Le Consensus (Ijmâ' : الإجماع) : à quoi sert-il donc ? qu'est-ce vraiment ? et comment fonctionne-t-il ? - (2/3)

Suite de l'article :

Lire les Ecritures (= Coran et Sunna), mais prendre également connaissance de la Tradition d'interprétation (= Ijtihad des Mujtahidûn) - De l'importance de ne pas contredire le Consensus (الإجماع) des Mujtahidûn - (1/3)

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I) Le Consensus :

Le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a dit : "عن ابن عمر أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: " إن الله لا يجمع أمتي - أو قال: أمة محمد صلى الله عليه وسلم - على ضلالة" : "Dieu ne rassemblera jamais ma Umma sur une dhalâla" (at-Tirmidhî, 2167). D'autres versions existent (voir Irshâd ul-fuhûl, p. 290). Ibn ul-Humâm a affirmé que ce propos est rapporté du Prophète (sur lui soit la paix) au tawâtur ma'nawî (Ussûl ul-fiqh il-islâmî, 1/543, note de bas de page n° 1).

Le terme "dhalâla" n'a pas été employé, dans ce hadîth, avec le sens, particulier, de "déviance", mais avec celui, plus général, de "erreur qat'î". Ce n'est donc pas seulement sur une déviance que Dieu ne laissera pas la Umma être unanime : c'est aussi sur une erreur d'interprétation de niveau ijtihâdî, mais étant formelle (qat'î) : Dieu, takwînan, ne laissera pas la Umma être consensuelle (faire un ijmâ') sur une telle erreur.

Un autre exemple d'un tel emploi du terme "dhalâla" a été donné dans notre article parlant du terme "Dhalâla" et de ses différentes intensités.

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II) Qu'est-ce que le Consensus (Ijmâ') ?

Le Consensus, c'est le fait que tous les Mujtahidûn de la Umma, à un moment donné du temps qui va du décès du Prophète (sur lui soit la paix) jusqu'à la fin du monde, soient unanimes sur un hukm shar'î.

Il s'agit bien de tous les Mujtahidûn de la Umma vivant à un moment donné.

Il n'existe pas un Consensus (au sens shar'î et non pas littéral du terme) des Mujtahidûn d'un pays précis, au sein de toute la Umma (exception faite de celui de Médine lors des premières époques, et ce d'après Mâlik ibn Anas). Un tel "Consensus" n'a pas la valeur du Consensus dont nous parlons dans cette page.

De même, le fait que les 4 écoles juridiques constituées soient unanimes sur un hukm lié à une question donnée, cela a certes un poids certain, mais si d'autres avis existent chez des Mujtahidûn des 3 Premières Générations, l'unanimité des Mujtahidûn des 4 écoles ne constitue lui non plus pas un Consensus  (au sens shar'î du terme) (cf. Irshâd ul-fuhûl, p. 307).

Vu qu'il arrive que des Mujtahid changent d'avis, les ulémas ont évoqué le cas où les Mujtahidûn se seraient mis d'accord sur un avis mais qu'ensuite certains d'entre eux auraient changé d'avis. C'est pourquoi la question de savoir s'ils doivent tous arriver au terme de leur vie (انقراض) avant qu'on puisse parler de Ijmâ' est posée dans les Livres de Ussûl.

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III) Le Consensus s'appuie sur quelque chose (mustanad) :

C'est-à-dire que le Consensus s'applique :
--- soit à un Texte, Nass, du Coran ou de la Sunna (le Consensus empêche certaines interprétations de ce Texte et oriente vers telle interprétation précise de celui-ci) ;
--- soit à une Analogie, Qiyâs (qiyâs ut-tamthîl ou qiyâs ul-maslaha) (le Consensus empêche certaines Analogies et en impose d'autres).

Un Consensus ne peut pas s'établir sur ce qui provient d'une simple pensée collective.

Ainsi, parlant des qirâ'ât établies par une chaîne authentique mais ne pouvant pas être récitées à partir de l'écriture des copies uthmaniennes, Ibn ul-Jazarî affirme  que si on ne peut pas les réciter en tant que variantes du Coran, c'est "parce qu'elles n'ont pas atteint le tawâtur, même si elles sont établies par relation (naql) ; elles sont donc abrogées : soit par l'ultime révision, soit par le consensus des Compagnons sur les copies uthmaniennes"
("والأكثر على المنع لأنها لم تتواتر وإن ثبتت بالنقل. فهي منسوخة بالعرضة الأخيرة أو بإجماع الصحابة على المصاحف العثمانية") (Al-Itqân p. 240).
Or c'est par Maslaha que le calife 'Uthmân (que Dieu l'agrée) a pris la décision d'universaliser un type d'écriture du texte du Coran.

Dès lors, si effectivement il existe des variantes qui avaient déjà été abrogées de récitation (mansûkhat ut-tilâwa) lors de l'ultime révision faite entre le Prophète et l'ange Gabriel, mais, certains Compagnons, ne l'ayant pas su, continuèrent à les réciter comme ils avaient entendu le Prophète le faire. Il était normal ne pas les inclure dans la graphie des copies uthmaniennes : elles ne devaient plus être récitées car ayant été abrogées par le Prophète lors de l'ultime révision. Cependant, d'un autre côté il existe d'autres variantes de récitation qui n'avaient pas été abrogées lors de l'ultime révision, et c'est pourquoi Ibn Mas'ûd, par exemple, qui les avaient apprises du Prophète, continua à les enseigner.
Si ces variantes-là ne peuvent pas être lues à partir de la graphie des copies uthmaniennes, c'est parce que, alors qu'elles n'ont pas été incluses dans cette graphie, il y a eu consensus des Compagnons sur la nécessité, pour pouvoir réciter une variante même enseignée par le Prophète, de pouvoir la lire à partir du "socle" des copies uthmaniennes. C'est le consensus des Compagnons qui a donc établi qu'on ne réciterait plus ces variantes-là (d'après ce que as-Suyûtî a relaté de Ibn ul-Jazarî). Par contre on devrait parler non pas d'abrogation (naskh) mais plutôt de délaissement (tark) de ces variantes.

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IV) A quoi sert donc le Consensus ? Réponse : à orienter notre interprétation des textes du Coran et de la Sunna, en empêchant certaines interprétations de ces textes ou certaines analogies, et en imposant* certaines autres analogies :

En effet, le Consensus :

empêche certaines interprétations des textes (ijtihâd bayânî), lesquelles interprétations :
--- soit auraient conduit à la présence d'une interdiction (comme dans le cas de l'avis interdisant à la femme le port d'un bijou rond en or) ; le consensus empêche donc cette interprétation et préserve d'une interdiction supplémentaire ;
--- soit auraient conduit à l'absence d'une obligation (comme dans le cas de l'avis niant l'obligation de la zakât sur les biens commerciaux) ; le consensus empêche donc cette interprétation et maintient l'obligation ;

empêche certaines analogies (qiyâs), lesquelles analogies :
--- soit auraient conduit à plus de souplesse par rapport à ce qui est stipulé dans le Texte (comme dans le cas de certaines équivalences avec ce qui est stipulé dans les textes) ;
--- soit auraient conduit à étendre l'interdiction à autre chose que ce qui est stipulé dans le Texte ;

impose* certaines analogies (qiyâs), lesquelles analogies :
--- soit conduisent à plus de souplesse par rapport à ce qui est stipulé dans le Texte (comme dans le cas de certaines autres équivalences avec ce qui est stipulé dans les textes) ; le consensus empêche donc une restriction du moyen utilisable au seul moyen mentionné dans le Texte ;
--- soit conduisent à étendre l'interdiction à autre chose que ce qui est stipulé dans le Texte (comme dans le cas de l'interdiction du mariage d'une musulmane avec un juif ou un chrétien – cela si on retient que en Coran 60/10 le terme "kuffâr" désigne seulement : "les mushrikûn", et que c'est par tanqîh ul-manât que le même hukm s'applique aux kâfir kitâbî) ; le consensus empêche donc l'application de l'interdiction au seul cas mentionné dans le Texte, et impose l'étendue de l'interdiction à ce cas analogue.

(* "imposer" : nous parlons ici d'une imposition dans l'interprétation, permettant de demeurer dans l'orthodoxie, et pas d'une imposition dans la mise en pratique, par la force publique.)

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V) Le Consensus est toujours qat'iyy ud-dalâla :

C'est-à-dire ce que ce qu'il indique (dalâla) est du degré "univoque", sarîh.

(Ensuite, c'est au niveau de son thubût qu'il y a différents degrés, comme nous l'avons exposé dans notre article : Est-ce que le fait pour un musulman d'émettre un avis qui contredit le Ijmâ' constitue-t-il toujours un avis de Kufr akbar ?).

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VI) Il existe 4 types de Ijmâ', selon ce au sujet de quoi le Consensus a eu lieu :

Il existe en effet le Consensus sur...
- A) ... le hukm exprimé clairement par un hadîth, mais qui est établi de façon présumée (qat'iyy ud-dalâla wa lâkin zanniyy uth-thubût) (إجماع على ثبوت) (Ijmâ' 'alâ thubût) ;
- B) ... l'interprétation (dalâla) de ce que les textes disent à propos d'une question donnée (إجماع على دلالة/ بيان) (Ijmâ' 'alâ dalâla / bayân) ;
- C) ... l'abrogation (naskh) d'un hukm formulé dans un texte, par un autre texte (إجماع على نسخ) (Ijmâ' 'alâ naskh) ;
- D) ... la formulation (inshâ') d'un hukm pour un mahkûm 'alayh n'ayant pas été évoqué dans un texte : ce hukm lui a été établi par qiyâs ut-tamthîl ou par qiyâs ul-maslaha (إجماع على إنشاء) (Ijmâ' 'alâ inshâ').

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Type A) Le Consensus sur le hukm exprimé clairement par un hadîth, mais qui est établi de façon présumée seulement (qat'iyy ud-dalâla wa lâkin zanniyy uth-thubût) (إجماع على ثبوت) (Ijmâ' 'alâ thubût) :

Le Consensus renforce alors ce hukm.

Ainsi, dans un premier temps, et seulement lorsqu'ils étaient en voyage (lorsqu'il y en avait besoin), le mariage temporaire a été autorisé. En tous cas il fut interdit définitivement quelques jours après la Conquête de La Mecque.

Cependant, quelqu'un pourrait dire que l'interdiction formulée dans ces hadîths est en fait une interdiction liée à la fin du besoin, et que, si le besoin surgit de nouveau, ce type de mariage redevient autorisé (ce serait alors du nas' et pas du naskh ; ou bien ce serait un de ces interdits qui deviennent autorisés en cas de dharûra shar'iyya) : "قال ابن شهاب: أخبرني عروة بن الزبير أن عبد الله بن الزبير قام بمكة فقال: "إن ناسا أعمى الله قلوبهم، كما أعمى أبصارهم، يفتون بالمتعة" (يعرض برجل). فناداه فقال: "إنك لجلف جاف! فلعمري، لقد كانت المتعة تفعل على عهد إمام المتقين" (يريد رسول الله صلى الله عليه وسلم). فقال له ابن الزبير: "فجرب بنفسك! فوالله، لئن فعلتها لأرجمنك بأحجارك." قال ابن شهاب: فأخبرني خالد بن المهاجر بن سيف الله، أنه بينا هو جالس عند رجل، جاءه رجل فاستفتاه في المتعة، فأمره بها، فقال له ابن أبي عمرة الأنصاري: "مهلا!" قال: "ما هي؟ والله، لقد فعلت في عهد إمام المتقين!" قال ابن أبي عمرة: "إنها كانت رخصة في أول الإسلام لمن اضطر إليها، كالميتة، والدم، ولحم الخنزير؛ ثم أحكم الله الدين ونهى عنها." قال ابن شهاب: وأخبرني ربيع بن سبرة الجهني أن أباه قال: "قد كنت استمتعت في عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم امرأة من بني عامر ببردين أحمرين، ثم نهانا رسول الله صلى الله عليه وسلم عن المتعة." قال ابن شهاب: وسمعت ربيع بن سبرة يحدث ذلك عمرَ بن عبد العزيز، وأنا جالس" : Muslim 1406/27.)

Mais en fait un hadîth existe qui dit explicitement de ce type de mariage que "Dieu a interdit cela jusqu'à la fin du monde" : "عن الربيع بن سبرة الجهني أن أباه حدثه أنه كان مع رسول الله صلى الله عليه وسلم فقال: "يا أيها الناس، إني قد كنت أذنت لكم في الاستمتاع من النساء؛ وإن الله قد حرم ذلك إلى يوم القيامة! فمن كان عنده منهن شيء فليخل سبيله، ولا تأخذوا مما آتيتموهن شيئا" (Muslim 1406/21). Ce hadîth montre clairement que le mariage temporaire est définitivement abrogé et que ce n'est pas non plus un interdit devenant autorisé en cas de nécessité (dharûra shar'iyya).

Or quelqu'un pourrait dire que, cependant, c'est seulement ce hadîth qui affirme cela de façon aussi tranchée. Et tout au plus ce hadîth est-il établi au niveau zanniyy uth-thubût zannan ghâliban.

Mais en fait il y a Consensus sur ce caractère "abrogé".

Ce Consensus renforce donc l'établissement (thubût) de ce hukm.

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Type B) Le Consensus sur l'interprétation (dalâla) de ce que les textes disent à propos d'une question donnée (إجماع على دلالة/ بيان) (Ijmâ' alâ dalâla / bayân) :

C'est le Consensus qui oriente notre façon de comprendre tel mot de ce texte, ou notre façon de concilier ensemble ces différents textes (le contenu de ces textes passe alors de l'état de zanniyy ud-dalâla à celui de qat'iy ud-dalâla, par le consensus).

Al-Bayhaqî et Ibnu Dadîq il-'ïd
ont relaté le Consensus des ulémas quant à l'autorisation pour la femme de porter des bijoux en or. Ce Consensus s'appuie sur des hadîths qui expriment cette autorisation explicitement.
Cependant, il existe d'autres hadîths dont le zâhir pourrait être compris comme interdisant le port de l'or à la femme. Et cheikh Albânî s'est fondé sur le zâhir de ces autres hadîths, les a considérés comme mukhassis des hadîths précédents, et a déduit de l'ensemble que reste interdit à la musulmane : le port d'un bijou en or qui est rond (Adâb uz-zafâf, pp. 150-196 ; p. 177).
Or son avis constitue une khata qat'î ijtihâdî, car le Consensus révèle que le second groupe de hadîths signifient autre chose que l'interdiction de porter de l'or pour la femme. Cheikh Habîb ur-Rahmân al-A'zamî a longuement exposé cela : Al-Albânî shudhûdhuhû wa akhtâ'uh, pp. 48-54.

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Type B') Le Consensus sur la nécessité d'avoir recours au moyen stipulé dans les textes, et l'impossibilité d'établir tel autre moyen comme étant "équivalent" du moyen stipulé dans les textes (إجماع على دلالة/ بيان) :

Le Consensus rend alors nécessaire l'adoption de ce moyen pour réaliser cet objectif.

C'est le cas pour l'inhumation.

L'objectif est de dissimuler du regard des vivants la putréfaction du corps de l'un de leurs semblables, pour la sauvegarde de la dignité humaine (muwârâtu saw'at il-insân il-mayyit).
Et cet objectif peut être atteint par de nombreux moyens autres que l'inhumation : la crémation, l'aquamation, et d'autres encore.

Or les sources de l'islam enseignent l'inhumation comme moyen pour atteindre cet objectif. Et si aucun autre moyen ne peut être déclaré "équivalent" ou "presque-équivalent", c'est à cause du Consensus.

(Seul le cas d'un décès survenu en mer alors que la terre ferme est encore loin fait exception.)

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Type C) Le Consensus sur l'abrogation d'un hukm formulé dans un texte, par un autre texte (إجماع على نسخ) (Ijmâ' 'alâ naskh) :

Le Consensus rend alors nécessaire le fait de considérer le hukm véhiculé par le premier texte comme ayant été abrogé par le hukm présent dans le second texte.

Cependant, ceci n'est possible que lorsqu'il existe un second texte du Coran ou de la Sunna, qui abroge le premier. Car il n'est pas possible qu'il existe un texte du Coran ou de la Sunna et que celui-ci ait été "abrogé" par le seul Ijmâ' : le Ijmâ' ne peut que mettre en lumière / rappeler / étayer ce qu'un autre texte avait réalisé : abroger le premier texte (MF 19/196, 198). Il n'est pas non plus possible que la Umma ait relaté le hadîth abrogé mais pas le hadîth qui l'abroge, et ait seulement relaté le Consensus sur le fait que le premier texte soit abrogé (MF 19/201). Dès lors, quand on lit sous la plume de ulémas : "Le hukm véhiculé par ce hadîth est Mansûkh bi-l-Ijmâ' : abrogé par Consensus", cela veut dire en fait : "Le hukm véhiculé par ce hadîth a été abrogé par tel autre hadîth, et ce caractère abrogeant /abrogé fait l'objet d'un Consensus".

Ainsi en est-il du fameux hadîth où on lit que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) a dit qu'à celui qui boit l'alcool et qui est attrapé une fois, il s'agit de lui appliquer la sanction ; de même la 2nde fois ; de même la 3ème fois ; et la 4ème fois il faut le mettre à mort (at-Tirmidhî, 1444, Abû Dâoûd, 4482, Ibn Mâja, sur la relation de Mu'âwiya). (Toute sanction est tout simplement inapplicable en pays non-musulman. Et même en pays musulman, il existe des conditions à l'applicabilité des sanctions.)
De nombreux ulémas disent que le propos de la dernière phrase de ce hadîth est abrogé (le propos de at-Tirmidhî à ce sujet, dans son Jâmi' et dans son 'Ilal, est bien connu)
.
Cependant
, ce hukm n'a pas été abrogé par le Ijmâ' à lui seul ! Cela a été abrogé (ou bien au moins cela n'est pas une hadd) parce qu'il est dûment rapporté dans un hadîth que par la suite, pour un cas de ce genre, le Prophète n'a pas fait mettre l'homme à mort (voir ce hadîth in Fat'h ul-bârî 12/97)
. Quant à l'avis relaté de Abdullâh ibn 'Amr sur le sujet, il n'est pas établi de façon authentique (FB 12/98).
(Voir par ailleurs ce que Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim pensent sur le sujet : MF 7/486, At-Turuq ul-hukmiyya, p. 26.)

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Type 4) Le Consensus sur l'établissement d'un hukm – à tel mahkûm 'alayh – suite à un qiyâs ut-tamthîl ou à un qiyâs ul-maslaha (إجماع على إنشاء) (Ijmâ' 'alâ inshâ') :

Le Consensus rend alors nécessaire l'adoption de l'établissement de ce hukm pour ce mahkûm 'alayh, bien que cela ne figure ni dans le Coran ni dans la Sunna.

Certains ulémas sont ainsi d'avis qu'il y a Consensus sur l'obligation que ce soit en suivant l'écriture des copies de Uthmân (ar-rasm al-uthmânî) que l'on écrive le texte du Coran.
Or cette écriture particulière a été établie par maslaha (ne faisant l'objet d'aucun texte du Coran ni de la Sunna).
Mais il y a eu, d'après cet avis, Consensus sur ce hukm (al-wujûb) établi par maslaha.

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De quel type relève le Ijmâ' suivant ?

Ibn ul-Mundhir a relaté le consensus sur le fait que la zakât est obligatoire sur les biens commerciaux aussi : "وأجمعوا على أن في العروض التي تدار للتجارة الزكاة إذا حال عليها الحول" (Al-Ijmâ', point 115). La même chose a été relatée dans Al-Iqnâ' fî massâ'ïl il-ijmâ'.

Ce n'est que Dâoûd az-Zâhirî qui ensuite a émis l'avis contraire ; et Cheikh Albânî a émis le même avis. Cet avis constitue dès lors une erreur qat'î.

Le Consensus s'est établi :

--- soit sur le thubût de hadîths qui expriment que la zakât est due sur les biens commerciaux, mais dont l'authenticité a été discutée. Ce qui en ferait un Ijmâ' de type A ;

--- soit sur une lecture précise (dalâla) des versets du Coran parlant de devoir payer la zakât sur les biens que l'on possède : au Consensus des mujtahidûn, le terme "biens" aurait alors été interprété comme englobant : "les biens commerciaux" également. Ce qui en ferait un Ijmâ' de type B ;

--- soit sur un qiyâs ut-tamthîl des biens commerciaux par rapport aux autres biens à fructifier et dûment mentionnés dans les textes. Ce qui en ferait un Ijmâ' de type D.

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Un cas différent :

Le Coran mentionne, parmi les catégories qui peuvent bénéficier de la zakât : "ceux dont les cœurs sont à gagner" : "إِنَّمَا الصَّدَقَاتُ لِلْفُقَرَاء وَالْمَسَاكِينِ وَالْعَامِلِينَ عَلَيْهَا وَالْمُؤَلَّفَةِ قُلُوبُهُمْ وَفِي الرِّقَابِ وَالْغَارِمِينَ وَفِي سَبِيلِ اللّهِ وَابْنِ السَّبِيلِ فَرِيضَةً مِّنَ اللّهِ وَاللّهُ عَلِيمٌ حَكِيمٌ" (Coran 9/60). Dans ce verset, la possibilité de s'acquitter de la zakât (mashrû'iyyat ul-adâ') en la remettant à ce groupe de personnes a été communiquée de façon inconditionnelle (mutlaq). Mais à des personnes à qui le Prophète (sur lui soit la paix) donnait de son vivant la zakât sans qu'elles soient pauvres, et qui vinrent réclamer à Abû Bakr, devenu calife, ce qu'elles estimaient être leur dû, Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) déclara : "Dieu a renforcé l'Islam". Il dit donc de ne plus leur donner de zakât.

Certains ulémas ont parlé ici d'abrogation (naskh) : c'est le Consensus des Compagnons qui a abrogé la règle, disent-ils.
Or
un Consensus ne peut pas, à lui seul, abroger une règle explicite du Coran (cf. note de bas de page n° 11 sur Al-Hidâya 1/184).

Il est d'autres ulémas qui ont eux aussi parlé d'abrogation (naskh), mais en nuançant le propos : eux ont dit que Omar ainsi que les autres Compagnons disposaient d'un hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) mentionnant explicitement que la règle serait en vigueur jusqu'à la réalisation, dans le réel, de la forte présence de l'Islam : ce n'est donc pas leur seul consensus qui a abrogé la règle coranique mais ce hadîth (cf. Radd ul-muhtâr 3/288).
Or
il n'est pas non plus possible que la Umma ait relaté le texte abrogé mais pas le texte abrogeant, et ait seulement relaté le Consensus sur le fait que le premier texte soit abrogé (cf. MF 19/201). Par ailleurs, un hadîth ne peut pas, à lui seul, abroger complètement (naskh) un hukm établi par un verset coranique (cf. MF 20/397-399).

Par ailleurs
, ces deux propositions d'explications ont en commun que jamais plus les musulmans ne peuvent remettre la zakât à des gens dont les cœurs sont à gagner.

D'autres ulémas ont parlé du fait que l'ijtihad de Omar n'a pas consisté en une abrogation mais en le fait que : la règle (mashrû'iyyatu adâ'ï-z-zakât bi i'tâ'ïhâ li-l-mu'allafati qulûbuhum) est liée à un principe motivant ('illa) : "être dans une situation où l'Islam est faible". Si ce motif est présent, la règle est applicable. Et s'il est absent, la règle est inapplicable. A l'époque de Abû Bakr et surtout de Omar, ce principe était devenu absent. Mais il peut, en d'autres lieux et/ou d'autres temps, redevenir présent : la règle s'applique alors de nouveau (yadûr ul-hukmu ma'a dawrân il-'illati wujûdan wa 'adaman). Il n'y a donc pas naskh, mais nas'.

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VII) Nous avons vu ci-dessus que le Consensus', Ijmâ', oriente la compréhension de certains textes du Coran et de la Sunna. Pourtant, la règle bien connue dit : "On doit se référer d'abord au Coran, puis à la Sunna, ensuite seulement au Ijmâ'" ! Qu'est-ce que cela signifie donc ?

Voici cette règle, reconnue, et énoncée entre autres par ash-Shâfi'î :
"ولم يزل أئمة الإسلام على تقديم الكتاب على السنة، والسنة على الإجماع، وجعل الإجماع في المرتبة الثالثة. قال الشافعي: "الحجة كتاب الله وسنة رسوله واتفاق الأئمة." وقال في كتاب اختلافه مع مالك: "والعلم طبقات، الأولى: الكتاب والسنة الثابتة؛ ثم الإجماع فيما ليس فيه كتاب ولا سنة؛ الثالثة: أن يقول الصحابي: فلا يعلم له مخالف من الصحابة؛ الرابعة: اختلاف الصحابة؛ والخامسة: القياس." فقدَّم النظر في الكتاب والسنة على الإجماع، ثم أَخبَرَ أنه إنما يصار إلى الإجماع فيما لم يعلم فيه كتابا ولا سنة. وهذا هو الحق"
(A'lam ul-muwaqqi'în 2/175).

Il est dit ici qu'on doit se référer d'abord au Coran, puis à la Sunna, et ensuite, en 3ème position seulement au Ijmâ'.

Or il avait été dit jusque là, plus haut, que, pour sa lecture des textes du Coran et de la Sunna elle-même, il faut se référer au Ijmâ' aussi.

Comment résoudre cette contradiction ?

La réponse est qu'en fait ce propos-ci ("ولم يزل أئمة الإسلام على تقديم الكتاب على السنة، والسنة على الإجماع، وجعل الإجماع في المرتبة الثالثة") s'applique seulement à la recherche du hukm shar'î concernant une question donnée. Ce propos-ci parle du Ijmâ' du type D : un Hukm établi pour tel Mahkûm 'alayh, par Qiyâs, mais qui est reconnu par tous les Mujtahidûn. Ce Ijmâ' là, on ne doit s'y référer qu'après avoir cherché le hukm dans le Coran et la Sunna et ne pas l'avoir trouvé.

Par contre ce propos-ci ne parle PAS des Ijmâ' des types A, B et C : ces Ijmâ'-là sont pour leur part à prendre en référence en même temps que le Coran et la Sunna.

A lire attentivement ce que ash-Shâfi'î a dit, on voit en fait clairement qu'il parle des Ijmâ' du type D : "والعلم طبقات، الأولى: الكتاب والسنة الثابتة؛ ثم الإجماع فيما ليس فيه كتاب ولا سنة" : il parle dans ce dit de se référer au Ijmâ' pour ce au sujet de quoi il n'y a rien dans le Coran ni la Sunna.

En fait le propos de ash-Shâfi'î veut dire ce qui suit...

Lors de la recherche du hukm s'appliquant à un mahkûm 'alayh (une action donnée), le Mujtahid doit rechercher la formulation de ce hukm pour ce mahkûm 'alayh (cette action) :

--- d'abord dans le Coran. Si un tel hukm s'y trouve, alors le verset devra forcément être compris avec les nuances et conditions que la Sunna y a adjointes, le tout dans le cadre que permet le Ijmâ' (il s'agit des Ijmâ' de types A, B et C : nous en avons vu des exemples plus haut, en VI) ;

--- s'il ne trouve pas un tel hukm dans le Coran, alors le Mujtahid devra chercher dans la Sunna. Si un tel hukm s'y trouve, alors le hadîth qui véhicule ce hukm devra forcément être compris dans le cadre que permet le Ijmâ' (il s'agit des Ijmâ' de types A, B et C ) ;

--- s'il ne trouve pas un tel hukm dans la Sunna, alors le Mujtahid devra chercher dans la somme des Ijmâ' de type D : un hukm déjà établi (au Ijmâ' des Mujtahidûn avant lui) par qiyas ut-tamthîl ou par qiyâs ul-maslaha ;

--- s'il ne trouve pas un tel hukm dans les Ijmâ', alors le Mujtahid fera son Qiyâs personnel, ou un Qiyâs après concertation, en cherchant le nazîr (celui qui renferme la même 'illa) du mahkûm 'alayh au sujet de quoi la question lui a été posée, parmi les mahkûm 'alayh explicitement mentionnés dans ces 3 sources : Coran, Sunna et Ijmâ' de type D.

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A lire par ailleurs :

--- Est-ce que le fait pour un musulman d'émettre un avis qui contredit le Ijmâ' constitue-t-il toujours un avis de Kufr ? - (3/3)

--- Lorsque sur une question donnée (mas'ala) il n'y a eu que 2 (ou 3, ou 4) avis chez tous les Salaf, est-il impossible que des grands ulémas postérieurs pensent un nouvel avis, par le biais d'une nouvelle synthèse des Textes existant ?

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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