, et demeurer ainsi, convaincu en son cœur, sans avoir vraiment questionné rationnellement ce sur quoi cette foi se fonde, est-ce une foi valable ?
Oui.
Al-'Alâ'ï écrit cependant que, en réalité, chacun s'appuie sur une preuve, fût-elle globale : "ومع ذلك فدليل كل أحد بحسبه. وتكفي الأدلة المجملة التي تحصل بأدنى نظر" (FB 13/433).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).